Prix Tour Eiffel de Science-Fiction 1999 pour Étoiles mourantes (en collaboration avec Ayerdhal), Prix Rosny Aîné 1992 et 1998 en catégorie nouvelle, Jean-Claude Dunyach est l'un des meilleurs romanciers de la SF française. Mais personne ne contestera qu'il est LE meilleur nouvelliste du genre. Le voici donc, le premier dans l'histoire de la science-fiction hexagonale, à bénéficier d'une publication de l'intégrale de ses nouvelles, initiative à porter au crédit de L'Atalante, éditeur exemplaire.
Imaginaire flamboyant ou émotion subtile, humour décalé ou rêverie humaniste, la SF de Dunyach (quelques-uns des textes rassemblés relèvent d'ailleurs du fantastique, de la fantasy, voire de la littérature générale : à ce niveau de qualité, peu nous importe) est peu commune. D'abord, le style. On reproche parfois — de moins en moins il est vrai — à la SF de négliger la qualité de l'écriture. Beaucoup d'écrivains contemporains de littérature générale, portés aux nues par une critique indigente, passeraient avec profit quelques jours dans l'atelier d'écriture de l'auteur ! On soulignera d'ailleurs, pour attirer l'attention du lecteur distrait, que le style de l'auteur, toujours impeccable, s'adapte aux sujets traités. Mieux : Dunyach construit ses nouvelles au millimètre près, telle une mécanique de précision, où rien n'est inutile ou vain. Quant à l'imaginaire...
Comme toujours, dans un recueil, chacun a ses textes préférés. J'avouerai pour ma part une affection toute particulière pour La Dynamique de la Révolution, uchronie qui voit la victoire de Napoléon à Waterloo. Banal, direz-vous ? Peu crédible ? C'est compter sans la perversité de l'auteur, qui nous livre ici un futur alternatif crédible, à mille lieux d'une vision événementielle de l'histoire ; on pourrait même qualifier sa vision de matérialiste, voire de marxiste... Voici un vrai bijou d'humour noir (Ah, l'attentat de Charlotte Corday contre Marat revu et corrigé par Dunyach !), de vivacité narrative (la bataille de Waterloo, succession d'escarmouches incompréhensibles — Dunyach a lu Stendhal — pour le personnage principal, qui n'est pas l'Empereur...), de vision forte de l'Histoire... On s'en voudrait de gâcher le plaisir de nos lecteurs en ajoutant quoi que ce soit.
Dunyach oscille de la tristesse poignante (Regarde-moi quand je dors) à l'humour grinçant de M.D.I.K : “ Félicitations ! Vous êtes désormais l'heureux propriétaire d'un M.D.I.K. : En cas d'urgence, le Jésus est entièrement constitué de rations de survie compressées [[]...]. Nous vous souhaitons bon courage pour votre mission civilisatrice d'évangélisation de nos frères extra-terrestres. ”
Quant à Nourriture pour dragons, c'est un mixte des clichés de la fantasy et de l'actualité récente (un moustachu assez ennuyé pour expliquer que le dit dragon est le véritable auteur du saccage d'un antre de la mondialisation)... Rigolade assurée et pause bienvenue dans un volume fort dense.
On aborde le fantastique tragique avec Le Harponneur du phare, superbe mais peut-être un peu trop esthétisant, puis, pour clore ce troisième volume de l'intégrale, on redécouvre un texte que les fidèles de Galaxies connaissent déjà : La Stratégie du requin, produit du défi de la revue à l'un de ses auteurs préférés : “ Jean-Claude, écris-nous une nouvelle de hard science ! ”.
Nous cacherons mal notre satisfaction à ce que le recueil prenne pour titre Déchiffrer la trame, véritable chef d'œuvre de la SF mondiale (eh, oui, pas moins : publiée en Grande-Bretagne dans la revue Interzone, sacrée meilleure nouvelle de l'année par les lecteurs du magazine, publiée aux États-Unis, dans l'une des plus grandes anthologies américaines, en Italie, bientôt en Espagne...). Ajoutons, pour que tout soit dit, que si Dunyach a encore peu été publié dans Galaxies, c'est sa proximité avec notre revue — nul n'ignore le rôle qu'il y joue pour encourager la jeune génération française à donner à Galaxies ses meilleurs textes — qui en est la cause... Nous y remédierons, courant 2002, en lui consacrant un dossier plus que mérité. Et réclamé par nombre d'entre vous. Dommage pour l'auteur ; il est condamné à nous livrer un nouveau chef d'œuvre...
Dis, Jean-Claude, tu continueras longtemps à nous raconter des histoires ?
Stéphanie NICOT (lui écrire)
Première parution : 1/6/2001 dans Galaxies 21
Mise en ligne le : 3/8/2002