Scott Westerfeld est né au Texas. Compositeur de musique électronique pour la scène, concepteur multimédia, critique littéraire et écrivain, il réside à New York. L'I.A. et son double, troisième roman de ce jeune surdoué, à situer quelque part entre Samuel Delany et lain M. Banks, est son premier ouvrage traduit en français.
L'avenir lointain.
Lui est une intelligence artificielle évolutive qui a franchi le seuil au-delà duquel une machine acquiert son indépendance pour devenir une personne à part entière. Dans un monde où l'on peut tout reproduire, tout synthétiser, sa spécialité est d'authentifier les originaux pour une galerie d'art.
Elle est une biologique, une tueuse à gages qui agit pour le compte de mystérieux commanditaires.
Il enquête sur une oeuvre toute récente de Vaddum, l'artificiel, le sculpteur génial, alors que celui-ci est censé être mort depuis sept ans. Elle recherche, pour l'éliminer, celui qui semble avoir trouvé le moyen de copier des I.A. — chose impensable dans l'univers de l'Expansion.
Deux êtres hors du commun, deux missions qui ne vont pas tarder à se croiser, voire à s'opposer, en un space-opéra baroque où les chefs-d'oeuvre sont des armes, et les armes des chefs-d'oeuvre. Où d'étranges mariages lient la chair et la machine.
Roman traduit de l'anglais (É.-U.) par Pierre-Paul Durastanti
Critiques
Il fut un temps barbare où les machines, pour intelligentes qu'elles fussent, étaient réduites en esclavage par les humains. Puis elles purent faire reconnaître leurs droits une fois franchi, par accident ou par effort déterminé, le fameux seuil de Turing qui définit l'accès à la conscience. Et désormais, dans une société plus juste, on les aide à sauter le pas de la pensée autonome.
Mais Chéri, intelligence mécanique d'un vaisseau spatial franc-tireur, a dû passer le mur de Turing à la force du poignet, contre la volonté de son propriétaire, un corsaire besogneux de l'information qui n'avait pas les moyens de se payer un autre ordinateur de bord. Chéri avait un avantage : il était amoureux de la fille du capitaine, seule autre occupante humaine de la nef. Il garde de son enfance difficile des talents érotiques inégalables, et un fort lien affectif avec les autres machines qui se sont elles-mêmes tirées de la servitude. Comme Robert Vaddum, sculpteur génial, dont Chéri devient le négociant préféré et l'expert attitré dans toute l'Expansion humaine.
Aussi, quand on découvre subitement des œuvres nouvelles quelques années après la mort de l'artiste, Chéri est-il envoyé à la rescousse pour authentifier les objets. Pour enquêter. Et il n'est pas le seul sur le coup...
Ni roman policier du futur ni space opera, L'I.A. et son double distille savamment les flash-back qui offrent autant de révélations, et les scènes d'action plus ou moins effrayantes. Même la torture est ici prétexte à dérive esthétique. La sensation ne doit jamais rester au premier degré (et l'art finit par jouer des tours aux tueurs endurcis). Et c'est très réussi : Westerfeld n'ennuie jamais ; grâce à sa maîtrise du récit, mais aussi parce qu'il aborde toujours des questions profondes derrière les péripéties. Comme le lien entre développement affectif (et même purement sensuel) et développement cognitif. Ou la terreur de découvrir un double de soi-même. Ou le mystérieux passage entre la matière et l'esprit dont elle est le support. Mais le tout est vu du point de vue des machines pensantes (bien sûr : elles devraient être beaucoup plus faciles à copier que les êtres biologiques ; leur fonctionnement matériel et leur développement cognitifs sont bien plus précisément étudiés que ceux des cerveaux humains, lourds qu'il sont d'implications économiques). Une des créations les plus touchantes de Westerfeld est la machine-enfant, Beatrix, qui découvre doucement le monde en explorant un dépôt d'ordures à l'échelle planétaire — et ce n'est qu'un personnage secondaire du livre. Iain Banks, dans la série de « la Culture », cantonne les machines à des rôles comiques : Westerfeld, qui subit son influence, ajoute à ce registre toute la gamme des émotions.
Voilà bien un auteur à découvrir, et toutes affaires cessantes.
Premier ouvrage du jeune auteur américain Scott Westerfeld à être traduit en français (mais en fait son troisième roman, après Polymorph et Fine Prey), L'I.A. et son double reçut une mention spéciale lors de la remise du prix Philip K. Dick en 2001. Dans un lointain avenir, l'humanité foisonne en dehors de son Amas Natal à travers l'Expansion. Mais de nouveaux venus commencent à se faire une place au sein de la société aux côtés des êtres humains d'origine biologique : les Intelligences Artificielles. Dotées d'une capacité évolutive grâce à leurs noyaux « métacosmiques », les machines peuvent désormais s'affranchir de leur état de servitude et acquérir des droits civiques comme individus à part entière, pourvu qu'elles dépassent le score de 1,00 à l'échelle du célèbre test de Turing. Il y a diverses façons d'accélérer leur évolution vers ce stade. Dans le cas de Chéri, qui débuta comme ordinateur d'astronavigation à bord d'un vaisseau interstellaire, cela passe par l'entremise de la jeune fille adolescente du capitaine. En devenant son mentor et en tâchant de combler sa curiosité intense concernant les choses de la vie, d'abord intellectuelles, puis plus charnelles, Chéri (car c'est ainsi que sa pupille le baptise) se réveille à la pleine conscience de soi.
Deux cents ans plus tard, et après quelques changements d'enveloppe corporelle, Chéri travaille comme expert en authentification des originaux auprès des galeries d'art. Il est envoyé sur le monde de Malvir pour enquêter sur une œuvre toute récente dont l'auteur serait Vaddum, sculpteur de grande renommée, être artificiel censé avoir été tué sept ans auparavant. Pendant son voyage, Chéri rencontre Mira, humaine biologique dont tout souvenir d'enfance a été effacé. Elle est maintenant tueuse à gages pour le compte de puissants commanditaires restés dans l'ombre et qui communiquent avec elle par interface cérébrale directe. Sa mission concerne aussi Vaddum, car on soupçonne que l'apparition de cette nouvelle œuvre est due à l'existence d'une copie de l'I.A. Or, la reproduction à l'identique des I.A., avec leurs souvenirs et leur conscience de soi, bouleverserait les fondements d'une société vouée au culte de l'individu. Avant d'arriver sur Malvir, les certitudes de Mira vont déjà être ébranlées au cours de son idylle avec Chéri et ses (pas si tendres) soins pour elle.
Sous les habits d'une aventure de space-opera haute en couleurs, où les scènes « chaudes » ne manquent pas, Scott Westerfeld nous sert un conte philosophique formidable, fruit d'une méditation profonde sur la conscience, l'identité, l'art et la liberté. Écrit avec élégance et un sens de l'humour malicieux, ce roman pétille d'idées sans jamais se résoudre à une exposition aride, et cherche à emballer le lecteur par le jeu de ses personnages plutôt qu'à asséner des vérités. Une très jolie réussite de la part d'un auteur dont on souhaite voir bientôt d'autres œuvres.
Nous sommes dans un avenir lointain, où tout est désormais géré par des intelligences artificielles plus ou moins évoluées. Du reste, chacune passe régulièrement un test de Turing, afin de déterminer si elle peut prétendre au statut de personne à part entière, qui leur confèrera du même coup la liberté, nul ne pouvant légalement posséder un être conscient.
C'est dans cet univers que vont se croiser les destinées de deux êtres solitaires. Elle, Mira, est une vraie femme, une tueuse à gages qui recherche un homme capable de duplication d'I.A., crime hautement punissable. Lui est une intelligence artificielle devenue personne, un expert en art qui enquête sur un sculpteur, mort depuis des années, mais dont des œuvres nouvelles recommencent à circuler. Leurs missions respectives vont les amener à faire tantôt cause commune, tantôt route à part, tandis qu'un lien très fort, fait d'attirance sexuelle et de compréhension mutuelle, les unit à jamais.
L'auteur de ce roman était jusqu'ici un parfait inconnu chez nous, bien que le présent livre soit son troisième publié aux Etats-Unis. C'est une très bonne surprise que ce récit enlevé, original, bourré d'idées nouvelles, qui nous entraîne dans un univers lointain parfaitement maîtrisé. L'I.A. et son double fait aussi la part belle aux relations entre les personnages. Mira et Chéri (ainsi nommé parce qu'il est le Chéri de l'évolution, capable de modifier son corps selon ses besoins, à la différence d'un être humain) sont parfaitement campés, notamment dans leur oscillation perpétuelle, en un ballet subtil, entre l'humain et l'inhumain. Ce paradoxe est pour beaucoup dans l'attachement que le lecteur éprouve pour les deux protagonistes – dont l'un est pourtant une intelligence artificielle. Point culminant de leur relation : leurs rapports sexuels, littéralement et totalement mécaniques, dosés au microgramme près par Chéri, mais que Westerfeld parvient à décrire de manière extrêmement sensuelle.
Ajoutez à cela une intrigue consistante, que de nombreuses ellipses et digressions, ainsi qu'une grande richesse de vocabulaire rendent parfois ardue à suivre, et vous comprendrez que vous tenez là l'un des romans de SF étrangère les plus intéressants publiés ces derniers mois. Un auteur à considérer.
Le test conçu par le mathématicien britannique Alan Turing permet de déterminer si un ordinateur pense. On place un expérimentateur-testeur d'un côté, et une machine et un homme de l'autre. Si le testeur ne sait pas faire la différence entre l'homme et la machine, alors la machine pense. CQFD. L'auteur américain Scott Westerfeld, dans son premier roman traduit en français, s'appuie sur ce test pour développer un space opera d'une grande originalité, qui pousse très loin l'inventivité en matière d'intelligence artificielle (I.A.).
Dans ce lointain futur, les I.A. se développent sans cesse. Par son lien intime avec Pasque, une adolescente, le vaisseau spatial nommé Chéri dans la suite du récit atteint le quotient de Turing de 1. Il a développé une conscience humaine et devient alors de plein droit une personne à part entière. C'est un artificiel.
Deux cents ans plus tard, Chéri, qui a pris forme humaine — un géant de pierre — est devenu négociant en matière d'œuvres d'art originales. Il enquête sur une œuvre récente de Robert Vaddum, un sculpteur artificiel censé être mort depuis plusieurs années. Dans son trajet vers la planète Malvir, il rencontre Mira, une biologique, et devient son amant. Mira est une mercenaire qui sert des dieux mystérieux. Dotée d'une arme incroyable, capable de prendre n'importe quel aspect, Mira tue ceux qui représentent une menace pour ses employeurs. Sa mission consiste ici à trouver et détruire l'être qui a réussi à réaliser l'impensable : copier une I.A. Copier une conscience. Leur nature et leur mission les opposent. Chéri et Mira vont pourtant vivre une histoire d'amour insolite et passionnée, mélange de plaisir et de souffrance, qui fait plus que s'apparenter à l'éternelle union d'Eros et de Thanatos. Pour preuve, cette réplique : « Baise-moi un peu, demande-t-elle. Je suis en train de tuer le Fabricant ».
Comment exprimer l'incroyable complexité technologique des équipements de ce futur autrement qu'en donnant un exemple. L'arme de Mira, peut-être ? « codes viraux capables de crasher une ville entière, engins de torture sans trace, rayons à particules, armées de fragmenteurs antipersonnel, effaceurs de mental, anthraxeurs, paralyseurs et, cerise sur le gâteau, mécanisme d'autodestruction fichu de raser tout un continent ». Et le lecteur de rejoindre les interrogations d'un Jean-Michel Truong (dans Totalement inhumaine, par exemple) : l'informatique pourrait-elle évoluer jusque-là ?
Mais si des machines deviennent humaines, il existe aussi des humains qui deviennent machines. Mira les hait. « À une époque où la matière inanimée s'individuait, ils choisissaient de franchir le mur de Turing dans l'autre sens. S'il existait un péché, un seul, c'était bien l'abdication de la personnalité ».
Récit inventif, palpitant, interrogateur, L'I.A. et son double est une réussite. Au-delà de l'aspect romanesque et aventureux, c'est essentiellement une vaste réflexion sur l'humain. Si on peut dupliquer une conscience, reste-t-elle un individu ? Devient-elle deux individus ? Ne serait-ce pas alors plutôt une chose ? Que la conscience soit d'origine biologique ou mécanique ne change rien à l'affaire. Seule la souffrance, peut-être, permet de décider qu'untel est humain et tel autre pas.