J. Gregory Keyes, né en 1963 dans l'état du Mississippi, a exercé divers métiers pittoresques tout en menant des études très poussées dans le domaine de l'anthropologie. Après deux romans de fantasy remarqués, il s'est imposé à l'attention de la critique et du public américains avec le présent roman, premier volume de « L'âge de déraison », une trilogie évoquant un XVIIIe siècle parallèle particulièrement jubilatoire. BookPage a salué en lui « un créateur de mythes aussi important que le furent Ursula Le Guin dans les années 60, John Varley dans les années 80 et Orson Scott Card dans les années 90 ».
1681 : Isaac Newton, dont le génie s'est tourné vers l'alchimie, découvre le mercure philiosophal, qui permet de manipuler les éléments à travers l'éther. Du coup, en 1720, la guerre entre la France de Louis XIV, dont la vie ne s'est pas arrêtée en 1715, et l'Angleterre de George Ier va s'en trouver changée, les membres de l'Académie des sciences et de la Royal Society rivalisant pour donner à leurs pays des armes toujours plus performantes. Parmi elles, le mystérieux « canon de Newton », qu'un ancien élève de l'alchimiste anglais passé au service de la France est en train de mettre au point. Afin d'empêcher la catastrophe que ses propres recherches ont rendue possible, le jeune Benjamin Franklin, alors apprenti imprimeur éperdu d'admiration pour Newton, quitte Boston pour Londres. Aidé sur place par les élèves du maître alchimiste, et en France — mais sans le savoir — par l'ancienne secrétaire de Mme de Maintenon et un garde des Cent-Suisses, il lui faudra affronter d'imprévisibles ennemis : non seulement des individus sans scrupules mais aussi des créatures qui manipulent les hommes depuis cet éther même que ceux-ci croyaient manipuler...
Un roman historique décalé peuplé de personnages mythiques, un wargames en costumes que l'on croirait sorti de la collaboration de Mark Twain et d'Alexandre Dumas.
Critiques
La découverte par Newton du mercure philosophal, à la fin du XVIIème siècle, constitue le point de départ de cette uchronie où l'alchimie a permis de nombreux progrès technologiques. Désormais, les villes disposent d'un éclairage performant, la communication à distance s'effectue au moyen d'éthérographes et l'armement se voit doté de terrifiants moyens de destruction. Ce sont d'ailleurs ces nouvelles armes qui ont permis à l'Angleterre de venir à bout des forteresses françaises et de prendre peu à peu l'avantage dans la guerre qui l'oppose à la France.
Après voir frôlé la mort, le vieux roi Louis XIV a retrouvé une nouvelle jeunesse grâce à un élixir persan et envisage une contre-offensive afin de reprendre les territoires conquis par l'ennemi. Un ancien élève de Newton, Fatio de Duillier, qui nourrit une féroce rancune contre son ancien maître, promet au souverain une arme dévastatrice, le mystérieux Canon de Newton, censé assurer la victoire définitive de la France ...
Le jeune Benjamin Franklin — apprenti dans l'imprimerie de son frère aîné à Boston — et Adrienne de Montchevreuil, — ancienne assistante de Madame de Maintenon — sont les véritables héros de cette histoire. Leur passion commune pour la science va les projeter malgré eux au cœur de la grande Histoire, dans une aventure rocambolesque qui va bouleverser l'ordre du monde.
Benjamin invente un dispositif qui permet de capter les messages en provenance de n'importe quel éthérographe alors que jusque-là, les communications n'étaient possibles qu'entre deux appareils préalablement accordés. En interceptant l'un de ces messages, il va concourir à la résolution d'un problème mathématique qui conduira, comme il s'en rendra compte un peu tard, à la création d'une arme de destruction massive. De son côté, Adrienne, qui vient d'être admise à la cour de Louis XIV, travaille comme secrétaire de Fatio de Duillier. En dissimulant ses connaissances scientifiques – la pratique des sciences étant interdite aux femmes à cette époque – elle découvre peu à peu à quel monstrueux projet se consacre son patron.
Avec LesDémons du Roi-Soleil J. Gregory Keyes nous offre un roman original qui mêle à merveille un grand nombre d'influences : de l'uchronie à la fantasy la plus débridée. L'auteur met en scène de nombreux – et parfois surprenants – personnages historiques. L'amateur d'histoire en tirera sans doute un plaisir supplémentaire. Keyes invente aussi une science alternative — liée aux propriétés du mercure philosophal — qu'il décrit avec force détails. Il s'offre en outre le luxe d'une intrigue complexe et mouvementée : le récit avance tambour battant, s'intéressant tout à tour à Benjamin Franklin et à Adrienne de Montchevreuil dans une succession de chapitres qui se terminent toujours par une chute à suspense à la façon des grands feuilletonistes (l'auteur fait d'ailleurs quelques clins d'œil appuyés à Alexandre Dumas).
Les Démons du Roi-Soleil est le premier volume d'une série intitulée L'âge de la Déraison qui compte trois autres volumes encore inédits : A Calculus of Angels, Empire of Unreason et The Shadows of God. Au terme de ce premier volume, l'auteur nous laisse sur une série de rebondissements qui laissent le lecteur pantois et lui donnent envie de lire le volume suivant dans les plus brefs délais !
Chapeau bas, Monsieur Keyes, pour cette merveille qui mérite amplement son Grand Prix de I'Imaginaire 2002.
Goûtez-moi donc Les Démons du Roi-soleil. Cet arôme ne vous rappelle-t-il pas une cuvée voisine, celle des Conjurés de Florence ? Hein ! ? Deux auteurs, J. Gregory Keyes et Paul J. McAuley, pour un même traducteur, Olivier Deparis, et un même éditeur, Jacques Chambon (chez Flammarion pour l'un, Denoël pour l'autre). Et puis, de façon moins anecdotique, une documentation historique doublée d'une réflexion sur la révolution industrielle dans les deux bouquins. McAuley plongeait brutalement l'Italie de la Renaissance dans l'ère de la vapeur, consécutivement aux découvertes de Léonard de Vinci ; Keyes, dès le premier chapitre, autorise Newton à produire du mercure philosophal... Toutefois, si le roman de McAuley relève bien de l'uchronie — il part d'une altération binaire d'un événement historique, la mort de Laurent le Magnifique au profit de son frère, lequel donne à Vinci les moyens de concrétiser ses intuitions techniques — , celui de Keyes procède davantage de la fantasy. Mais qu'importe. Les deux bouquins empruntent des chemins chers aux littératures de genre : l'intrigue des Conjurés de Florence métisse uchronie et polar, celle des Démons du roi-soleil relève du roman d'apprentissage, ou d'initiation — un procédé archétypal de la fantasy américaine des trente dernières années qui trouve son point culminant avec Alvin le Faiseur. Bref.
Nous voici donc avec deux personnages, dont les destins ne font que s'effleurer, le jeune Benjamin Franklin et la pudique Adrienne qui affrontent des forces aussi maléfiques que surnaturelles pour finalement découvrir leur sexualité, l'un sur le lit d'une pute puis d'une aventurière, l'autre mariée de force à un vieux dégoûtant. Reconnaissons à l'auteur de s'être abstenu de dissimuler pareille découverte derrière le paravent miteux de l'accomplissement d'une quête, du braconnage d'une espèce protégée de reptile ou quelque autre substitut...
Le grand mérite du roman, cependant, outre son refus de la pudibonderie, réside dans le regard porté sur la condition féminine. La plupart des romans de fantasy ayant pour toile de fond une époque révolue, fantasmée ou pas — sauf peut-être l'œuvre de Marion Zimmer Bradley ou le Gloriana de Moorcock — , et ce quel que soit le sexe de l'auteur, adoptent le discours dominant de l'époque badigeonnée, à savoir la soumission des femmes envisagée comme un phénomène naturel. Du personnage féminin, la fantasy vieille école fait un objet de désir ou de répulsion, selon son âge, ou à la rigueur un objet désirant, quoique passivement ; l'étape d'un rite de passage, la simple expression d'une sexualité masculine fruste, immature. Souvent, l'auteur se laisse aller à de curieux fantasmes exprimés de manière symbolique. Ou alors rien du tout, l'intrigue s'efforçant de bannir tout élément explicite de sexualité, de féminité ou d'idées progressistes — en ce sens, on trouve une manière d'apothéose sous la plume de J.R.R. Tolkien, qui, vers la conclusion du Seigneur des Anneaux, fait l'apologie de la virginité, pour lui caractéristique indissociable de la fière jeune fille nordique. Keyes, quant à lui, n'ignore rien de la vie difficile des femmes du XVIIIe siècle. Adrienne, ainsi que d'autres personnages de son sexe, se travestissent régulièrement, au fil du roman, ou complotent dans le cadre d'une société secrète : loin de pitreries à la Rocambole, il s'agit bien d'une nécessité à une époque où on ne considérait pas le savoir scientifique comme adapté à la féminité et où une forte pression sociale exerçait sa tyrannie, pression aussi bien masculine que féminine, d'ailleurs...
Toutefois, même si le roman se hisse largement au-dessus du tout-venant, on n'en soulignera pas moins quelques défauts. Il y a ces clins d'œil à Alexandre Dumas, qui laissent suspecter une émulation, alors que l'on gagne toujours à demeurer le plus personnel, quitte à admettre que l'on ne crée pas ex nihilo. Plus grave, la personnalité des protagonistes relève le plus souvent du cliché. Non pas que l'auteur ait choisi de sacrifier les personnages aux péripéties, car il leur consacre la juste part. Disons plutôt qu'il éprouve des difficultés à s'aventurer au-delà de quelques traits simples, relevants d'une sorte de vulgate psychologique. Et même si ce n'est pas le cas de tous les personnages, la plupart laissent ce sentiment de superficialité convenue. Et puis, ultime reproche : encore une trilogie ! Par conséquent l'intrigue, morcelée, ne se suffit pas à elle-même. Quantités de ses éléments courent vers la falaise sans pour autant s'arrêter, et font une chute fatale dans l'esprit du lecteur qui tourne la dernière page. Assez des trilogies, pentalogies et cycles interminables ! Quitte à ce que le volume accuse son obésité, la politesse la plus élémentaire serait de conclure. Ce qu'on accepte d'un feuilleton construit sur ses rebondissements, ce qui en fait même le charme addictif, n'a pas lieu d'être dans l'écriture romanesque qui n'en relève en rien.
Las. Ces dernières remarquent ne nous empêcheront pas de conclure sur une note fort positive. Car en dépit de ses défauts, Les Démons du roi-soleil n'en est pas moins un excellent roman d'aventures porté par le souffle puissant du dépaysement. On peut certes critiquer, redire, mais on dévore.
Quand Isaac Newton découvre à la fin du XVIIe siècle le mercure philosophal qui permet de manipuler les éléments à travers l'éther, le monde entre dans une phase de progrès sans précédent. À présent, on dispose de lampes sans flamme, de « kraftpistoles » et autres armes de poing tirant des jets d'argent en fusion. Deux « éthérographes » en affinité permettent à leurs propriétaires de correspondre entre eux.
En 1720, à Boston, l'apprenti imprimeur-journaliste qu'est Benjamin Franklin, adolescent passionné de science, parvient à fabriquer un « harmonicum », une sorte de modulateur de fréquence capable de correspondre avec tous les éthérographes en circulation. Ingénument, il s'immisce dans une correspondance pour aider à résoudre une équation, réalisant un peu tard qu'il a donné à la France la solution pour gagner la guerre contre l'Angleterre.
En effet, un assistant de Newton désireux de se venger du savant a offert ses services au roi Louis XIV, qui est toujours en vie et a même rajeuni grâce à un élixir persan. L'arme qu'il se propose de fabriquer a un potentiel de destruction équivalent à la bombe atomique. Adrienne, une jeune scientifique embauchée comme assistante, parvient à deviner ses projets.
L'action progresse, de façon alternée, entre Londres et Versailles, en suivant les trajectoires d'Adrienne, future nouvelle épouse du roi, et de Benjamin Franklin, que les circonstances ont mené en Angleterre où il espère réaliser son vœu le plus cher : étudier sous la tutelle du grand Newton.
On l'aura compris, cette uchronie très documentée, riche en rebondissements et en péripéties, s'appuie sur les théories et les spéculations alchimiques de Newton ainsi que sur la vie de Franklin. Les connaisseurs de ces deux savants et du début du XVIIIe siècle apprécieront davantage le sel des multiples détails de l'ouvrage. Malgré une narration confuse par endroits, la volonté de montrer, et non de dire, rendant certains passages peu explicites, on se sent emporté par ce récit de rétro-SF qui, sans se vouloir pessimiste, montre une fois de plus que la science progresse grâce à la guerre et que les meilleures inventions servent souvent les pires intentions.
On reste sous le charme de cet univers à l'exotisme surprenant, si familier et décalé à la fois. Signalons aux lecteurs que Les Démons du roi soleil est le premier volume d'une trilogie.
Cité dans les Conseils de lecture / Bibliothèque idéale des oeuvres suivantesAndré-François Ruaud : Cartographie du merveilleux (liste parue en 2001) pour la série : L'Age de la déraison