L'art conventionnel est mort : plus personne ne voudrait d'un Rembrandt, même pour orner ses toilettes. La seule forme artistique qui compte désormais, ce sont les sculptures thérapeutiques, ces fragments de rêve vivants que des médiums ramènent des profondeurs de leur subconscient pour les matérialiser dans notre quotidien, où ils leur sont arrachés par les services sanitaires, pour être tourmentés, puis traités en objets de consommation.
Exposés sur les places publiques ou dans l'intérieur de tout un chacun, vendus aux enchères pour des sommes colossales ou plus modestement commercialisés dans les supermarchés, ces ectoplasmes à la beauté insaisissable répandent leurs ondes bénéfiques sur leur environnement. Ils soignent bien des maux et apaisent les âmes, avant de se flétrir et de s'éteindre.
Qui sont les plongeurs oniriques qui remontent ces entités du fond de leurs fantasmes ? Avant tout des rêveurs qui ont le « don ». Pas tout à fait adultes, marginalisés, névrosés, et nourris d'une imagerie littéraire naïve. Chacun possède son monde fantasmatique propre : tel devient « en plongée » un redoutable chasseur de fauves, tel autre un chef de gang audacieux. Tous sont menacés par le syndrome du scaphandrier (une forme de schizophrénie) : leurs rêves glorieux sont tellement plus attractifs que leur quotidien sordide !
Il faut alors choisir : continuer à rêver en s'enfonçant dans la psychose, ou accepter les traitements médicaux qui inhibent les plongées et vous laissent torturés à l'idée qu'en votre absence, tous ceux que vous aimez dans l'univers onirique dépérissent et meurent.
Le véritable sujet du roman est la hantise de la mutilation. L'artiste, ici, ne s'épanouit pas dans la création : il s'ampute douloureusement d'un fragment de son imaginaire. Le thème est récurrent : marginalisation du plongeur qui se coupe de la société, sensation de dislocation corporelle lors des transits entre le rêve et la réalité, perte de la motricité après un accident de plongée, jusqu'à la mutilation finale, libératrice, celle de la mort qui sépare enfin les deux mondes.
On songe à Marcel Aymé pour le fantastique quotidien, à Kafka et à Meyrink pour la noirceur systématique, car le sujet est traité avec un parti pris de violence sourde et de fatalisme écrasant. Mais la comparaison avec les grands maîtres s'arrête là. La linéarité du récit est mal adaptée à l'intrigue et le point de vue de l'auteur demeure étroit. Les personnages, si bien campés soient-ils dans leur quotidien, ne font que passer : ils disparaissent dès qu'ils sortent du champ de vision de David, anti-héros dont nous suivons le naufrage ; leur devenir demeure inconnu et le lecteur reste sur sa faim.
Il y avait là matière à un grand roman. Brussolo se limite à une histoire étriquée où il se tient en permanence à la surface psychologique de ses personnages. La plongée dans la psychose, démonstrative et expressionniste jusqu'à la saturation, en est une illustration frappante. On est loin de Priest et de sa Fontaine pétrifiante, d'autant que de surcroît, ce récit quelque peu schématique est écrit dans un style outrancier et volontiers répétitif, dont le seul mérite est de s'harmoniser avec les obsessions autodestructrices du personnage principal. Le moins que l'on puisse dire est que l'auteur ne fait pas dans la dentelle. Compte tenu de la subtilité du sujet, un peu plus de finesse dans le traitement eût été la bienvenue.
En résumé, un honnête roman fantastique (la SF en est presque totalement absente) qu'on lira sans ennui.
Mais aussi une belle occasion ratée.
Robert BELMAS (lui écrire)
Première parution : 10/6/2001 nooSFere