Ray BRADBURY Titre original : One More for the Road, 2002 Première parution : William Morrow / HarperCollins, 2002 Traduction de Hélène COLLON Illustration de KAÏN
FLAMMARION
(Paris, France), coll. Imagine n° (49) Dépôt légal : septembre 2004 Première édition Recueil de nouvelles, 364 pages, catégorie / prix : 20 € ISBN : 2-08-068456-6 Genre : Imaginaire
Quatrième de couverture
Né en 1920 dans l'Illinois, Ray Bradbury publie ses premiers récits dans des pulps tels Weird Tales. Son style poétique et son imaginaire onirique en font vite un écrivain à part, décalé, inclassable. Auteur des incontournables chefs-d'œuvre que sont Chroniques martiennes et Fahrenheit 451, il donne à voir notre propre monde sous un angle et dans un style très personnel en feignant d'en inventer d'autres. A plus de quatre-vingts ans, il a été couronné d'un prestigieux National Book Award pour l'ensemble de sa carrière.
Voici dix-huit nouvelles récentes signées du maître Ray Bradbury, parues en revues mais jamais réunies en volume, auxquelles s'ajoutent sept inédits. Nouvelliste prolifique, ce prodigieux artiste propose ici un florilège de ses thèmes de prédilection : la douce innocence de la jeunesse, la sagesse ou, au contraire, l'inconséquence de la vieillesse, la nostalgie des mystérieux étés évanouis, des amours trahies, des lieux abandonnés, à la faveur de récits étranges, intensément dialogués, de personnages attendrissants et de décors dépaysants, le tout assaisonné d'humour discret. Si la science-fiction qui a fait sa gloire reste présente ici (Laurel et Hardy apaisant la nostalgie des colons humains qui ont essaimé dans l'espace), il est surtout question du passé qui s'éloigne et revient parfois hanter ceux qui le regrettent. Un homme s'émeut ainsi de voir son défunt père lui apparaître au bord d'un terrain de golf ; ou encore un écrivain construit une machine à voyager dans le temps pour retourner convaincre un de ses ex-protégés de continuer à écrire car il a du génie... Un savoureux cocktail de tendresse et de fantaisie, par l'un des plus grands auteurs américains, dont la réputation a dépassé depuis longtemps les strictes frontières de la littératures de genre.
1 - La Rentrée (First Day, 2002), pages 11 à 24, nouvelle, trad. Hélène COLLON 2 - Greffe de coeur (Heart Transplant, 1981), pages 25 à 37, nouvelle, trad. Hélène COLLON 3 - Donnant donnant (Quid Pro Quo, 2000), pages 39 à 52, nouvelle, trad. Hélène COLLON 4 - Après le bal (After the Ball, 2002), pages 53 à 64, nouvelle, trad. Hélène COLLON 5 - In memoriam (In Memoriam, 2002), pages 65 à 73, nouvelle, trad. Hélène COLLON 6 - Tête-à-tête (Tête-à-tête, 2002), pages 75 à 83, nouvelle, trad. Hélène COLLON 7 - Le Dragon danse à minuit (The Dragon Danced at Midnight / The Year the Glop Monster Won the Golden Lion at Cannes, 1966), pages 85 à 106, nouvelle, trad. Hélène COLLON 8 - Le Dix-neuvième trou (The Nineteenth, 2002), pages 107 à 113, nouvelle, trad. Hélène COLLON 9 - Les Bêtes (Beasts, 2002), pages 115 à 136, nouvelle, trad. Hélène COLLON 10 - Après-midi d'automne (Autumn Afternoon, 2002), pages 137 à 141, nouvelle, trad. Hélène COLLON 11 - Là où règne le vide, on se déplace comme on veut (Where All is Emptiness There is Room to Move, 2002), pages 143 à 162, nouvelle, trad. Hélène COLLON 12 - One-Woman Show (One-Woman Show, 2002), pages 163 à 173, nouvelle, trad. Hélène COLLON 13 - La Grande tournée d'adieu de Laurel et Hardy sur Alpha du Centaure (The Laurel and Hardy Alpha Centauri Farewell Tour, 2000), pages 175 à 190, nouvelle, trad. Hélène COLLON 14 - Nettoyage par le vide (Leftovers, 2002), pages 191 à 207, nouvelle, trad. Hélène COLLON 15 - Un dernier pour la route (One More for the Road, 2002), pages 209 à 223, nouvelle, trad. Hélène COLLON 16 - « Tangerine » (Tangerine, 2002), pages 225 à 244, nouvelle, trad. Hélène COLLON 17 - Des sourires grands comme l'été (With Smiles as Wide as Summer, 1961), pages 245 à 252, nouvelle, trad. Hélène COLLON 18 - Entre-temps (Time Intervening / Interim, 1947), pages 253 à 260, nouvelle, trad. Hélène COLLON 19 - L'Ennemi dans le blé (The Enemy in the Wheat, 1994), pages 261 à 275, nouvelle, trad. Hélène COLLON 20 - Gare ! (Fore!, 2001), pages 277 à 285, nouvelle, trad. Hélène COLLON 21 - Mon fils Max (My Son, Max, 2002), pages 287 à 297, nouvelle, trad. Hélène COLLON 22 - L'Accumulateur F. Scott/Tolstoï/Achab (The F.Scott/Tolstoy/Ahab Accumulator, 2002), pages 299 à 314, nouvelle, trad. Hélène COLLON 23 - Alors, qu'as-tu à dire pour ta défense ? (Well, What Do You Have to Say for Yourself?, 2002), pages 315 à 324, nouvelle, trad. Hélène COLLON 24 - Diane de Forêt (Diane de Forêt, 2002), pages 325 à 333, nouvelle, trad. Hélène COLLON 25 - Le Grillon du foyer (The Cricket on the Hearth, 2002), pages 335 à 351, nouvelle, trad. Hélène COLLON 26 - La Métaphore, petit déjeuner du champion (Metaphors, the Breakfast of Champions, 2002), pages 353 à 359, postface, trad. Hélène COLLON
Critiques
Vingt-cinq nouvelles, dix-huit déjà publiées et sept inédites. Très peu de science-fiction, un peu de fantastique, beaucoup de poésie. Voilà le programme de ce recueil nostalgique placé sous le signe du temps qui passe, du regard doux-amer sur le passé. Un écrivain plus tout jeune, Ray Bradbury, se penche sur les liens entre les générations, les regards que chacune peut porter sur l’autre, l’envie de revivre ce qui a disparu, de revoir ceux qui ne sont plus. Sans perdre son ironie parfois mordante, ni cette tristesse ténue et omniprésente de celui qui a vécu beaucoup et voit disparaître un monde.
Dans « La Rentrée » ou dans « Après le bal », des anciens, comme l’on dit pudiquement de nos jours, recouvrent la jeunesse, en pensée ou en réalité… Dans « Inmemoriam », un père évoque son fils disparu, par l’entremise d’un panier de basket. Dans « Tête-à-tête », c’est une femme qui peut, grâce à une trouvaille originale, continuer à converser avec son mari mort depuis peu. Enfin, dans « Entre-temps », un homme se voit à plusieurs moments de son existence lors d’une soirée, se redécouvre enfant, jeune marié, passionné.
La nostalgie est présente dans la plupart des nouvelles, même dans « La Grande tournée d’Adieu de Laurel et Hardy sur Alpha du Centaure », l’un des rares textes de SF de ce recueil. Les fantômes de ces grands acteurs sont convoqués numériquement pour redonner le moral aux hommes isolés dans différentes bases spatiales. Ou dans « L’accumulateurF.Scott/Tolstoï/Achab », quand une machine à remonter le temps permet au narrateur d’essayer de sauver de leur funeste destin quelques grands noms de la littérature.
Mais Ray Bradbury se laisse aussi parfois guider par les mots, les phrases, les idées, dans des nouvelles fantasques, folles… peut-être pas tant que ça, malgré tout. « L’Ennemi dans le blé » met en scène un homme qui s’imagine une bombe tombée dans son champ de blé sans exploser. Sa vie serait en danger permanent. Une façon pour lui de donner un peu de piment à son existence trop morne, trop terne. Avec « Le Grillon du foyer », une surveillance inexpliquée d’un couple sans histoire par le FBI amène un peu de piment dans une existence bien réglée, sans plus de passion : elle est l’occasion de revivre un peu, avant de tomber à nouveau dans le train-train fade du quotidien. Dans « Le Dragondanseàminuit », une critique amusée de certains réalisateurs d’avant-garde, Ray Bradbury met en scène un producteur de cinéma raté. Mais un jour, sa fortune est faite grâce à un projectionniste saoul qui mélange les bobines du film et crée malgré lui un chef-d’œuvre…
Ray Bradbury dit de lui-même qu’il a « essuyéunvéritable déluge de métaphores ». Cela illustre bien l’amour des mots et des idées du bonhomme. On le sent prêt à noter une phrase sur un bout de nappe en papier pour en faire une nouvelle le soir même, de retour chez lui. Bien sûr, les résultats sont inégaux. Toutes les intuitions ne se valent pas. Certains textes restent légèrement abscons, comme « One-woman show » ou « Là où règne le vide, on se déplace comme on veut ». Mais ce recueil est une agréable balade, comme un bonbon sucré à l’arrière-goût acidulé, promenade dans laquelle il serait dommage de ne pas se laisser entraîner.
Avec Les garçons de l'été, vous allez vous retrouver avec, entre les mains, un recueil de vingt-cinq nouvelles du maître Bradbury. Dix-huit nouvelles récentes, et sept inédites. N'allez cependant pas chercher ici des textes « de genre ». Avec seulement trois nouvelles flirtant vaguement avec la science-fiction (deux machines à voyager dans le temps, « Donnant donnant » et « L'Accumulateur F.Scott/Tolstoï/Achab », et un voyage sur Alpha du Centaure avec Laurel et Hardy), c'est plutôt du côté du réalisme magique et de la littérature générale qu'il faut aller chercher. Et encore, réalisme magique est une expression souvent trop forte, tant il faudrait plutôt parler de merveilleux, de rêve éveillé, de fantasmagorie.
Avec la délicatesse, l'humour et l'humanité qui caractérisent cet auteur, Ray Bradbury nous offre ici un recueil d'images, d'émotions, de mots. Une poésie douce-amère, une constatation sur le temps qui passe et les émotions qu'il recouvre, de l'enfance à la vieillesse et retour. Il donne surtout l'impression d'un travail de l'auteur sur la vie et les hommes en général. Non pas un arrêt, un regard en arrière après une longue vie bien remplie, mais plutôt une halte sur le bord du chemin, le temps de souffler avant de reprendre la route.
Certains textes sont de véritables perles poétiques, claires et limpides (« Filet de basket » ; « Le 19éme trou »), d'autres ressemblent à des cartes postales (« Là où règne le vide... »). D'autres encore sont une succession de mots à la limite du compréhensible, un travail sur le langage poétique qui rend souvent le texte difficile à saisir, où le lecteur doit lutter pour trouver un sens, sens qui, malgré tout, lui échappe parfois (« One-woman show » ; « Les Bêtes »). L'humour n'est pas exempt, mais un humour blême, qui cache bien souvent l'amertume et la tristesse (« La Grande tournée d'adieu de Laurel et Hardy... » ; « Nettoyage par le vide »). L'œil et la plume de Ray Bradbury s'allient pour nous offrir un monde étrange et irréel, à la limite du fantastique.
Un recueil magnifique, qui défie le temps, à lire les rares fois où l'on est en paix avec le monde et avec soi, par une froide soirée d'automne au coin du feu. Un peu de frissons, et beaucoup de nostalgie.
Pénétrer dans un recueil de nouvelles de Ray Bradbury, c'est déclencher un torrent d'émotions. La première, c'est assez invariablement l'agacement : quoi, Bradbury nous redonne à lire les mêmes textes qu'auparavant ? Il faudrait qu'il se renouvelle un peu, quand même !
Toutefois, cet énervement laisse très rapidement la place à une sorte de quiétude, à mesure que l'on se replonge dans ces textes finement ciselés, qui nous parlent avec nostalgie de notre enfance, de nos souvenirs, de cette époque révolue où tout n'était qu'insouciance et apprentissage de la vie. Et, sans qu'on s'en soit rendu compte, on est passé au stade du ravissement, tant le plaisir de l'auteur — celui qu'il a eu à composer ces petits morceaux d'humanité — est communicatif. Bien sûr, tout n'est pas toujours totalement réussi ou abouti (le texte sur Laurel et Hardy ressuscités aux quatre coins de la galaxie est plaisant, sans plus), mais il est des textes qui s'imposent comme des réussites majeures. Dans « Donnant donnant », par exemple, un écrivain remonte dans le temps pour y convaincre un de ses collègues qu'il doit persévérer, car il est un génie (dans le monde « réel », il a abandonné la littérature). Ou encore « In Memoriam », où un père n'arrive pas à faire le deuil de son fils décédé trop tôt. Dans « Entre-temps », le jour de son arrivée dans sa nouvelle maison, un homme croise plusieurs instances de lui-même, datant aussi bien de sa jeunesse que de son futur.
On ne résumera bien évidemment pas toutes les histoires, mais en conclusion une chose est sûre : Ray Bradbury sait parler au coeur de ses lecteurs. Et, dans les domaines de l'imaginaire, c'est une vertu de plus en plus rare.