Deux anthologies-livres, qui sont au centre d'un vortex, au croisement de confluences multiples. . Mouvance, projet limité dans l'espace-temps littéraire, achève ses parutions avec ce huitième volume ; Espaces imaginaires, avec ce deuxième numéro, accélère son (en)vol ; mais dans les deux cas, les jeunes auteurs francophones consolident leur position, affirment leur personnalité, qui ne doit plus rien aux Américains, plus rien non plus aux Français post-soixante-huitards (snif !). Francophone ? Le mot est lancé, qui lui aussi va dans l'avenir se faire le gage de plus en plus solide d'un élargissement par le renouveau puisque, comme pour le dernier Fiction spécial : Futurs intérieurs (et c'est hélas véritablement le dernier, lui aussi), Espaces imaginaires se veut lieu de rencontre entre Français et Québecquois. Enfin, et de manière très incisive, même si elle n'est que rencontre de hasard, les deux volumes pourraient être regroupés sous le seul titre du premier : Pathologie du Pouvoir, puisque c'est bien de cela qu'il s'agit dans les deux cas.
Paradoxalement, les textes présentés par Mouvance me semblent plus faibles que ceux de son co-listier : des vedettes pas au mieux de leur forme (Wintrebert, Walther), un Douay de retour sur un joli texte, mais qui manque un peu de chair, un Giuliani giulianisant... Il faut l'alliance de Béatrice Heller, Relié Lermite et Henry-Luc Planchât (dont la patte est indubitablement prépondérante) pour accoucher enfin d'un pur joyau littéraire, d'un objet à la fois rutilant et obscur, qui est sans doute loin de la SF, mais au cœur de la littérature. Littérature ? C'est bien elle qui est au rendez-vous dans la plupart des textes de Espaces imaginaires, où la diversité des inspirations se fond dans l'exercice d'un style la plupart du temps juteux, où les efflorescences poétiques jaillissent et se mêlent dans une végétation où ni l'humour (Daniel Sernine : La tète de Walt Humphrey), ni la poésie panthéisme (Jean-Pierre Planque : L'archipel), ni la gouaille (Marc Provencher : Aplatir le temps) ne font défaut. Le tout semble tourner autour du pivot que fait le texte de Michel Lamart, Rêves de Marionnettes (lui, légèrement post-soixante-huitard quand même, oh ! mais !), et culmine avec Rupture ou la Mort Ménin de Jean-Pol Rocquet, tranquille et émouvante condamnation du pouvoir là où il ne devrait pas être : un monde régi par les « Verts ». Seul le texte posthume de Christine Renard ne me semble pas à sa place dans cet ensemble si bien structuré, et où son fantastique intimiste est en complète rupture de ton et de préoccupation. Mais à l'heure où les recueils d'inédits se font rares, la qualité de celui-là est impressionnante.