« Nous, Zoulous ! avons une prophétie. Cette prophétie dit qu'un jour un enfant aux grands pouvoirs naîtra et qu'avec lui s'ouvrira une ère durant laquelle "amazoulou" signifiera terreur et mort pour tous les peuples du pays n'guni et des pays voisins, jusqu'à la mer, au sud, à l'ouest et à l'est, jusqu'aux Montagnes-De-La-Lune, au nord. Nous, Zoulous ! avons une prophétie... »
Récit d'initiation épique, roman de fantasy mâtiné de faits historiques, Le Trône d'ébène relate la stupéfiante ascension du fondateur de la nation zouloue, le destin d'un homme qui, au tournant du XIXe siècle, et en l'espace d'une poignée d'années, bâtira un empire si puissant qu'il en inquiétera jusqu'à la Couronne d'Angleterre.
Voici l'histoire de Chaka, de ses rêves, de ses conquêtes, de sa folie, l'histoire d'une Afrique où mythe et réalité mêlés sont le cœur même de la vie.
Thomas Day, auteur de onze romans, dont La Voie du sabre et L'Instinct de l'équarrisseur, a pas mal bourlingué ces dernières années, en particulier au Laos, en Thaïlande et au Cambodge. Quelque peu calmé depuis son ultime voyage, périple dont il nous est revenu marié, il a depuis posé son sac en banlieue parisienne, d'où il regarde tranquillement pousser le petit Judicaël, son fils.
1 - Avant-propos, pages 9 à 11, préface 2 - Annexes, pages 277 à 281, notes
Critiques
En 1807 apparaît chez les N'Gunis du Natal (peu ou prou l'actuelle Afrique du Sud) un dictateur qui fonde la nation zouloue en conquérant par les armes les autres tribus de la région. Chef de guerre insatiable atteint de folie sanguinaire, il sera assassiné par les siens en 1828. Ses successeurs combattront les Boers, puis les Anglais.
Telle est l'histoire du nouveau roman de Thomas Day, sous-titré Naissance, vie et mort de Chaka, roi des Zoulous. Ni science-fiction, ni fantasy, ce roman est une épopée sanglante. Et comme en Afrique, la magie n'est jamais absente, une épopée fantastique sanglante.
Ce qui frappe en premier c'est l'écriture, le souffle qui porte les exploits de ce guerrier hors du commun. Le destin de cet homme est exceptionnel, mais l'énumération de ses conquêtes guerrières serait lassante si elle n'était contée dans une langue aussi inspirée.
C'est l'histoire du premier fils désiré d'un roi, conçu malheureusement pour lui hors mariage avec une concubine. Crime sacrilège qui permettra aux épouses légitimes d'exiger le bannissement du fils et de la mère quand elles-mêmes auront des héritiers. Un gamin martyrisé par les autres enfants du village jusqu'à son départ à l'âge de treize ans. Impavide, la mère assiste aux exactions dont son fils est quotidiennement victime, persuadée que ces brutalités forgent son caractère, que sa haine et sa rage le transformeront en messie guerrier. Une ancienne prophétie annonce en effet la venue d'un enfant sacré qui deviendra un grand roi et réunira sous sa coupe les autres tribus.
Pour vérifier son pressentiment, elle l'emmène voir une vieille sorcière qui vit au creux d'un arbre de la savane, en compagnie d'un cochon sauvage aux yeux bleus. Celle-ci confirme que peut-être... mais qu'elle ne pourra en être sûre que le jour où le garçon atteindra la puberté. Quand ce jour arrive et que l'enfant, pour la première fois, se réveille le sexe dur, c'est la mère qui le soulage. Geste fondateur, incestueux, d'une mère toute puissante qui le poussera à conquérir les tribus voisines, à tuer et à massacrer les bouches inutiles, à vendre aux Portugais une partie des prisonnières et des enfants, et à garder comme esclaves les plus beaux spécimens.
Enfant de la prophétie, Chaka est avant tout l'objet des dieux, dieux qu'il lui faudra parfois affronter, à l'instigation même de ces derniers. Ainsi combat-il une mère divine et monstrueuse, une lutte ô combien symbolique alors que dans sa vie personnelle, Chaka n'aura de cesse d'obéir aux dieux et à sa génitrice. Après quoi la première guerre est déclarée, et Chaka ne cessera plus de batailler, de tuer et de massacrer, encouragé par sa mère, par la prophétie, par la sorcière, et, bien sûr, par les dieux.
Car ce sont les dieux qui, en coulisse, manipulent les marionnettes humaines qui défendent sans le savoir leurs intérêts. Les dieux savent que seul un empire zoulou puissant pourra entraver la marche de l'homme blanc et leur donner quelques années de répit. Comme d'habitude, ils poussent les hommes à s'entretuer en leur nom, se moquant des dégâts collatéraux (des milliers de morts à chaque nouvelle conquête de Chaka, qui seront nombreuses).
A la fin de sa geste, les dieux ordonnent à Chaka d'entreprendre un voyage initiatique, jusqu'à un lac sacré où l'attend un dieu crocodile. Le cadeau du crocodile (symbole du père, père qui l'a banni !) le rendra fou.
La magie imprègne le récit, mais que serait une épopée africaine sans magie noire ? Une chanson de geste tout autant magnifique (un jour un enfant apparaît, porté par une prophétie il réunit sous sa coupe la nation zouloue) qu'horrifique du fait de la cruauté de Chaka, de son inhumanité. C'est un guerrier sans cœur fabriqué par les dieux et capable d'abattre ses alliés s'il les sent trop fragiles. Il ne se connaît qu'un unique amour, celui qu'il porte à sa mère, un amour qui le dévore.
A la fin du roman, avalé comme un bouillon poivré une nuit de grippe, deux réflexions totalement incorrectes me viennent. Je comprends mieux les dictateurs africains actuels qui ne font que perpétuer la tradition et la folie du roi des zoulous. Et je me demande si une société sans dieu(x) serait moins sanguinaire. Peu probable...
Thomas Day a du souffle, il sait raconter des histoires, mais il a surtout ce don incroyable qui consiste à se glisser dans l'âme d'un peuple pour la faire sienne le temps d'un livre.
Un enfant annoncé par une sombre prophétie qui, grâce à une lance magique, est devenu soldat, roi et enfin empereur. Du moins c'est ce que nous raconte la légende — on n'est pas très loin du parcours d'un certain Conan. » (préface, p.10)
Nul besoin de résumer davantage l'intrigue de ce roman où Thomas Day se fait conteur pour chanter l'épopée guerrière de Chaka Zoulou, étonnante figure africaine qui, « à la fin de sa vie, en 1828, aura quatre-vingt mille guerriers sous ses ordres et ira jusqu'à faire trembler l'Empire britannique. »
Comme pour La Voie du sabre, Thomas Day se défend d'emblée d'avoir écrit un roman historique. Il respecte les aspects magiques de la légende, même si chacun d'entre eux pourrait être réinterprété de manière réaliste. Chaka est-il vraiment l'enfant de la prophétie ou la sorcière Isangoma — dont le principal pouvoir semble être la persuasion — a-t-elle utilisé cette fable pour pousser Chaka vers un destin qui n'est écrit nulle part ? Les dieux Serpent-Des-Eaux-Vives, Marabout-Haut-Comme-Un-Arbre et Crocodile-Aux-Yeux-D'émeraude parlent-ils à Chaka ou celui-ci ne fait-il que délirer sous l'emprise de drogues ? Son invulnérabilité est-elle le fruit des scarifications magiques qui couvrent son corps ou de sa fureur qui impressionne et désarme ses ennemis ? Peu importe. Chaka vit désormais à jamais dans la mémoire des hommes et son nom ne connaîtra jamais l'oubli, comme le promettait la prophétie.
Chaka Zoulou est un véritable personnage de tragédie : rejeté par un père manipulé, victime d'une jalousie fratricide, portant un amour démesuré à une mère en quête de vengeance, il devient un conquérant digne d'Alexandre le Grand, un stratège digne de Napoléon, un être obsédé par les anglais dont il devine sans les connaître qu'ils seront l'ennemi à abattre, un tyran excessif jusqu'à sombrer dans une folie digne d'un empereur romain... Bref, voilà un personnage avec une dimension shakespearienne que Thomas Day s'est attaché à rendre avec son talent habituel.
Pourtant — est-ce parce que la brutalité peu ambiguë du personnage m'a moins touché ? ou parce que l'écriture m'a paru un peu trop sage pour du Day ? — je n'ai pas ressenti autant d'émotion à la lecture du Trône d'ébène qu'à celle de La Voie du sabre. Et ce d'autant plus que le sixième et dernier chapitre apparaît bien trop court, alors qu'il s'agit de celui qui voit croître « la folie de Chaka », celui où la dimension tragique du grand guerrier devrait culminer avant de quitter la scène... Ce dénouement, bouclé en seulement vingt-cinq pages, semble curieusement avoir moins inspiré l'auteur que les débuts du personnage.
Malgré cette légère réserve, le destin extraordinaire de Chaka Zoulou forme sous la plume de Thomas Day un récit impressionnant, naturellement plein de bruit et de fureur. A lire comme une tragédie antique, comme une épopée sauvage, avant d'enchainer éventuellement sur le Zoulou Kingdom de Christophe Lambert, dynamique uchronie où des milliers de guerriers zoulous frappent le coeur même de Londres.