Hamilton : patronyme anglo-saxon qui prédestine tout écrivain qui le porte à écrire des récits de SF, notamment de
space opera. Comme
Edmond, son illustre homonyme, Peter F. raconte dans
Dragon Déchu les méfaits de pirates spatiaux. À la différence près qu'ici, les pirates, ce sont les Terriens. Au XXIV
e siècle, la conquête spatiale s'est heurtée à une dure réalité : elle coûte définitivement trop cher ! Aussi, seules les grandes compagnies capitalistes comme Ziantu-Braun (Z-B) peuvent encore se permettre ce luxe. Ayant participé financièrement à la terrafor-mation de mondes lointains, elles organisent ce qu'elles nomment pudiquement des « retours sur investissement ». C'est-à-dire qu'elles envoient une armada de militaires supérieurement armés pour piller méthodiquement les planètes ! La logique capitaliste poussée à son maximum de rapacité, aidée d'un système de représailles particulièrement vicieux. Les intérêts commerciaux priment sur tout.
Lawrence Newton est sergent dans l'armée de Z-B. Enfant, il ne rêvait que d'une chose : piloter un vaisseau spatial pour explorer la galaxie. Malheureusement, sa vie ne s'est pas vraiment déroulée comme il le souhaitait. Son père s'est comporté en vrai salaud, brisant son adolescence et sa vie à jamais.
Sur Thallspring, l'armée de Z-B se heurte à une résistance inattendue. Pas comme celle qu'elle a rencontré sur Santa Chico, où des humains génétiquement modifiés maîtrisant la morphogenèse l'ont contrainte pour la première fois à battre en retraite, mais une résistance sournoise, car indécelable. En effet, les activistes disposent d'un logiciel invulnérable,
Apogée, qui trompe à son gré les puissants logiciels militaires. Sauf Simon Roderick et ses clones, incarnation humaine d'une LA. qui n'est autre que la personnalité dirigeante du conglomérat Ziantu-Braun.
Apogée, dont curieusement le sergent Lawrence Newton dispose d'une copie... qui lui permet de mener ses propres projets, sans en référer à sa hiérarchie.
L'habileté de Peter Hamilton est remarquable à plusieurs niveaux. Dans sa capacité à entretenir le suspense, tout d'abord. Les événements passés ne sont dévoilés qu'au fur et à mesure de la progression de l'action. Ainsi, les motivations des principaux personnages n'apparaissent que progressivement et des situations de prime abord obscures s'éclaircissent. Par ailleurs, les descriptions technologiques de l'écrivain anglais sont d'un réalisme troublant. L'homme est amélioré grâce aux progrès de l'ingénierie génétique. À cet égard, les combinaisons dermiques des soldats du futur, armures quasiment vivantes et qui se branchent sur le système circulatoire de leur porteur, sont véritablement hallucinantes ! Elles décuplent la force physique, protègent contre les balles, évitent l'empoisonnement, soignent les blessures, rendent invisibles, détectent les dangers, etc. Le soldat est pour ainsi dire enfermé dans une intelligence artificielle qui le rend presque invulnérable.
De même, la description méticuleuse des vaisseaux interstellaires et des principes qui régissent les voyages spatiaux (portails et « trous de ver ») participe à cette « suspension de l'incrédulité » qui entraîne le lecteur dans les rouages d'un imaginaire florissant.
Hamilton sait aussi dresser un décor qui a de l'épaisseur. La terraformation de la planète Amethi, sur laquelle Lawrence a grandi, est présentée en détail. Les combats militaires, sur Santa Chico notamment, décrivent non seulement la puissance d'armes fracassantes, mais aussi les réactions de peur ou de courage des combattants, leurs stratégies, leurs espoirs, leurs rêves. L'humain n'est jamais oublié, même au pire de la bataille.
À noter — et c'est peut-être une faiblesse de l'ouvrage — que les soldats semblent devenir de plus en plus vulnérables au fil du récit. De même, lorsque Lawrence révèle son plan à son peloton, ces soldats à la discipline si rigoureusement respectée jusqu'alors se mettent curieusement hors-la-loi sans état d'âme.
Sans révéler le mot de la fin, Peter F., comme Edmond autrefois, mais avec infiniment plus de conviction et de crédibilité, entraîne son lecteur dans un profond vertige cosmique. Lorsque l'on découvre la vraie nature du
dragon déchu et que les anciennes légendes reprennent vie, Lawrence Newton, enfin, pourra être heureux.