BRAGELONNE
(Paris, France), coll. Les Intégrales Dépôt légal : juillet 2010 Première édition Recueil de nouvelles, 432 pages, catégorie / prix : 22 € ISBN : 978-2-35294-411-9 Genre : Fantasy
D'un bond, Kull se jeta dans la pièce. Tu pivota sur ses talons, mais la vitesse aveuglante de cette attaque ne lui laissa aucune chance de se défendre ou de contre-attaquer. Tu tomba à la renverse, l'épée du roi saillant entre ses épaules. Kull se pencha au-dessus du cadavre, puis il lâcha la poignée de son arme et recula craintivement, ébranlé et pris de vertige.
Sous ses yeux, le visage de Tu s'altéra étrangement et devint irréel ; ses traits se mêlèrent et se confondirent d'une manière qui semblait impossible. Puis, tel un masque de brume qui se dissipe, le visage disparut soudain, pour être remplacé par quelque chose qui le fixait de ses yeux immobiles... Une monstrueuse tête de serpent !
— Valka ! haleta Kull, des gouttes de sueur venant perler à son front. Valka !
— Reprends ton épée, seigneur roi, dit Brule. Notre tâche n'est pas achevée.
La parution du présent volume est un véritable événement, car c'est avec ce cycle que Robert E. Howard a posé les bases de la forme moderne de la Fantasy. Barbare et roi, guerrier tourmenté, trahi et rejeté par les siens, Kull est un personnage complexe, l'une des créations les plus fascinantes de l'auteur qui nous a donné Conan le Cimmérien. Cette édition intégrale, conçue et dirigée par Patrice Louinet, l'un des plus grands spécialistes au monde de l'oeuvre de Howard, est en outre superbement illustrée par Justin Sweet.
1 - Steve TOMPKINS, Introduction, pages 7 à 19, introduction, trad. Patrice LOUINET 2 - Exilé d'Atlantide (Exile of Atlantis, 1967), pages 21 à 30, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 3 - Le Royaume des Chimères (The Shadow Kingdom, 1929), pages 31 à 82, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 4 - Les Miroirs de Tuzun Thune (The Mirrors of Tuzun Thune, 1929), pages 83 à 97, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 5 - Le Chat et le Crâne (Delcardes' Cat / The Cat and the Skull, 1967), pages 99 à 137, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 6 - Le Crâne Hurlant du Silence (The Skull of Silence / The Screaming Skull of Silence, 1967), pages 139 à 150, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 7 - Le Coup de Gong (The Striking of the Gong, 1967), pages 151 à 158, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 8 - L'Autel et le Scorpion (The Altar and the Scorpion, 1967), pages 159 à 166, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 9 - La Malédiction du Crâne d'Or (The Curse of the Golden Skull, 1967), pages 167 à 174, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 10 - Par cette Hache, je règne ! (By this Axe I Rule !, 1967), pages 175 à 205, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 11 - Les Épées du Royaume Pourpre (Swords of the Purple Kingdom, 1967), pages 207 à 246, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 12 - The King and the Oak (The King and the Oak, 1939), pages 247 à 248, poésie 13 - Le Roi et le Chêne (The King and the Oak, 1939), pages 249 à 250, poésie, trad. Patrice LOUINET 14 - Les Rois de la Nuit (Kings of the Night, 1930), pages 253 à 298, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 15 - Le Royaume des Chimères (version de travail, incomplète) (The Shadow Kingdom (draft), 2006), pages 301 à 307, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 16 - Fragment sans titre, inachevé (Lala-ah et Felgar) (Untitled and unfinished fragment ('Thus,' said Tu, chief councillor,...) / Riders beyond the Sunrise, 1978), pages 309 à 335, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 17 - Le Chat de Delcardes (Delcardes' Cat (draft), 2006), pages 337 à 367, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 18 - La Cité Noire (texte inachevé) (The Black City (Unfinished fragment), 1976), pages 369 à 372, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 19 - Fragment sans titre (Ronaro atl Volante) (Untitled and unfinished draft ("Three men sat at a . . .") / Wizard and Warrior, 1978), pages 373 à 377, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 20 - The King and the Oak (version de travail) (The King and the Oak (draft), 2006), pages 379 à 380, poésie 21 - Le Roi et le Chêne (version de travail) (The King and the Oak (draft), 2006), pages 381 à 382, poésie, trad. Patrice LOUINET 22 - Summer Morn (Summer Morn / Untitled ("Am-ra stood on a mountain height"), 2006), pages 386 à 386, poésie 23 - Matin d'été (Summer Morn / Untitled ("Am-ra stood on a mountain height"), 2006), pages 387 à 387, poésie, trad. Patrice LOUINET 24 - Am-ra the Ta-an (Am-ra the Ta-an, 2002), pages 389 à 391, poésie 25 - Am-ra des Ta-an (Am-ra the Ta-an, 2002), pages 393 à 395, poésie, trad. Patrice LOUINET 26 - Le Récit d'Am-ra (fragment) (The Tale of Am-ra (180 words, unfinished), 1998), pages 397 à 397, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 27 - Texte sans titre (inachevé) (Untitled and unfinished fragment (A land of wild, fantastic beauty . . .), 2006), pages 399 à 401, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 28 - Texte sans titre (incomplet) (Untitled and unfinished fragment (determined. So I set out up the hill . . .), 2006), pages 403 à 406, nouvelle, trad. Patrice LOUINET 29 - Patrice LOUINET, Une genèse atlante (Atlantean Genesis), pages 407 à 429, postface 30 - Patrice LOUINET, Notes sur les textes (Notes on the original Howard texts), pages 430 à 432, bibliographie
Critiques
Un héros récurrent apporte des revenus récurrents, Robert Howard, qui vivait de sa plume, l’a très vite compris. Il aura ainsi écrit plusieurs dizaines de récits de Conan, ainsi que de nombreuses aventures de Breckinridge Elkins (héros de westerns comiques, jamais traduits en français). Mais avant ceux-là, Howard a créé d’autres personnages, moins célèbres peut-être mais dignes de mémoire. Cet article vous propose de rencontrer trois d’entre eux.
Kull, roi de Valusie, descendant des Atlantes tombés dans la barbarie, devenu de ses propres mains roi du plus remarquable royaume de son époque. Un barbare à la musculature de panthère, au regard glacé, alliant l’intelligence politique et la fureur guerrière…
« Le Royaume des chimères » est le premier récit mettant en scène Kull de Valusie, et la première incursion littéraire de Robert Howard dans une forme de récit d’aventure historique située dans un monde imaginaire. Avec Kull, Howard découvre le pouvoir libérateur de s’affranchir de tout cadre historique. Kull est un proto-Conan, mais pas un aventurier : dans les dix récits qui lui sont consacrés, on ne le connaîtra jamais que roi, installé sur le trône d’une capitale brillante et schématique. À part quelques entités politiques vaguement définies (la Valusie, Atlantis, la Lémurie, les îles pictes…), le monde de l’âge thurien dans lequel il évolue reste flou et n’intéresse pas (encore) l’écrivain. Les récits de Kull ne sont pas exactement les récits de Conan : Howard utilise son outil littéraire (histoire et passé imaginaires) pour mettre notamment en scène des histoires allégoriques ou métaphoriques, qu’elles soient sur le thème de l’illusion, comme dans l’excellent : « Royaume des chimères », ou du double (« Les Miroirs de Tuzun Thune »). Pour être intéressant, le filon n’est pas bien défini ni très riche et l’auteur ne parviendra pas à l’exploiter très longtemps.
Avec Kull, Howard jette toutefois les fondations de cette histoire du passé, faite de continents engloutis, de migrations de peuples, de grandeurs et de chutes de civilisations, qui servira de toile de fond à une grande partie de ses récits. En aparté : les écrivains de SF sont nombreux à avoir créé une « histoire du futur » ; Robert E. Howard fait partie de ceux qui sont intéressés à l’autre versant des temps – voir l’article de Steven Tompkins « Gigantic Gulfs of Eons : Kull, Conan and Tyrant Time », dans l’anthologie critique de Don Herron The Dark Barbarian That Towers Over All.
Quelque temps après avoir écrit la dernière aventure de Kull (« Par cette hache, je règne ! ») durant laquelle le roi échappe de peu à un attentat tendu par des conspirateurs, Howard reprendra la trame du récit, mettant en son centre un nouveau personnage plus riche et moins schématique que le roi de Valusie. Le récit se nomme « Le Phénix sur l’épée », et son héros n’est autre que Conan le Cimmérien, roi d’Aquilonie. De manière quasi contemporaine, Howard rédige un essai décrivant les grandes lignes historiques de l’Âge Hyborien, l’époque succédant à celle de Kull. L’outil se développe et la joie de créer avec lui !
Avec les récits de Kull, Robert E. Howard a inventé un nouveau type d’histoires : des personnages réalistes, vivant des aventures imaginaires dans un monde très proche de notre réalité historique (pour paraphraser Patrice Louinet). Il faudrait trouver un nom pour ça…
Les histoires à lire absolument : « Le Royaume des chimères », « Les Miroirs de Tuzun Thune ».
Au fond, le point le plus rebutant de ce personnage, pour le lecteur français du moins, reste son nom ridicule.
Après la demie déception que furent Les Dieux de Bal-Sagoth (textes parmi les plus faibles de l'auteur réunis sans thème commun, accompagnés de dessins médiocres), la publication de l'œuvre de Robert Howard se poursuit chez Bragelonne avec Kull le Roi Atlante, l'une de ses premières et plus célèbres créations 1. Pour beaucoup de spécialistes, et n'en déplaise aux inconditionnels de Tolkien, l'héroïc fantasy fut créée par Robert Howard avec Kull. Si elle existait avant lui sous forme de mythes et légendes (L'Anneau des Nibelungen, les Chevaliers de la Table Ronde...), l'auteur texan la « modernisa » et fit naître un genre à part entière en transposant ses éléments spécifiques dans un univers réaliste inspiré de l'Histoire humaine la plus reculée, bien éloignée du merveilleux propre à la fantasy (en clair : adieu fées et dragons ; bienvenue à la boue, à la sueur et au sang).
Les aventures de Kull se déroulent dans un monde « pré-historique », à une époque où l'Atlantide n'est pas encore engloutie par les flots, où les civilisations les plus avancées côtoient la sauvagerie la plus primaire, bien avant l'ère hyborienne où évoluera Conan. Les chroniques de Kull débutent, en quelque sorte, là où se terminent celles du barbare, bien que l'Atlante soit une création antérieure au Cimmérien. Car Kull est roi. Exilé de l'Atlantide, devenu le monarque du prestigieux royaume de Valusie suite à un coup d'état, Kull présente pourtant peu de points communs avec Conan, mais on trouve chez lui des similitudes avec d'autres créations de Howard : il est roi, donc, comme Bran Mak Morn, a été chassé par les siens, comme Cormac FitzGeoffrey, et il est chaste, comme Solomon Kane. Kull est un cérébral constamment plongé dans ses réflexions mélancoliques, et il observe le monde qui l'entoure avec une certaine distance, comme un rêve éternel dont il serait le prisonnier. En outre, Kull est un personnage écrasé par le poids de sa destinée : il porte en lui une fatalité liée à la disparition inéluctable de l'Atlantide, le royaume qui l'a vu naître. On peut le considérer — thème récurrent chez Howard et ô combien romantique — comme l'ultime représentant d'une espèce dont la grandeur est vouée à l'annihilation.
Je ne vous le cacherai pas : Kull ne figure pas parmi mes personnages préférés de Robert Howard. Les nouvelles le mettant en scène ne sont pas d'une originalité folle, et accumulent les gimmicks qui traverseront par la suite toute l'œuvre de Howard (complots, tentatives d'assassinats, alliés inattendus...), même si l'intérêt des textes tient surtout dans ses acteurs et les messages sous-jacents distillés par l'auteur. Kull incarne le versant philosophique, voire métaphysique de l'œuvre howardienne, parfois même un peu trop (cf. Les Miroirs de Tuzun Thune). Ses aventures, aux événements un brin « téléphonés », ne sont donc que des alibis aux réflexions spirituelles de l'auteur sur la vie, la mort, les rêves, le destin... Mais voilà, on ne retrouve pas ici le radicalisme et la rage de survivre présents chez ses autres personnages. Disons-le : Kull, œuvre de jeunesse, paraît bien « gentille » par rapport aux textes démentiels qui suivront jusqu'à la mort de Howard (et je vous renvoie à Solomon Kane, Le Seigneur de Samarcande et autres Bran Mak Morn). À cette époque, Howard ne s'est pas encore « lâché ». Cependant, deux nouvelles font exception à la règle : les célèbres Par cette Hache je Règne et Les Épées du Royaume Pourpre où l'on trouve, justement, le dynamisme, les retournements de situation imprévisibles, l'humanisme et, en fin de compte, la « puissance » préfigurant les futurs textes de l'auteur 2.
Pas de surprise : on retrouve dans cette édition les mêmes défauts et les mêmes qualités de la collection Robert Howard. Au rayon des défauts : on peut toujours s'interroger sur le bien-fondé des appendices, où sont recensées des nouvelles incomplètes et autres versions de travail, surtout dans la mesure où l'on vient de lire leur version définitive dans les pages précédentes. Par ailleurs, la présence de la nouvelle Les Rois de la Nuit n'était pas forcément indispensable, malgré la présence de Kull en guest star, puisqu'elle est déjà parue dans Bran Mak Morn. Les appendices et cette nouvelle occupant près de la moitié du recueil, on ne peut s'empêcher de penser que le mieux est parfois l'ennemi du bien.
Pour ce qui est des qualités : comme toujours, une traduction tirée des sources les plus fiables et rendant justice au style parfois brutal, et d'autres fois lyrique de l'auteur, des dessins parfaitement raccord avec l'univers de Howard, et une connaissance encyclopédique de Patrice Louinet sur Robert Howard distillée en postface, qui nous permet de découvrir des subtilités insoupçonnées dans l'œuvre du Texan. À ce propos, une fois n'est pas coutume : l'introduction n'est pas de Patrice Louinet mais de Steve Tompkins, célèbre critique de l'œuvre howardienne (qui n'entretient aucun rapport avec son homonyme, scénariste des Simpson...).
Notes :
1. Curieusement éditée dans cette collection après certaines de ses œuvres moins populaires, sans doute pour des raisons purement techniques, l'accès aux tapuscrits originaux de l'auteur relevant du Stakhanovisme. 2. Notons toutefois que, dans ces deux histoires, l'auteur reprend des éléments aux nouvelles précédentes pour en livrer des versions améliorées, notamment le thème du projet de mariage contrarié entre deux personnages