DENOËL
(Paris, France), coll. Présence du futur n° 613 Dépôt légal : juin 1999 Première édition 240 pages, catégorie / prix : 5 ISBN : 2-207-24929-8 Format : 11,0 x 18,0 cm Genre : Science-Fiction
Quatrième de couverture
Mike Resnick fait partie des nouvelles stars de la science-fiction américaine. Après vingt ans de carrière, il a décroché tous les prix spécialisés pour son cycle de nouvelles Kirinyaga, fresque philosophique aussi importante et pertinente que les Chroniques martiennes de Ray Bradbury.
Le journaliste Robert Markham est convaincu que le célèbre Michael Drake vit retiré quelque part sur la planète Bushveld. Drake aurait découvert un nouveau vaccin dont dépend la vie de millions de personnes. Markham monte alors une expédition insensée, avec porteurs, équipe médicale, rabatteurs de gibier. Mais qui est le plus dangereux des deux ? Est-ce la planète Bushveld, à la faune et à la flore mortelles ? Ou... Robert Markham que l'ambition dévore ?
Par le biais du Planet Opera, Mike Resnick rend hommage à Moby Dick et aux grandes aventures africaines, sans oublier de faire le procès d'un certain type de journalisme.
Critiques
Trois romans de Mike Resnick viennent de paraître en France qui permettront sans doute aux lecteurs d'avoir un meilleur aperçu de ce grand auteur américain de SF (voir aussi le dossier sur Resnick dans Galaxies n° 8). Comme la plupart de ses œuvres, tous les trois s'insèrent dans son univers de l'Héritage, une fresque fabuleuse de l'avenir d'une humanité conquérante qui se répand inexorablement à travers la Galaxie. Cette épopée est largement inspirée par l'histoire réelle de l'expansion de la puissance des Européens sur toute la Terre, et en particulier la colonisation du continent africain et la conquête du Far-West américain.
Markham ou La Dévoration, comme Ivoire, Projet miracle, la trilogie L'Infernale Comédie et le recueil Kirinyaga, appartient au versant africain du cycle. De toute évidence, cette fois-ci Resnick prend comme point d'appui la célèbre rencontre en 1871 entre le journaliste britannique Stanley et le Dr Livingstone au beau milieu de l'Afrique centrale.
Nous avons affaire donc au journaliste Robert Markham, qui monte une expédition pour aller à la recherche du médecin Michael Drake. Disparu quinze ans auparavant, Drake fut l'inventeur d'un vaccin contre un virus extrêmement dangereux, l'ybonia. Maintenant, on a besoin de lui car une variante mutante de ce même virus menace des milliards de vies dans tout un secteur de la Galaxie. Markham a eu vent que Drake vit caché quelque part dans la jungle sur la planète frontalière de Bushveld. Mais sa quête n'est pas motivée du tout par des soucis humanitaires. Markham est en effet un obsédé, dévoré dans son âme par l'ambition de réaliser le scoop journalistique du siècle, celui qui lui apporterait gloire et fortune.
Accompagné par une poignée d'hommes, plus une cinquantaine de porteurs indigènes, Markham s'enfonce dans la forêt tropicale de Bushveld. La chaleur, les pluies torrentielles, les accidents, les animaux prédateurs et les aborigènes hostiles font tous obstacle à leur progrès. Mais c'est surtout Markham lui-même qui pose problème, par son manque de scrupules et sa façon expéditive de régler les choses, complètement indifférent aux autres. Bientôt tous les membres de son expédition, humains ou pas, seront au bord de la mutinerie ou de la désertion.
Mike Resnick, toujours fasciné par les aventuriers, chasseurs et baroudeurs qui risquent leur peau aux frontières de l'inconnu, nous livre ici un récit bien ficelé, plein de malice et d'ironie, qui fait la part entre la réalité et les légendes qui auréolent ce genre de héros. À lire le soir au coin du feu, dans un campement au cœur de la jungle !
Mike Resnick est décidément un écrivain surprenant, capable du tout-venant comme du très ambitieux (de la trilogie du Faiseur de veuves à Projet miracle ou encore Kirinyaga). L'Afrique, son champ d'inspiration principal, est aussi un moteur, et ses œuvres « africaines » ont plus de chance d'être ambitieuses.
Pourtant, Markham ou la dévoration se situe un peu à la croisée des chemins. Markham, un célèbre journaliste, spécialiste des paris fous, veut retrouver Michael Drake, un chercheur qui a déjà éradiqué plusieurs épidémies et qui a depuis disparu. Or, une variété mutante de l'ybonia, une terrible maladie, décime la population humaine de plusieurs systèmes stellaires. Markham, un homme ambigu, aussi détestable qu'il est professionnel, engage Stone, un guide réputé, pour monter une expédition sur Bushveld, où l'on aurait aperçu Drake pour la dernière fois, quinze ans plus tôt. Dans cette jungle en grande partie inexplorée, le voyage va bientôt tourner au cauchemar.
La trame du roman est simple, pour ne pas dire simpliste, et les clins d'œil aux expéditions (notamment anglaises) du siècle dernier sont très appuyés. Burton et Livingstone, entre autres, ne sont pas loin... Les péripéties s'enchaînent avec logique, mais sans originalité, vu le sujet choisi. Par contre, Resnick est toujours très à l'aise dans ses dialogues secs et nerveux, dignes d'un Hammett, et dans le dilemme crucial qu'il met en scène avec beaucoup d'aplomb à la fin du livre. En outre, le portrait du journaliste dévoré par l'ambition est un des plus acides et des plus dérangeants que j'aie jamais vus.
Un livre sans concession, dont la noirceur rachète le caractère convenu de l'intrigue. (Et voici bien une « critique ambiguë »...)
"Etant donné ce à quoi leur grandeur les avait conduits, j'étais heureux de n'être qu'un homme ordinaire, dépourvu de la moindre parcelle de grandeur." (p. 236)
Pour certains romans ou films, la SF n'est qu'un décor interchangeable. Markham en est une parfaite illustration, car son thème principal est très classique, s'inscrivant dans la continuité d'une tradition littéraire : une expédition au coeur d'une contrée en partie inexplorée est le prétexte à l'évocation d'un individu d'exception, à la fois visonnaire et mégalomane, génial et odieux, qui agit au nom de l'humanité en parfait égocentrique...
Outre les péripéties liées à l'hostilité de la nature qui servent de "révélateur" , le récit des relations entre ce personnage hors norme, fascinant et détestable, et les autres membres de l'expédition occupe la majeure partie de l'intrigue. Toutes les figures du roman d'exploration de l'Afrique sont en place, du narrateur-témoin au grand chasseur irascible, des porteurs indigènes craintifs au grand savant volontairement retiré du monde...
Resnick aurait d'ailleurs pu situer son histoire en Afrique sans remaniements notables de son texte et sans perdre en exotisme. Mais en réunissant ainsi la littérature classique et la science-fiction, il contribue évidemment à abattre les frontières entre "les" littératures.
Nul doute que le passionné, lecteur exclusif de SF, trouvera ce roman original puisqu'il aborde des thèmes inhabituels pour le genre. Les autres, tout en regrettant que la SF n'apporte pas une dimension supplémentaire à l'intrigue, apprécieront cette variation simple mais habile et de lecture très agréable.