Sam est un artiste, spécialiste des emballages. Eleanor est une toute jeune femme d'environ 200 ans, promise à une carrière politique importante. Ils évoluent dans une société brillante où abondent réceptions et célébrités... et tout débute par une belle histoire d'amour, dans un monde apparemment idéal... Ils sont
fous de joie...
Dans ce court roman - presque une longue nouvelle - Marusek nous conte une histoire classique, celle d'un homme dont l'univers s'écroule. La sobriété de l'intrigue et un style sans fioritures, presque anodin, en augmentent paradoxalement l'impact : la société qui se dévoile peu à peu est finalement plus terrifiante que bien des peintures plus morbides du futur.
En nous faisant partager le quotidien de ses personnages, qui en deviennent plus vivants, il nous fait prendre conscience de l'absurdité de ce monde où les relations humaines sont devenues plus que superficielles, pratiquement impossibles :
Difficile de s'approcher lorsque les rencontres se font souvent par hologrammes interposés.
Difficile de s'intéresser aux autres lorsque nous vivons entourés de compagnons virtuels, d'autres "soi" plus compétents et qui jamais ne feront un reproche... des assistants indispensables sans lesquels il devient impossible de prendre un ascenseur !
Difficile d'avoir confiance quand plus aucune intimité n'est possible et qu'il suffit d'avoir les moyens de percer les défenses des assistants pour savoir tout - absolument tout - sur un individu.
Difficile de supporter la vie familiale lorsque l'on bénéficie d'une longévité de plusieurs centaines d'années et que les enfants peuvent choisir de ne pas vieillir en
s'incrustant chez leurs parents.
Sam et Eleanor ont pourtant surmonté ces obstacles. Lorsque le héros sera victime d'un "bug" (qui n'est pas sans rappeler le dysfonctionnement de
Brazil, le film de Terry Gilliam - est-ce un hasard si le personnage central s'appelle Sam ?), les conséquences en seront d'autant plus cauchemardesques...
Même s'il ne véhicule pas d'idée véritablement nouvelle, ce récit épate par son déroulement parfaitement maîtrisé et sa crédibilité. Marusek illustre parfaitement ses craintes, de façon simple mais non simpliste : attention à la société que l'on construit, car nul n'y sera à l'abri !…
Pascal PATOZ (lui écrire)
nooSFere
À la fin du vingt-et-unième siècle, le monde ne ressemble plus guère à ce que nous connaissons. La prospérité semble générale, les progrès de la science et de la médecine assurent à l'homme une quasi-immortalité, le système solaire est colonisé. Sam Harger est un créateur très coté, inventeur entre autres du papier d'emballage imitant la texture de la peau humaine, et qui, bien sûr, saigne lorsqu'on le coupe. Ses conquêtes féminines ne se comptent plus, mais sa relation avec Eleanor Starke, procureur multinational promise à un brillant avenir, va le transformer radicalement. Le fait que le ministère de la Santé les autorise à avoir un enfant — chose exceptionnelle dans un univers où la longévité accrue risque d'entraîner une surpopulation dramatique — ne peut qu'ajouter à leur bonheur. Pourtant, un grain de sable va s'insinuer dans ce meilleur des mondes et remettre en cause toutes les certitudes de Sam Harger...
De David Marusek, on ne sait à peu près rien, si ce n'est qu'il a publié deux autres nouvelles avant celle-ci (et depuis ?). Quoiqu'il en soit, L'Enfance attribuée est une novella absolument extraordinaire. L'univers mis en scène ici est tout à fait fascinant, fort complexe dans son fonctionnement mais décrit par l'auteur avec une acuité qui force le respect. C'est également l'une des sociétés les plus originales que la science-fiction nous ait offerte ces dernières années. En outre, sa brièveté ne fait que rendre ce récit plus intense.
La parution de
L'Enfance attribuée me semble être un choc tout à fait comparable à celui que procura il y a quelques années le
Baby Brain de
Greg Egan. «
[David Marusek] n'a pas fini de faire parler de lui dans les années à venir » s'exclame
Gardner Dozois dans sa présentation de l'auteur. J'espère bien...
Philippe BOULIER
Première parution : 1/12/1999 dans Bifrost 16
Mise en ligne le : 6/9/2003