« En un autre pays » est le second volume d'une anthologie de la nouvelle de science-fiction française, qui en comprendra quatre. Le premier, « Le Grandiose Avenir », couvrait les années 50.
Celui-ci concerne la première moitié des années 60. Ce furent pour la science-fiction française des années difficiles, mais des années qui affermirent les vocations, affinèrent les talents et consacrèrent la maturité du genre. C'est alors que s'opéra la synthèse entre la tradition française du roman philosophique et scientifique, divers courants de première importance comme le surréalisme et le nouveau roman, et le riche apport anglo-saxon.
Au cours de ces vingt dernières années, le domaine français s'est progressivement affirmé comme un courant certes marginal, mais peut-être essentiel du panorama littéraire de ce pays. Loin de se calquer sur le modèle américain, il a développé sa propre personnalité, riche, diverse, au point d'imprégner profondément aujourd'hui de ses recherches et de ses idées la littérature dite générale. Dans ce courant, l'art de la nouvelle a tenu une place décisive.
Cependant, ce domaine reste trop mal connu du public cultivé, soit que celui-ci doute, à tort, de la valeur littéraire de ces oeuvres, soit qu'elles soient devenues inaccessibles. Il n'existait jusqu'ici aucune anthologie composée avec exigence à partir d'une masse impressionnante de textes.
La présente anthologie, dont deux volumes sont parus, vise à combler cette lacune, à permettre la découverte d'un aspect passionnant de l'aventure littéraire de ce temps, et enfin à restituer à la science-fiction française une identité jusque-là discutée et désormais incontestable.
1 - Gérard KLEIN, Préface, pages 9 à 22, préface 2 - Alain DORÉMIEUX, L'Habitant des étoiles, pages 23 à 44, nouvelle 3 - Roland TOPOR, L'Amour fou, pages 45 à 50, nouvelle 4 - André RUELLAN, Point de tangence, pages 51 à 59, nouvelle 5 - Juliette RAABE, Journal d'une ménagère inversée, pages 61 à 69, nouvelle 6 - Jean-Paul TOROK, Point de lendemain, pages 71 à 83, nouvelle 7 - Philippe CURVAL, Tous les pièges de la foire, pages 85 à 102, nouvelle 8 - Daniel DRODE, La Rose des énervents, pages 103 à 123, nouvelle 9 - ARCADIUS, Chronique des rapaces, pages 125 à 140, nouvelle 10 - Julia VERLANGER, Le Mal du dieu, pages 141 à 148, nouvelle 11 - Marcel BATTIN, Le Visiteur, pages 149 à 156, nouvelle 12 - Pierre VERSINS, L'Enfant né pour l'espace, pages 157 à 184, nouvelle 13 - Charles DOBZYNSKI, L'Opéra de l'espace, pages 185 à 190, extrait de roman 14 - Jacques STERNBERG, Les Éphémères, pages 191 à 201, nouvelle 15 - Charles HENNEBERG & Nathalie HENNEBERG, La Vallée d'Avallon, pages 203 à 2118, nouvelle 16 - Michel EHRWEIN, Le Retour des cigognes, pages 219 à 224, nouvelle 17 - Gérard KLEIN, La Planète aux sept masques, pages 225 à 237, nouvelle 18 - Stefan WUL, Jeux de vestales, pages 239 à 250, nouvelle 19 - Michel CALONNE, Les Gémeaux, pages 251 à 268, nouvelle 20 - Claude VEILLOT, En un autre pays, pages 269 à 289, nouvelle 21 - Michel DEMUTH, L'Homme de l'été, pages 291 à 316, nouvelle
Critiques
Après « les années 50 » de la SF française 1 — années de découverte et d'éclatement, voici les années 60 à 64, années de resserrement, de mûrissement : beaucoup de collections et de revues ont disparu, disparaissent, ne reste pratiquement, pour accueillir les novellistes, que Fiction, obligé de sévèrement sélectionner sous la baguette magistrale de Dorémieux... Prenant en compte lui-même cette fois, et avec autant de bonheur que de justesse dans l'analyse, cette période-charnière, Klein, dans sa préface, rappelle l'influence prépondérante du rédacteur en chef de notre revue (plus « censeur » qu'« animateur », mais dont la présente antho représente (les propres choix au dixième), et délimite les lignes de forces de la SF nationale en train de jeter aux orties la tutelle américaine, une SF qui, pour être toujours celle de l'« évitement » (en politique) n'en acquiert pas moins un style, une personnalité.
Quelques remarques mineures et sans doute subjectives pour ce qui est de l'agencement du volume : au lieu d'y refaire figurer Battin et Verlanger (qui avaient dit le peu qu'ils avaient à dire la décennie précédente), mieux aurait valu réintroduire Cheinisse et Renard, toujours fidèles au poste dans la qualité ; : et y faire ajouter André Hardellet, dont la parenté au genre, pour brève qu'ele fut, n'en reste pas moins de valeur. Pour les textes, on ne peut guère chipoter que sur le Versins (L'enfant né pour l'espace, vieilli, mal, et geignard, à quoi on aurait pu préférer La ville du ciel, texte insolite écarté par orthodoxie), sur le Klein (La planète aux sept masques, une de ces variations bradburyennes et symboliques que son auteur affectionne, mais que Le vieil homme et l'espace ou surtout Lettre à une ombre chère eût avantageusement remplacé), et sur le Topor (L'amour fou) qui fit bien mieux dans le canularesque.
A part ces broutilles, l'anthologie est admirablement composée : 11 textes « terriens » et 9 « spatiaux » — et en ce qui concerne le premier groupe, 5 récits au présent, 6 au futur. On en retiendra surtout L'habitant des étoiles de Dorémieux (sobre, froid, cruel, étonnamment moderne) : Point de tangence de Ruellan (subtile variation sur la folie et l'invasion intérieure) ; Journal d'une ménagère inversée de Juliette Raabe (une « vie à l'envers » vue côté cabas) ; La rose des énervents de Drode ; Le retour des cigognes de Michel Ehrwein ; et En un autre pays et Les gémeaux, de Claude Veillot et Michel Calonne (deux variations parallèles sur le thème du « navire-étoile »). D'ailleurs, à part Topor, Battin et Verlanger, tout serait à citer. Et le plus surprenant, dans cette réussite multi-têtes, est sans doute le fait que, douze à quinze ans après, des textes qui avaient été écrits pour une éphémère parution en revue, acquièrent grâce au recul, et malgré leur accumulation (souvent fatale), une solidité de classiques qu'ont eût sans doute déniée à la plupart , jadis. En somme une réussite majeure, un livre à lire par tous, et d'urgence, qui mérite pour une fois le redoutable cocorico ! d'honneur.