Roger Zelazny est né le 13 mai 1937 dans l'Ohio. Très tôt, après des études à l''Université de Columbia, il entreprend une carrière littéraire qui lui a déjà valu de nombreux prix. Il est marié et vit actuellement à Baltimore.
Francis Sandow est le doyen de la race humaine bien que son corps soit celui d'un jeune homme. Sa fortune est l'une des plus colossales de l'univers connu, mais surtout il est l'un des vingt-six Noms vivants. C'est-à-dire qu'en lui-même réside, en plus de sa personnalité humaine, celle du dieu Shimbo de l'Arbre Noir.
Jadis il a façonné, par sa seule puissance psychique, l'île des morts sur une des planètes de son domaine. Aujourd'hui, un inconnu a rappelé à la vie plusieurs amis ou ennemis de Sandow, disparus depuis des siècles. Celui-ci est obligé de quitter son monde de luxe et d'oisiveté pour affronter l'ennemi qui cherche sa perte. Mais ce dernier a usurpé le Nom d'une autre divinité et deux forces cosmiques colossales vont se heurter sur l'île des morts.
Critiques
Il s'agit, en fin de compte, d'un space opera, agrémenté peut-être de fantasy, compliqué sans doute du bon vieux paradoxe de Langevin, émaillé très certainement de dissertations philosophico-écologistes... mais d'un space opera tout de même. Plus exactement, d'un space opera que l'on pourrait dire « revu et corrigé » par la « new-thing ». Un space opera qui serait, finalement, au genre lui-même, ce que Le Bon, la Brute et le Truand est au western.
D'ailleurs, à propos de Sergio Leone, peut-être serait-il bon que quelqu'un se penche quelque jour sur tout ce qui l'oppose, ou le distingue, des metteurs en scène qui ont illustré le genre. Il n'est pas improbable que les différences ainsi mises en lumière éclairent d'un jour nouveau le roman dont il est question ici : L'Ile des Morts.
Quoi qu'il en soit, voilà bien un récit propre à réhabiliter le « nouveau style » aux yeux des afficionados de la vieille garde. Les inconditionnels des « Rois des Etoiles » ou du « Dernier Astronef » se retrouveront là en terrain conquis. Et c'est vrai qu'au fond, il n'existe guère de divergences, entre le roman déjà cité de Hamilton et celui de Zelazny. Rien en tout, cas qui puisse effaroucher les allergiques à « La bête qui criait amour... ».
II est vrai aussi que Zelazny a toujours fait figure de gardien des vieux principes. Même dans ses textes les plus « avancés », il semble se garder d'aller trop loin. Sa mesure devrait donc lui valoir l'adhésion d'un double public, puisqu'il a su se tenir à l'écart de la querelle des anciens et des modernes.
C'est pourtant ce que je lui reprocherai, à cause peut-être de la brièveté du roman qui n'est pas à la mesure de l'importance du propos, si l'on considère que celui-ci se situe hors du cadre de l'histoire proprement dite.
Mais j'ai cité plus haut Sergio Leone et le lecteur aura pu s'en étonner. Pourtant, Isle of the Dead m'a curieusement rappelé le cinéaste italien de westerns. A cause du schéma comme à cause du procédé qui consiste à préciser le personnage en s'écartant du sujet. Ceux qui ont vu l'un des quatre films du co-réalisateur deSodome et Gomorrhe auront sans doute compris. Les multiples gros plans, les allusions, certains dialogues, visent plus à dépasser le cadre du sujet qu'à le mieux cerner. Ainsi a-t-on l'illusion d'une aventure très étoffée qui se résume pourtant à un canevas extrêmement simpliste. Hormis peut-être Pour une poignée de dollars, le premier de sa production... mais ceci est hors de propos.
Le canevas de L'Ile des Morts peut donc se comparer à ceux des films de Leone, et en particulier à celui du troisième. Le bon, c'est Francis Sandow, Shimbo pour les Pei'ens, héros et pseudo-narrateur du roman. Pas si bon que cela, du reste, ni très pur, ni infaillible, ni toujours très courtois. Astucieux tout de même et ainsi très semblable au personnage interprété par Clint Eastwood. Assez rusé par exemple pour se tirer du guêpier où il a cru bon de se fourrer.
En chemin, il rencontre un adversaire inattendu en la personne du Pei'en Vervair, qui lui aussi pourra faire songer au truand de Leone. Individu raté, peut-être habile, en tout cas propre à mettre des bâtons dans les roues de ce pauvre Sandow parce qu'il est trop susceptible pour en admettre la supériorité.
La brute dont il est fait plusieurs fois allusion n'interviendra pourtant véritablement qu'à la fin, au cours d'un duel fulgurant mêlant hommes et dieux et auquel il ne manque qu'un peu d'humour pour que la ressemblance soit parfaite avec l'un des films mis en cause. Duel pratiquement sans originalité, mais ceux de Leone le sont-ils vraiment ?
Donc, vu sous cet angle, c'est-à-dire au niveau du sujet apparent, il y a de quoi être particulièrement déçu par cette histoire somme toute conventionnelle. Rien de bien nouveau de la part de Zelazny. Où sont nos classiques d'antan ?
Et pourtant ?
Pourtant, comme chez Leone, le sujet proprement dît ne fait rien à l'affaire. Celui-ci nous touche plus par les tics de Jo le Solitaire ou les manies du personnage interprété par Eli Wallach, il nous intéresse davantage avec les réparties de Peripero ou la montre musicale du drogué de Et pour quelques dollars de plus... que pour les allées et venues des protagonistes. Il en va de même avec Roger Zelazny dont le roman n'est en fait qu'un prétexte. Ce qui est à la fois sa qualité et son défaut majeur.
Son défaut parce qu'il aurait fallu trouver autre chose ou étoffer davantage. Tout le reste n'excuse pas le canevas presque infantile et une fin véritablement « en queue de poisson ».
Sa qualité parce que l'intérêt s'en trouve parfaitement soutenu et, justement, éveillé en raison même de la faible densité du récit. Le lecteur pouvant, sans crainte de « s'y perdre », oublier le récit et laisser son esprit vagabonder ailleurs, les nombreuses dissertations qui émaillent le roman n'en ont que plus de poids, accaparant sans problème toute l'attention.
Ainsi avons-nous une amorce séduisante de métaphysique, inspirée peut-être des mythologies scandinaves, où il est fait état d'une croyance en des esprits supérieurs, des dieux, parfaitement compatibles avec l'évolution foudroyante de l'espèce humaine. Les lecteurs de l'EIric de Moorcock se retrouveront en pays de connaissance. Reste à savoir si l'un a influencé l'autre ou si le mouvement beatnick les a inspirés tous deux.
Plus intéressants sont pourtant les commentaires s'attachant à des sujets qui concernent l'homme du XXème siècle que je suis. A diverses reprises, Zelazny s'attaque à l'écologie, à l'économie, à la puissance de l'argent, sujets qui ne nous sont point étrangers et devant lesquels il affirme en quelque sorte sa couleur politique. Les commentaires de Nick le Nain sur la beauté est l'un des meilleurs exemples des dissertations que l'auteur impose. « Toute la misère du monde, » dira celui-ci, « provient de la beauté. » (page 62)... « c'est elle le véritable principe du mal. » Et le dialogue qui s'ensuit en sera la démonstration.
Je ne veux ici ni résumer, ni approuver, ni renier non plus ces sortes de parenthèses dans le récit proprement dit. Il conviendrait plutôt de préciser si celles-ci sont justifiées ou non. Je voudrais seulement faire remarquer que cette façon de procéder accentue en quelque sorte la différence entre la science-fiction d'autrefois, spécifiquement d'aventures. Il y a donc là un souci évident de « faire adulte ». Peut-être est-ce au fond le moyen de convaincre un public non averti que cette actualisation d'une histoire du futur ?
II est donc regrettable que Zelazny n'ait pas toujours bien su mêler les deux plans de l'ouvrage, mais le fait d'avoir tenté de dépasser le cadre du récit mérite qu'on l'en félicite. Leone a pu de cette, façon renouveler le western. Le space-opera peut lui aussi à son tour trouver un second souffle.
Il y a donc un côté novateur et un côté désuet dans cette « Ile des Morts ». C'est ce qui me l'a fait lire avec plaisir et tendresse. Zelazny sait aussi saisir les belles images (non moins joliment rendues par Alain Dorémieux son traducteur) et le monde dans lequel se déroule la dernière phase du récit mérite à plus d'un titre d'être visité, comme le Skull Island deKing Kong, avec ses roches, ses brouillards, ses marécages et ses monstres.
Ce qui prouve que L'Ile des Morts vaut bien d'être explorée.
A la fois jeune premier et auteur affirmé de la new wave, Roger Zelazny s'engage en 1969 avec L'Ile des morts dans une voie différente de ses précédentes œuvres, un changement prudent, mais qui préfigure le succès planétaire qui l'attend. Le narrateur, Francis Sandow, est un créateur de mondes — ou plus, prosaïquement, un astro-paysagiste. Archétype suprême du héros de pulp (magnat richissime, aventurier accompli, doyen de l'humanité, détenteur du pouvoir divin de la création), Sandow affronte dans ce roman son pire adversaire, celui dont même le plus puissant des hommes ne peut s'affranchir : la mort. Cette confrontation se matérialise en un défi lancé par un mystérieux extraterrestre qui, réfugié sur l'une des créations de Sandow, une planète baptisée L'Île des morts, s'amuse à y faire ressusciter des proches du héros, de l'amante docile à l'ennemi juré.
Les enjeux narratifs de L'Ile des morts, a priori propices à engendrer un honnête roman d'aventures spatiales, sont cependant détournés par son auteur pour des motifs plus terre-à-terre. Si la progression de Sandow jusqu'au repère de son adversaire sert de justification au déroulement du récit, ses péripéties sont en réalité des représentations théâtrales de ses états d'âme — atermoiements autour de sa richesse consommée, de sa longévité usante, de sa vie prétentieuse et de sa mort latente. Son opposant, qui sera d'ailleurs multiple, comme s'il ne s'agissait que de reflets du narrateur, symbolise la mort prochaine de Sandow, la mort à laquelle aucun héros de science-fiction ne peut échapper. Les parties réflexives du roman sont de fait plus convaincantes que celles purement pulp, artificielles et encore trop encombrées d'une quincaillerie datée et de dialogues invraisemblables — la narration des aventures de Sandow étant elle-même raillée par celui-ci, timidement mais régulièrement, à travers l'usage d'interjections telles que « [je ne suis] pas là pour écrire un roman. »
Le second aspect notable de L'Ile des morts est la mise entre parenthèses de l'exploitation des mythologies terriennes, un procédé qui avait fait la renommée des premiers romans de Roger Zelazny, pour une tentative de création d'une mythologie inédite — voire d'une méta-mythologie. En effet, Sandow est un initié de la religion Pei'enne. Cette religion extraterrestre, dont la cosmogonie n'est qu'esquissée dans le roman, repose notamment sur la consécration de grands prêtres qui sont chacun investis du pouvoir d'un dieu. Sandow a bénéficié de cette consécration, c'est grâce à cela qu'il est devenu un créateur de mondes et que réside en lui la présence immanente de Shimbo, le dieu bienfaisant de la création. Cette volonté de doter un humain d'un pouvoir divin — d'incarner une mythologie — apparaît comme une étape logique dans le cheminement de Zelazny : créer une mythologie après avoir mis en perspectives celles qu'il connaît. La prochaine étape (la création exhaustive d'une mythologie) sera effective dès l'année suivante avec la parution du premier tome du cycle d' « Ambre » — dont le succès n'est donc pas si anodin, si on le considère comme la conclusion de la démarche de Zelazny en regard de la mythologie.
Treize ans et dix-sept romans plus tard, Roger Zelazny transpose le duel de L'Ile des morts dans la mythologie amérindienne. Il narre dans L'Œil de chat [...] 1
Si L'Ile des morts et L'Œil de chat séduisent dans leur démarche, ils pèchent toutefois quelque peu, par maladresse ou par langueur, dans l'accomplissement de l'intrigue en elle-même. Ce n'est pas le cas du Sérum de la déesse bleue — dont le titre original To die in Italbar est plus évocateur — qui réussit à draper les thématiques chères à Roger Zelazny d'une couverture romanesque plus honorable.
L'Ile des morts, L'Œil de chat et Le Sérum de la déesse bleue sont symptomatiques des romans de Roger Zelazny. Auteur apparemment peu attiré par la nature humaine, il semble n'avoir de cesse que de transcender cette condition au travers de ses héros, qui sont télépathes (des échanges de pensées subtils s'opposent à des dialogues parfois ineptes), deviennent des surhommes (habités par des dieux, ils se font pure mythologie), ou défient le Temps et l'Histoire (par la cryogénisation, le voyage stellaire, le terrorisme...). Souvent misanthropes et seuls (mais réunis par l'artifice de la création littéraire), ils sont en prise avec les courants contraires de la création et de la mort. Chacun de ces trois romans se clôt par un happy end bancal, peu convaincant, comme forcé, comme si l'écrivain voulait défier la mort en laissant ses héros en vie, ou comme si lui-même ne croyait pas qu'au fond une histoire pouvait finir dans la joie et la félicité.
On peut recommander, avec des réserves, chacun des trois romans, L'Ile des morts pour son importance historique dans la carrière de son auteur, L'Œil de chat pour la trop rare incursion de la science-fiction en terre indienne qu'il constitue, et Le Sérum de la déesse bleue pour son charisme passager. Mais au lieu d'une addition de simples romans souvent inaboutis pris indépendamment, l'œuvre de Roger Zelazny semble plutôt devoir être envisagée comme une tapisserie sans fin dont chaque texte ne serait qu'un motif, une mythologie moderne dont le seul objectif serait de défier la mort. L'écriture chez Zelazny prend la forme d'un courant créateur défiant une échéance que celui-ci paraît redouter. Le côté parfois un peu trop expédié de ses romans acquiert alors une signification particulière si on considère que Zelazny était pressé, trop pressé, d'écrire chaque roman, comme si chaque nouvel acte d'écriture l'éloignait davantage de la mort et de l'oubli.
PS : pour les curieux, signalons que Roger Zelazny avait déjà mis en scène Francis Sandow dans une courte nouvelle anecdotique, « Lugubre lumière » (in Galaxie nº 95), face à son fils, emprisonné dans une planète prison de sa création.
Notes :
1. La partie consacrée à L'Œil de chat dans cette recension n'a pas été reproduite ici. [note de nooSFere] 2. La partie consacrée à Le Sérum de la déesse bleue dans cette recension n'a pas été reproduite ici. [note de nooSFere]