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Comme le fantôme d'un jazzman dans la station Mir en déroute

Maurice G. DANTEC


Illustration de Tanino LIBERATORE

ALBIN MICHEL (Paris, France)
Dépôt légal : janvier 2009
Première édition
Roman, 224 pages, catégorie / prix : 16 €
ISBN : 978-2-226-18875-5
Genre : Science-Fiction



Quatrième de couverture
     « On n'avait pas des masses d'alternatives, Karen et moi, quand on a décidé de voler l'État qui essayait de nous voler nos vies. »

     Le long d'une autoroute qui file vers le sud, au son d'un saxophone kamikaze, la cavale hallucinée d'un couple atteint par un étrange neurovirus qui connecte leur cerveau à la station Mir et à son Ange Gardien, le jazzman Albert Ayler. Un voyage au-delà de la réalité et de l'infini, entre états altérés de la conscience et phases de réadaptation.
     Un Dantec à tombeau ouvert, dans la veine de Babylon Babies ou de La Sirène Rouge.
Critiques
     Un titre aussi long qu'intrigant, une couverture affichant une silhouette féminine sur fond jaune de Tanino « Ranx » Liberatore, seulement deux cent pages de texte imprimé en gros caractères, quatre chapitres aux titres extraits de la chanson Blue Suede Shoes, une écriture simple et fluide à la première personne dans un langage courant au style « gibsonien » : le premier contact avec le dernier Dantec a de quoi surprendre. L'auteur sulfureux des Racines du Mal nous a en effet habitués, depuis ces dernières années, à d'interminables pavés extrêmement sophistiqués — parfois indigestes — aux couvertures conceptuelles, et il serait bien tentant d'affirmer que ce Comme le Fantôme d'un Jazzman dans la Station Mir en Déroute a tout l'air d'un retour aux sources, tous les attraits d'une œuvre évoquant fortement les débuts d'un Dantec espérant renouer avec un lectorat qu'il aura perdu en route, au cours de sa période post-Babylon Babies engluée dans un imbroglio d'anticipations (prophéties ?) géopolitiques exposées dans un jargon, disons... très « technique ». Pour appuyer cette impression, force est de constater que sa précédente production, Artefact : Machines à Écrire 1.0, revenait également vers une littérature plus abordable pour le grand public. Ce serait mal connaître l'auteur, trop radical pour un tel repli derrière la ligne de front, mais ce constat n'est toutefois pas tout à fait erroné : les bases de Comme le Fantôme... datent en effet de 1995 (cf. interview sur son site officiel), au moment de la publication des Racines du Mal où, pour beaucoup, Dantec était au sommet de son art (et encore lisible, dirons les mauvaises langues). Nous serons donc moins étonnés de retrouver son style des débuts et son goût pour le road-movie qu'il nous communiquait déjà dans La Sirène Rouge, dont l'ombre plane sur l'ensemble de ce roman. Jugez plutôt...

     Dans Comme le Fantôme..., il est question du parcours d'un couple aux allures de Bonnie & Clyde lancé dans une série de braquages. Le narrateur et sa compagne, Karen, échappés d'un centre d'étude médical, sont tous deux atteints d'une maladie génétique dont les effets alternant états euphoriques et crises d'angoisse condamnent ses victimes à vivre dans un état maniaco-dépressif quasi-permanent. Le virus présente toutefois ses avantages, car il entraîne une sorte de lucidité extrasensorielle permettant de percevoir le monde et ses vérités invisibles, et d'assimiler ce qui demeure caché au commun des mortels. Surprise : ce « neurovirus » va les faire entrer en contact avec les astronautes de la Station Mir, en pleine dérive et sur le point de flamber dans l'atmosphère, ainsi qu'avec le jazzman Albert Ayler qui s'est donné pour but de les sauver...

     Depuis le temps que Dantec délivre ses vérités sur le monde et son époque, il n'est pas difficile de comprendre que, comme souvent dans son œuvre, l'auteur s'investit corps et âme dans son histoire en opérant une nouvelle mise en abyme, et qu'il s'inspire de son état d'esprit et de sa perception toute personnelle des choses pour construire son intrigue et l'alimenter (mais n'est-ce pas le propre de l'écrivain ?). A ce titre, le tueur recouvrant progressivement son identité dans Cosmos Incorporated où la disparition du langage et de l'écrit au profit d'un grésillement de modem dans Grande Junction, enrayée par une livraison de livres venus du Vatican, sont assez symptomatiques de sa volonté de transmettre une vision du monde, une opinion et des idées engagées via un genre permettant toutes les projections imaginables (en l'occurrence, la SF). Comme le Fantôme..., sous son aspect récréatif, ne déroge pas à la règle : Dantec a quelque chose à nous dire.

     Ses « héros » voient donc les vérités du monde que les autres ignorent grâce à un virus aux effets hallucinogènes, comparable à une drogue aux effets permanents ; c'est un peu, pour vous donner une idée, le syndrome Obélix : ils n'ont pas besoin de potion magique pour profiter de ses avantages, ils sont nés avec. Mais ce jeune couple souffre de cette condition car un État répressif opposé à toute forme d'évasion par des psychotropes (même involontaire) les étudie en milieu clos à des fins militaires, et seule une fuite en avant leur permet d'échapper à un système oppressant qu'ils abhorrent. Paradoxalement, des éclairs de lucidité dus à leur maladie, cause inépuisable de déprime et d'extase, représentent un outil formidable pour la conception des plans complexes qu'ils élaborent en vue d'exploiter le système pour financer leur voyage vers un ailleurs plus paisible : leur malédiction est donc aussi une bénédiction. On pourrait dire la même chose du talent d'un auteur percevant le monde d'une façon différente de l'homme lambda, qui provoque son exclusion des sphères sociales tout en assurant son succès critique et/ou commercial : de Lovecraft à Dick, les exemples ne manquent pas, et Dantec voit peut-être là un parallèle romantique au statut de l'écrivain maudit.

     Tout cela est fort intéressant mais cela ne suffit pas à raconter une histoire, me direz-vous. C'est ici que Dantec va faire évoluer son récit d'une manière surprenante en mêlant la Station Mir et le fameux jazzman du titre à son intrigue. On se demande bien pourquoi, tout en se réjouissant d'être étonné par cette histoire relativement classique pour un Dantec, mais l'auteur parvient à faire prendre la mayonnaise — si vous me passez l'expression — en nous apportant une explication non seulement compréhensible par tous, mais aussi passionnante. Sans trop en dévoiler, sachez simplement qu'il amalgame, comme à son habitude, technologie et spiritualité pour ficeler une intrigue parfaitement dans la continuité de son œuvre, où fuite en avant et abus de drogues dans un cadre cyberpunk mènent ses personnages vers une révélation mystique. La différence notable avec ses romans Cosmos Incorporated ou Grande Junction réside toutefois dans un parti-pris beaucoup plus divertissant ; pour être clair : Comme le Fantôme... est parfaitement rythmé, et on ne s'ennuie pas un seul instant.

     Alors certes, on pourrait qualifier le roman de longue nouvelle ; certes, on a parfois l'impression de lire un cocktail des précédents succès de Dantec (la fuite d'un homme et d'une fille de La Sirène Rouge, le pouvoir potentiel sans limite recelé par une femme de Babylon Babies, la révélation mystique par un ange de Cosmos Incorporated, les drogues comme outil de perception et de surpassement de... la plupart de ses histoires, etc.) ; certes, Comme le Fantôme... ne demeurera pas un Dantec majeur mais une sorte de roman transitoire ; pourtant, au final, on passe un bon moment, peut-être un peu frustré par une intrigue qui, en fin de compte, se résume au postulat de son titre, malgré son background scientifique et spirituel assez fouillé. Pas indispensable mais à lire, en attendant la prochaine œuvre d'un auteur qui, même en mode croisière, reste toujours intéressant à suivre.

Florent M. (lui écrire)
Première parution : 15/1/2009 nooSFere


     D'abord annoncé chez Plon, le Dantec nouveau est finalement sorti chez Albin Michel après ce qui ressemble fort à un imbroglio éditorial.

     D'après David Kersan, l'agent de Dantec, il s'agirait d'un texte contemporain de « Là où tombent les anges » — publié, rappelons-le, en 1995 — , mis de côté à l'époque et exhumé sur le tard sur ses conseils. Info ou intox ? On ne le saura jamais. Ce qui est sûr, en revanche, c'est que connaissant l'exigence de l'auteur envers son œuvre propre et sa tendance à relativiser, voire à minimiser l'importance de ses premiers romans, lesquels marquèrent pourtant leur époque, je n'avais nulle crainte en ouvrant ce court, très court roman : s'il nous propose aujourd'hui un texte vieux d'une dizaine d'années, c'est qu'il estime que celui-ci n'a pas (trop) vieilli et possède suffisamment de qualités pour être présenté au public. Le fait est que je n'ai pas été déçu. Il ne s'agit effectivement pas d'un fond de tiroir — ou alors, de nombreux auteurs aimeraient avoir une œuvre à la hauteur de tels fonds ! — , mais au contraire d'un texte de premier plan présentant d'ailleurs nombre de similitudes avec La Sirène rouge, ce qui accréditerait au passage la thèse de l'agent...

     En France, à l'aube du XXIe siècle, quelques dizaines de personnes sont touchées par un neurovirus génétique, le syndrome de Schiron-Aldiss, « une sorte de maladie nerveuse » qui semble « se communiquer de façon mystérieuse » et provoque chez ses victimes des rêves hyperintenses et des séquences hallucinatoires : « Ça prend la forme de visions, mais on ne peut pas dire que l'apparence de la réalité change fondamentalement, non, c'est plutôt comme si on voyait sous les apparences la vraie nature de la réalité, c'est juste qu'on perçoit, par un sens nouveau qui n'est ni la vue, ni l'ouïe, ni rien d'autre, les flux d'énergie et d'informations, les champs magnétiques et électriques, qu'on perçoit aussi, qu'on »pressent« plutôt, les altérations chaotiques, les enchaînements de probabilités, comme des semi-rêves branchés sur le futur proche. » S'il n'existe aucun remède à ce syndrome, circulent en revanche deux molécules capables de bloquer ces séquences.

     Les hommes et femmes touchés sont rassemblés dans des Centres de regroupement sanitaires, leurs cartes d'identité à puce laissant apparaître qu'ils sont porteurs de la maladie. C'est dans ce contexte quasi concentrationnaire que le narrateur et sa compagne se rencontrent. Se sentant piégés, cobayes en survie, à l'intérieur d'un de ces Centres, ils s'en évadent et commettent une demi-douzaine de braquages dont le butin leur permettra, pensent-ils, de rejoindre le sud de l'Asie. Leur projet consiste à rallier dans un premier temps l'Afrique du Sud, tout en faisant croire qu'ils ont fui vers le Brésil. Il leur faudra préalablement transiter par l'Espagne, le Maroc et de nombreux autres états.

     Le roman s'ouvre sur leur ultime braquage. Lequel se déroule parfaitement. Sauf que nos deux héros découvrent en passant la frontière franco-espagnole que la police leur attribue un hold-up supplémentaire, sanglant celui-ci, avec lequel ils n'ont rien à voir. De braqueurs, ils deviennent donc assassins. Commence alors une course-poursuite haletante avec la police, avec les véreux de tous bords tentant d'entraver leur progression, avec la maladie et avec eux-mêmes peut-être.

     Précisons que durant leurs « crises », nos apprentis fuyards se retrouvent simultanément sur Terre et en orbite, à bord de la station Mir en panne, prête à se disloquer, en compagnie de trois astronautes et du fantôme du jazzman Albert Ayler, disparu en 1970. Pourquoi ? On l'apprendra éventuellement à la fin du roman...

     Road movie sous acide, polar « Pop » et visionnaire, ce roman sec et nerveux se lit d'une traite et renoue avec l'efficacité des premiers textes : c'est palpitant et il nous faut savoir ! S'il s'adresse aux inconditionnels de Dantec dont je suis, il est également de nature à le réconcilier avec ceux de ses lecteurs qui lui reprochaient de faire systématiquement long, complexe et boursouflé, et avaient décroché depuis Villa vortex. Ainsi qu'avec ceux — tel ce participant à un forum, il y a quelques semaines — qui exhortaient l'auteur à se remettre à « écrire de vrais romans » et à cesser « de se croire philosophe, chroniqueur politique ou pamphlétaire ». Pour ma part, je considère qu'il est tout cela à la fois mais avant toute chose un formidable romancier, cette nouvelle pierre à l'édifice en apporte, malgré un final en demi-teinte, une nouvelle preuve éclatante. 1

Notes :

1. On découvre au moment de boucler ce Bifrost une interview de M.G.D. sur let net (http://www.contre-feux.com) indiquant qu'il expliquait la génèse de cette œuvre dans le cadre d'un « bref avant-propos ». Avant-propos ne figurant pas dans les épreuves qui nous ont été adressées par l'éditeur... [NDRC]

Richard COMBALLOT
Première parution : 1/1/2009 dans Bifrost 53
Mise en ligne le : 1/10/2010

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