La SF est une littérature collective, avec références communes et échanges thématiques. Or les contraintes de l'édition tendent à escamoter la mémoire du genre, surtout pour les nouvelles. Des anthologies à dix francs, offrant des points de repère à tous, surtout aux plus jeunes, ne peuvent qu'être applaudies.
Évidemment, on chipotera. Ce n'est pas une « histoire », malgré préface et courtes présentations. Renvoyer aux œuvres disponibles des auteurs n'aurait pas été un luxe. Quel que soit le sujet, parler d'âge d'or en incluant la seconde guerre mondiale peut irriter. Les dates sont d'ailleurs un peu formelles, huit textes sur onze datant de la première moitié des années cinquante. Enfin, l'illustration, pastiche de celles d'époque (astronaute musculeux, belle androïde dénudée, tentacule menaçant), trahit le contenu, et peut gêner une carrière parascolaire.
Reste l'important. Les textes. Venant de la guerre, et de la guerre froide. Paranoïaques. Mais décalés. Mettant en scène le radicalement autre, l'impossible. La forêt pensante dont van Vogt emprunte le point de vue. La ville hostile, meurtrière, d'Abernathy. Les machines devenues pensantes de Simak. Celle, inarrêtable, de Sheckley. Le fou hospitalisé d'Heinlein, raisonneur, dont les symptômes sont détaillés, mais qui a peut-être raison, héros d'un Truman show aux tenants indicibles. Ou, badinerie d'un fan inconnu, l'auteur de SF dont les manuscrits reprennent mot pour mot des textes d'autrui, vieux de vingt ans, qu'il ne peut se procurer. Le paradoxe temporel de Harness donne la clé, conflit et rivalité entre une jeune fille et sa mère renvoyant à un mal-être adolescent auquel ces textes fournissent et portes de sortie et aliments. Clarke, lui, frappe plus haut, contre Dieu, dans un grand classique trouvable dans la même collection. Hormis une demie page de Brown, reste le beaucoup moins impossible, le très immanent, Bradbury esquissant Farenheit, la vie post-bombe vue par Matheson : l'espoir et l'humour y sont plus présents, comme si, même en pleine guerre froide, l'impensable restait pire que la méchanceté humaine.
Evidemment, ce n'est qu'une sélection, sans Asimov par exemple, sans le premier Dick. Il ne faudrait pas jouer les paléontologues, prétendre reconstituer toute la SF de l'époque. Mais c'est un des fins du fin possibles du genre à un moment donné, et à un prix dérisoire : de bonnes œuvres, à tous les sens du terme.
Jacques Sadoul poursuit son Histoire de la science-fiction par le biais de la réédition d'anciennes nouvelles classiques. Nous voici arrivés à l'Âge d'or, cette fameuse période centrée autour des années quarante aux États-Unis. L'époque de Campbell et de Gold, d'Astounding et de Galaxy. Oui, ces nouvelles sont archi-connues, mais quel plaisir avons-nous, tout de même, à relire Bucolique de Van Vogt, L'Étoile d'Arthur C. Clarke, ou Escarmouche de Clifford D. Simak. Elles font partie de notre inconscient imaginaire... J'attire l'attention sur Qui a copié ?, ébouriffant paradoxe temporel de Jack Lewis (1953), sur Un homme contre la ville, fort fameux combat d'un homme contre une ville entière, du méconnu Robert Abernathy, et sur l'inénarrable La clé laxienne de Sheckley, champion absolu d'humour SF. Si je vous dis que l'anthologie comporte également Ces gens-là d'Heinlein, et qu'elle se termine sur le célébrissime F.I.N. de Fredric Brown, vous avouerez qu'il s'agit ici d'une parution très essentielle. La couverture, hyper-kitsch, vous fera baver...
À recommander totalement, malgré une introduction un peu trop sommaire. Pour les fans, au rang desquels je me compte, le troisième volume s'intitulera L'expansion et couvrira les années 1958-1983.