Selon son éditeur, Le Nom du vent de Patrick Rothfuss a tout pour devenir un best-seller, voire le roman de l'année. Et, en effet, il part avec certains arguments : dans un village paumé, un aubergiste reçoit un jour la visite du Chroniqueur, qui enchante le monde de ses histoires. Ce dernier identifie dans le tenancier un héros, Kvothe, qui par le passé accomplit multiples exploits avant de se retirer et de retrouver l'anonymat de son auberge. Le Chroniqueur va néanmoins réussir à obtenir de Kvothe qu'il lui narre tous ses exploits, depuis sa tendre enfance jusqu'à ses faits les plus célèbres. Et le héros de s'acquitter, sur trois jours, ce premier tome correspondant au premier d'entre eux. On touche ainsi un énorme défaut de conception du roman : tout ce qui est écrit ici a été raconté sur la durée d'une journée. Or, le livre fait plus de 700 pages ; il est tout bonnement impossible de narrer autant de choses sur ce laps de temps. Même si on devrait pouvoir faire abstraction de ce problème, somme toute secondaire, il n'en demeure pas moins omniprésent puisque Rothfuss abandonne régulièrement la narration de Kvothe pour revenir dans l'auberge pour quelques scénettes censées raviver l'intérêt du lecteur.
Ce point étant évoqué, venons-en au récit de Kvothe proprement dit : le principal intérêt de celui-ci est qu'il s'agit de la vie d'un héros raconté par lui-même, de telle sorte que le ton oscille entre les caractères naturel des actes incroyables accomplis (Kvothe connaît ses capacités et les assume parfaitement) et aléatoire de ses péripéties (malgré ses talents, il ne maîtrise pas les réactions des autres personnages). Bref, un mélange d'aventures, de suspense, de drôlerie, qui évoque tout à la fois Harry Potter ou Terry Pratchett (pour l'Université de l'Arcanum, mélange entre Poudlard et l'Université Invisible), ainsi que David Eddings pour l'aspect roman d'apprentissage. On est ici en pleine fantasy spectacle, celle qui procure un plaisir de lecture certain, génère des figures hautes en couleur. Mais qui, dans le cas présent, n'empêche pas une vague lassitude de s'installer au bout d'un de quelques centaines de pages. Toute touffue qu'elle soit, la jeunesse de Kvothe ne justifiait sans doute pas 700 pages serrées ; d'autant plus que la scène initiale dans l'auberge évoque de nombreux caractères de Kvothe qui ne seront nullement évoqués ici, et pour cause : ils ont lieu plus tard dans l'existence de celui-ci. D'où une frustration évidente du lecteur. Rothfuss a adopté le format d'une trilogie, alors qu'un (fort) roman aurait mieux convenu.
Alors, oui, à n'en pas douter, Le Nom du vent sera un best-seller, puisqu'il contient tout ce qu'un roman de fantasy peut apporter à son lecteur en termes d'évasion. Mais, en ces temps d'inflation du nombre de pages, dommage qu'une certaine partie de la littérature – c'est particulièrement vrai pour la fantasy, mais ça l'est aussi pour nombre d'autres genres – ait oublié les vertus de la concision.
Bruno PARA (lui écrire)
Première parution : 6/9/2009 nooSFere