Michael Young est convaincu que sa thèse d'histoire va lui rapporter un doctorat, un tranquille poste académique, un vénérable éditeur universitaire et le retour de sa difficile petite amie Jane.
Mais un historien devrait savoir que l'on ne peut prédire l'avenir...
Sa rencontre avec Léo Zuckermann, vieux physicien obsédé par le génocide juif, va les amener à semer aux quatre vents les pages de la thèse, mais aussi à tourner celles de l'histoire...
Et après leur expérience rien — passé, présent ou futur — ne sera plus jamais pareil.
Humoriste, écrivain (romancier, poète et chroniqueur), acteur (Peter's Friends, Cosford Park, Oscar Wilde), réalisateur, célébrité de la télévision et technophile, Stephen Fry est une institution britannique à lui tout seul. Il a joué dans A Bit of Fry and Laurie et Jeeves and Wooster avec son partenaire Hugn Laurie. Il est également célèbre en Grande Bretagne pour ses rôles dans Blackadder et Kingdom, ainsi qu'en tant que présentateur du jeu télévisé QI et de nombreux documentaires. En plus d'écrire pour le théâtre, le grand écran, la télévision et la radio, il est notamment l'auteur de quatre romans et d'une autobiographie. Tout à la fois uchronie brillante, thriller captivant et comédie romantique gay, Le Faiseur d'histoire tient de Douglas Adams et d'Armistead Maupin, pour son intelligence, son humour et son politiquement incorrect.
1 - Axel ORGERET-DECHAUME, Stephen Fry, le baiser de l'Ancien et du Moderne, pages 417 à 428, postface
Critiques
Étudiant puéril et superficiel, Michael Young termine sa thèse d'histoire à Cambridge. Son sujet : l'enfance et la jeunesse d'Adolf Hitler. Alors qu'il va déposer son mémoire, il fait la connaissance de Leo, un vieux physicien juif rescapé des camps d'extermination.
La connaissance intime que le thésard a acquis sur l'enfance et la famille du futur Führer associée au prototype de machine à voyager dans le temps construit par Leo leur inspire un projet audacieux : empêcher la naissance d'Hitler et, par conséquent, effacer de l'Histoire la seconde guerre mondiale et la Shoah. Bien évidemment, modifier le passé ne sera pas sans conséquences fâcheuses, et Michael Young va se retrouver dans un présent alternatif peut-être pire que ce qu'il connaissait jusqu'alors.
En parallèle, le roman aborde le thème de la découverte de son homosexualité par le héros et dresse le portrait angoissant d'une Amérique uchronique paranoïaque et homophobe, où le maccarthysme über Alles sert de contrepoids à une Europe entièrement nazie.
Ce roman est la première incursion en territoire SF d'un écrivain davantage connu pour ses romans de littérature blanche, satire sociale so british à l'humour élégant mais dans lesquels transparaît déjà un certain goût pour les hypothèses audacieuses et un jeu constant avec le tissu de la réalité (comme l'indique par exemple le titre de son premier roman, Mensonges, mensonges).
C'est peut-être parce qu'il aborde « en amateur » un des grands thèmes classiques de la SF que Fry donne un peu l'impression de ré-inventer la roue. L'argument du Faiseur d'histoire ne brille ni par son originalité (utiliser la machine à voyager dans le temps pour effacer l'un des passages les plus noirs de l'Histoire), ni par son traitement (« Quoi ? modifier l'Histoire pourrait donc avoir des conséquences insoupçonnées sur le présent ? Oh, mon Dieu... je n'aurais jamais imaginé une telle chose »). Les aspects scientifiques de ce genre de récit sont traités avec une désinvolture qui trahit le peu d'intérêt que leur porte l'auteur : rien ne sera dit des principes qui permettent à la machine de fonctionner (celle-ci est d'ailleurs à peine décrite), aucune hypothèse n'est formulée sur la nature même du temps et les paradoxes temporels ne semblent pas causer des insomnies à Fry.
Par contre, comme beaucoup d'œuvres sur les voyages dans le temps, Le faiseur d'histoire se frotte à la question de la nature même de l'Histoire. Est-elle le fruit de l'actions de certains « grands hommes », ou bien le produit d'une civilisation toute entière, un mouvement de masse inéluctable ? Fry semble pencher pour la deuxième hypothèse. Il joue même avec l'idée que, d'une certaine manière, il y aurait pu y avoir pire que Hitler.
Malgré les quelques faiblesses mentionnées plus haut, le roman est agréable à lire grâce à son ton léger et subtilement ironique. Les fréquentes alternances entre l'Angleterre contemporaine et l'Allemagne du début du vingtième siècle sont illustrées par des variations de style bien marquées qui font ressentir les ambiances de ces deux périodes, comme si l'écriture elle-même voyageait dans le temps (on restera par contre dubitatif par rapport aux passages rédigés sous forme de scénario de film ; le procédé semble davantage ressortir de l'exercice de style un peu vain que de la littérature).
Enfin, comme toujours avec les romans de Fry, la meilleure raison de lire Le faiseur d'histoire est la capacité de l'auteur à faire une peinture gentiment mordante de la société anglaise et à la peupler de personnages à la fois réalistes, drôles et, surtout, attachants.
Au dernier recensement en date, il a été dénombré une bonne douzaine de Stephen Fry : humoriste monty pythonesque (la série culte A Bit of Fry & Laurie, en compagnie du futur Dr. House), acteur, réalisateur (le très séduisant Bright Young Things), animateur télé et radio, critique, essayiste, passant d'une scène de théâtre à un studio d'enregistrement où il prête sa voix à de nombreux livres-audio, voilà plus d'un quart de siècle que ce génial touche-à-tout réussit à peu près tout ce qu'il entreprend. Jusqu'en littérature, où ses quatre romans parus à ce jour ont été autant de succès.
Curieusement, alors que Mensonges, mensonges, L'Hippopotame et L'Ile du Dr Mallo ont été publiés en France entre 1998 et 2002 (chez Belfond, puis J'ai Lu en poche), il aura fallu attendre treize ans pour qu'un éditeur s'intéresse à ce Faiseur d'Histoire. L'explication se trouve-t-elle dans le fait qu'il s'agit d'un roman de science-fiction ? Pourtant, plus encore que le reste de son œuvre, ce livre est à l'image de son auteur. Le Faiseur d'Histoire est une uchronie, certes, mais c'est également un roman d'apprentissage, une comédie romantique, et une comédie tout court, malgré la gravité des thèmes abordés. Un foisonnement que l'on retrouve également dans la forme, puisque dans une narration à la première personne viennent s'intercaler des extraits de biographie romancée, d'articles encyclopédiques, de journal intime, et même de scénario cinématographique.
Michael Young, le narrateur de ce roman, n'est pas le personnage le plus haut en couleurs imaginé par Fry. C'est un étudiant doué mais un peu à côté de la plaque, auteur d'une thèse sur la jeunesse d'Adolph Hitler. Sa voie semble toute tracée, pourtant le jeune homme sent s'installer en lui un mal-être profond, et ses relations conflictuelles avec sa fiancée, Jane, n'arrangent guère la situation.
La vie de Michael va être bouleversée par sa rencontre avec Leo Zuckermann, un physicien qu'un lourd secret de famille a amené à s'intéresser à la période de la Seconde Guerre Mondiale. Zuckermann travaille sur le prototype d'une machine permettant d'observer le passé. Très vite, les deux hommes vont sympathiser et travailler ensemble à l'amélioration de cet appareil, avec pour objectif un projet fou : empêcher la naissance d'Hitler.
Le lecteur coutumier des uchronies ne sera sans doute guère surpris d'apprendre que le monde auquel Young et Zuckermann vont donner naissance sera par bien des aspects pire que le nôtre. Hitler n'a jamais accédé au pouvoir, certes, mais son successeur n'a rien à lui envier en matière de monstruosité. Avec retenue et en gardant une distance nécessaire avec l'horreur qu'il décrit, Stephen Fry nous fait découvrir l'autre solution finale qui a été mise en place dans cet univers. Ironie suprême de l'histoire, nos deux apprentis sorciers sont directement à l'origine de la méthode employée.
Cette seconde moitié du roman, située dans une Amérique rétrograde et refermée sur elle-même, est évidemment beaucoup plus sombre que la première partie. Pourtant, cette expérience, aussi éprouvante soit-elle, va permettre au personnage de Michael Young d'évoluer. Perdu dans un monde hostile et étranger, loin du confort douillet de la vie qu'il imaginait écrite d'avance, il va enfin retirer ses œillères et s'accepter tel qu'il est réellement, et l'aimable couillon des premiers chapitres va progressivement céder la place à un personnage nettement plus complexe et intéressant.
Avec une aisance qui laisse rêveur, Stephen Fry maîtrise son récit de bout en bout. Constamment la grande Histoire, dans un continuum ou dans l'autre, fait écho à celle toute personnelle du narrateur et accompagne son évolution. Surtout — hormis lors de quelques descriptions particulièrement douloureuses — , l'auteur parvient à conserver à son récit une légèreté et une fraîcheur qui font du Faiseur d'Histoire une lecture on ne peut plus réjouissante.