La journée s’annonçait tranquille pour Alix S. Grey, détective dotée d’un caractère bien trempé... C’était sans compter sur la visite d’un inconnu apparemment décidé à mourir sur son parquet, ni sur l’arrivée simultanée d’une invitation à une mystérieuse soirée et d’un échantillon de parfum aux effluves mythologiques.
« Une coïncidence, ça ne veut rien dire ; deux coïncidences, ce n’est qu’une coïncidence ; trois coïncidences, c’est le début des emmerdes. »
Mêlant l’humour noir et la satire sociale, La Digitale est un polar futuriste dynamique et passionnant qui divertit autant qu’il questionne le monde actuel.
Auteur et animateur de La Bibliothèque nomédienne, traducteur de James Flint et Jeff Noon, Alfred Boudry est également auteur et metteur en scène de théâtre et traducteur de manuels d’informatique, de règles de jeux de société et de mémoires scientifiques.
Expert en interstices où il se glisse pour parvenir à des fins qui ne sont jamais dernières, quand il n’y a rien à voir au cinéma ou qu’il n’a plus rien à lire, il anime divers ateliers d’écriture visant à mettre l’imagination de chacun au pouvoir de tous.
Critiques
Alix S. Grey (S. pour Sexy) est détective privée. Comme tous ses modèles classiques, elle a besoin d'argent. Comme ses prédécesseurs, elle manie l'humour brut avec aisance. Comme eux, elle se retrouve dans des situations rocambolesques.
Un matin, un client arrive dans son bureau, s'assied... et meurt devant elle. Sans raison apparente. Sans avoir pu dire quoi que ce soit de révélateur. Quelques maigres indices lui permettent de se diriger vers le monde du parfum et de ses créateurs. C'est le début d'une enquête au rythme haletant.
Le point de départ de l'écriture de ce roman est, selon Alfred Boudry, un concert de Dead Can Dance et une odeur. La relation entre les deux. Les liens entre parfums et sentiments, l'influence des premiers sur les seconds. C'est effectivement l'un des thèmes qui traversent ce récit, très riche en sujets de réflexion pour qui le souhaite. Mais c'est avant tout un roman policier digne de ceux de Dashiell Hammett ou de Léo Malet.
L'auteur s'est amusé en écrivant ce récit et le lecteur lui emboîte le pas avec plaisir. Le ton est léger, malgré la violence de certaines scènes, et on ne peut s'empêcher de penser à Audiard, aux livres et films policiers de cette époque. L'intrigue y était assez simple, les personnages bien troussés, les répliques ciselées. Alfred Boudry a d'ailleurs truffé son roman de citations et de clins d'œil (Ah ! Le « Hou ! Li-Po ! », le « Kwisatz-D.R.H. » !). Il a créé pour l'occasion une famille digne des soap-opéras les plus farfelus (il nous en fournit même l'arbre généalogique !).
Le personnage de l'héroïne rappelle au début « Temple Sacré de l'Aube Radieuse », le héros de Roland C. Wagner dans ses « Futurs Mystères de Paris ». Les deux semblent inspirés d'illustres ancêtres classiques. Le monde dans lequel ils évoluent a été bouleversé par une grande catastrophe. Mais la comparaison s'arrête là : le rythme et l'atmosphère diffèrent. Roland C. Wagner peut, au cours des nombreux volumes de sa série, développer le personnage à loisir. Alfred Boudry, au regard de la brièveté de son format, doit aller à l'essentiel : une action débridée, passionnante et réjouissante.
Cependant, le monde qui apparaît derrière cette histoire est tout sauf plaisant. La Faille s'est effondrée. De là sont nés sept tsunamis, dont l'un de 150 mètres de hauteur. Les morts se sont comptés par milliards. Les survivants ont dû se réfugier sur le peu de terres encore habitables, dont l'Islande, où les glaciers ont disparu. C'est là que se déroule l'ensemble de La Digitale.
Malgré le choc causé par cette catastrophe, les hommes ont fini par recréer un monde. Mais aussi injuste qu'avant. Le constat est tragique, d'une épouvantable banalité : quoiqu'il arrive, l'être humain a toujours tendance à recréer des privilèges, à tenter d'obtenir plus que son voisin, à oublier le bien commun à son profit.
La Digitale est un roman léger en apparence, rapide à lire ; on s'y plonge sans effort et avec délectation. Ce qui ne l'empêche pas de brasser des thèmes profonds et sombres. La chute de ce récit, préparée par l'introduction, en est d'ailleurs un bon exemple. Un exemple qui nous incite à replonger dans l'aventure, à déguster une nouvelle fois ce bonbon amer au parfum enivrant. Une réussite.
Alors qu'Alix Sexy Grey, enquêtrice indépendante, manque de boulot, un client potentiel apparaît enfin à sa porte. Mais avant qu'il ait pu dire un mot, le voilà terrassé par une crise cardiaque. La jeune femme, entêtée, décide d'enquêter sur les motifs de la visite du vieillard et nous entraîne alors dans l'univers du parfum et des machinations financières.
Alfred Boudry s'inspire ici des grands romans d'espionnage pour créer une intrigue foisonnante, aux ramifications toujours croissantes. Il emprunte au polar noir son style percutant et rapide mais aussi son personnage désabusé. Enfin, côté SF, il mêle anticipation, univers post-apocalyptique et réalité virtuelle, imaginant un futur proche où une grande catastrophe (l'Effondrement de la Grande Faille de l'Océan Atlantique) a balayé l'Amérique et tué près de deux milliards d'individus, où les américains les plus riches ont trouvé refuge en Islande en y parquant les autochtones.
Ce mélange des genres permet à Alfred Boudry de jouer sur beaucoup de tableaux à la fois : critique sociale, action, complot, questionnement sur la réalité, et même analyse du fonctionnement de notre odorat. S'il paraît assez difficile de tenir autant de thèmes dans un format aussi court, l'auteur surmonte aisément l'épreuve. Premier point positif : l'intrigue, bien ficelée et bien amenée, ne comporte aucun temps mort. Deuxième avantage : le personnage haut en couleur d'Alix — jeune femme indépendante, grande gueule, entêtée, etc. — s'avère l'héroïne idéale pour faire bouger les choses et développer l'histoire.
Enfin, dernier élément de la réussite de l'œuvre : sa forte dose d'humour. De celui qui faire rire le lecteur tout seul devant son livre. Un humour noir tout d'abord, propre aux polars les plus sombres, mais aussi ce mélange si efficace d'ironie désabusée et distanciée, de réflexions ridicules ou encore de non-sens. Par l'intermédiaire de son personnage cinéphile, Alfred Boudry ajoute encore une autre saveur : de nombreuses références au septième art. Ainsi, au détour d'une page, en pleine intrigue, Alix a d'un coup envie de déclarer à un interphone « Dick Laurent est mort »... On met quelques secondes à réagir puis on se surprend à rire : ce genre de références idiotes semble tellement inapproprié et pourtant réaliste (qui n'en a pas en tête ?) que le récit en devient meilleur. Le lecteur attentif découvrira ainsi plusieurs clins d'œil, plus ou moins faciles à percevoir.
Le seul défaut de l'ensemble tient peut-être au caractère artificiel du dénouement. En effet, le radicalisme final d'Alix manque de réalisme. Malgré son fort caractère, elle semble plus blasée qu'engagée, aussi son changement abrupt d'humeur vers des prises de position relativement violentes rend le personnage moins crédible. En outre, cette fin laisse un goût d'inachevé, car si l'histoire est cohérente et si toutes les pièces se mettent parfaitement en place, la révélation ultime reste trop rapide pour ne pas déstabiliser le lecteur.
Malgré ce petit point négatif, La Digitale demeure un livre marquant et jubilatoire, qui se lit d'une traite. De plus, sous le vernis d'un très bon divertissement, se cache une critique de notre société et de son système punitif : ce roman réussi n'est pas si anodin qu'il y paraît.