L'ATALANTE
(Nantes, France), coll. La Dentelle du Cygne Dépôt légal : avril 2011, Achevé d'imprimer : mars 2011 Première édition Roman, 704 pages, catégorie / prix : 24,50 € ISBN : 978-2-84172-540-3 Format : 14,5 x 20,0 cm Genre : Imaginaire
Le 17 octobre 1960 à 11 h 45 du matin, la DS présidentielle fut prise sous le feu d'une mitrailleuse lourde dissimulée dans un camion à la Croix de Berny. Le Général décéda quelques instants plus tard sur ces dernières paroles : « On aurait dû passer par le Petit-Clamart. Quelle chienlit... »
De Gaulle mort, pas de putsch des généraux, pas d'OAS, pas d'accords d'Évian, pas de référendum, et Alger reste française.
De nos jours, à Alger, l'obsession d'un collectionneur de disques pour une pièce rare des années soixante le conduit à soulever un coin du voile qui occulte les mystères de cette guerre et de ses prolongements...
Un roman polyphonique et jubilatoire sur lequel souffle le vent de l'histoire.
Critiques
Le rock est la musique de la contestation et de la révolte. C'est pourquoi, dans un univers alternatif où Kennedy ne serait pas assassiné et où Nixon ne dirigerait pas le pays, il ne se développerait que mollement aux Etats-Unis, mais davantage à Alger, dans la casbah. Le rock anglais perdurerait, mais Woodstock aurait lieu à Biarritz ! Pourquoi ?
Parce que l'attentat contre de Gaulle en 1960 a réussi, de sorte que la partition de l'Algérie fait de l'Algérois et l'Oranais deux enclaves de plus en plus coupées de la France à mesure que le gouvernement militaire apparu à la faveur d'un putsch s'y débarrasse de ses indésirables. Ces derniers s'en vont créer une nouvelle utopie, celle des vautriens, fédérée autour de la Gloire, une drogue popularisée par un certain Timothy Leary, utopie qui donne naissance, dans une Alger désormais multicolore, à un rock psychodélique remplaçant le gymnase et le lourd. Mais ces rêves risquent d'être étouffés par ceux qui n'ont nul intérêt à les voir éclore.
Voici cinquante ans d'une histoire alternative de l'Algérie et de la France, qui raconte mieux que n'importe quel pensum notre propre histoire en laissant entrevoir ce qu'elle aurait pu être. Ce roman polyphonique mêle des dizaines de narrateurs jamais nommés, des anonymes tout aussi acteurs de la société que les célébrités, voix qui se bousculent non dans l'ordre chronologique mais en suivant le fil invisible de l'intrigue.
Celle-ci tourne forcément autour de la musique : un collectionneur de vinyles à la recherche d'une pièce rare du rock algérois des années soixante, une galette des Glorieux Fellaghas, qui révèlerait quelques vérités sur la naissance de la Commune d'Alger, apprend que ses possesseurs sont systématiquement assassinés. Par qui ? Et pourquoi ? Le roman est aussi une histoire de la SF, l'uchronie du Maître du Haut Château de Dick figurant au centre du livre, et, plus qu'une histoire du rock, une analyse de sa fonction et de son statut, de la façon dont il se fabrique, se métisse et s'enrichit. Il faut être grand connaisseur pour repérer les innombrables clins d'œil que Roland Wagner a semé, forgeant des noms de formations astucieux, des titres de morceaux jouissifs, livrant les extraits jubilatoires, imaginant par exemple que Johnny Hallyday, mort jeune, aurait joué avec un Dieudonné Laviolette dont la trajectoire ressemble furieusement à celle d'un Hendrix, citant pêle-mêle tout ce qui fait écho à notre culture populaire, Les Cravates à pois, Billy la Tornade et les ouragans, Bernard Tapy, ou encore des groupes comme Grand Hôtel, Fleurs de pavot, Témoignage, Translucent ombilic...
Wagner reprend et condense toute son œuvre dans cette seule uchronie, la première avec plusieurs points de divergence. C'est, plus que le roman d'une génération, celui de notre Histoire récente, qui l'éclaire et la transcende. Camus, bien sûr, le grand Camus est là, vieil homme qui a choisi de s'enraciner à Alger : il entame avec l'auteur un dialogue, entre complicité et attendrissement, qui, avec le recul, est bouleversant, le destin ayant voulu qu'il disparût de la même tragique façon que le philosophe qu'il avait sauvé dans son livre. Le chef-d'œuvre de Roland Wagner ? Non : un chef-d'œuvre tout court !
Quand Roland C. Wagner décide de donner corps à ce qui est sans doute le plus ancien et le plus longuement mûri de ses projets, il n'y va pas avec le dos de la cuiller : fort de ses sept cents pages, Rêves de Gloire s'impose enfin sur les tables des librairies. La taille, pourtant, est bien la moins impressionnante des qualités de cette uchronie magistrale, la première à se pencher sur la guerre d'Algérie — et sur la France de ces cinquante dernières années.
De nos jours, à Alger, un collectionneur de disques découvre sur un site de vente aux enchères l'existence d'une pièce rare, l'unique 45 tours des improbables Glorieux Fellaghas. La quête de ce graal et les mystères qui l'entourent vont le pousser à s'intéresser de près aux évènements qui, de l'aube des années soixante à la fin des soixante-dix, ont régi les relations de la France, de l'Algérie et... de l'Algérois.
Quelques lignes en exergue du premier chapitre seront la seule concession à la manière uchronique « classique », celle, didactique, qui refait l'Histoire en la dévidant depuis un point de divergence unique. Car pour être symbolique, la fusillade qui coûte la vie au Général de Gaulle en octobre 1960 n'est ni le premier, ni le seul événement fondateur du roman. L'Algérie nouvelle qui se dessine au fil des pages doit ainsi tout autant à la mort du Général qu'à l'attentat raté contre Kennedy. Ou à la présence sur les plages de Biarritz, à l'été 64, d'un Timothy Leary aux poches pleines de fioles de Gloire. Ou encore à l'insurrection de Budapest en 56. Ou encore...
En multipliant les points de divergence, Wagner donne des bases solides à une réalité alternative particulièrement cohérente et réaliste, et plutôt que de la raconter, laisse la parole à ceux, innombrables, qui la font — et la vivent. Autour de quelques personnages récurrents et de l'intrigue « contemporaine », une multitude d'anonymes émergent ainsi du tourbillon des évènements, prêtant leurs voix au chœur le temps d'un souvenir, pour donner vie et cohérence à ce rêve d'Histoire entre contre-culture et barbouzeries. Dans ce concert ininterrompu de voix entrelacées, l'auteur n'oublie jamais que la langue même se doit d'être uchronique ; et cette structure polyphonique parfaitement maîtrisée s'avère être le véhicule idéal pour plonger sans douter au cœur de l'Histoire en marche et des dynamiques sociales, offrant un point de vue privilégié sur le processus uchronique lui-même.
Jamais Roland C. Wagner n'avait aussi bien marié ses passions et ses convictions. Soigneusement réinventés, le rock « psychodélique », les expérimentations sociales et les explorations psychotropes des sixties sont les piliers d'un roman vivant, ensoleillé et jubilatoire, qui confronte sans idéalisme des valeurs qu'on voudrait universelles à un regard incisif sur les sociétés contemporaines.
Fruit d'un savant équilibre entre pragmatisme et utopie, entre musique et politique, Rêves de Gloire, enthousiasmant de bout en bout, pose avec passion et humanité un regard neuf, sans tabous, sur un passé toujours sensible, sur les chemins qui s'ouvrent à nous et sur les pièges qui nous guettent.
Et l'uchronie gagne là l'une de ses plus belles pièces.
Le voilà donc, le fameux livre dont Roland C. Wagner parle depuis plus de cinq ans et dont il avait l’idée en tête depuis plus de deux décennies. Cinq années pendant lesquelles l’auteur n’a pas sorti d’autres romans (le dernier, Mine de rien, est sorti en 2006), se consacrant plutôt aux traductions de Stephen Baxter ou de Norman Spinrad, parlant juste de sa prochaine création de temps à autre sur quelques forums de discussions. Le voilà enfin, sous une couverture plutôt sobre de Gilles Francescano, couverture quelque peu gâchée par la présence d’un vinyle dans le titre.
Mais de quoi s’agit-il ? D’une uchronie centrée sur la guerre d’Algérie et ses conséquences. Dans cette réalité, le général de Gaulle a été abattu dans un attentat en 1960, conduisant les « événements d’Algérie » à prendre une tout autre tournure. Les combats se prolongent jusqu’en 1965, l’armée de libération algérienne, à bout de force, négocie l’indépendance en laissant à la France trois enclaves : Alger et ses environs, Oran et Bougie en Kabylie. Dans l’Algérois de la fin des années 60 s’installent alors les vautriens, mouvement de jeunes inspirés par Timothy Leary et découvrant la gloire, nom local du LSD. Ils participent aux manifestations qui conduisent ce petit territoire à l’autonomie pendant que la France tombe aux mains d’un régime fascisant. Dans cette nouvelle nation un collectionneur de disques se lance à la recherche d’un vinyle particulièrement rare, quête qui le mène à explorer le passé récent de son pays.
Avec Rêves de gloire, Roland C. Wagner pousse les règles de l’uchronie à leurs limites. Alors que beaucoup se contentent d’un point de divergence clair entrainant une intrigue classique, ici, l’uchronie transpire de chaque paragraphe. Organisé en multiples récits courts avec plusieurs narrateurs à différentes périodes, nous assistons à la construction d’une toile impressionniste : chaque page ajoute un trait à cette fresque nous contant trente ans de la vie de l’Algérois. Si l’entremêlement de ces récits (un peu à la manière d’Outrage et rébellion, de Catherine Dufour, avec lequel Rêves de gloire partage aussi les thématiques sexe, drogue et rock’n’roll) sans indication de narrateur ou d’époque peut dérouter au début de la lecture, on repère rapidement les personnages récurrents et cette gymnastique narrative devient un jeu entre le lecteur et le livre, évitant toute monotonie. Uchronie politique, mais aussi culturelle : par le biais du narrateur principal (qui, s’il n’est pas nommé, semble être tout simplement l’alter ego de Roland C Wagner dans ce monde) et de sa passion pour la musique, les disques et leurs histoires, l’écrivain crée une nouvelle contre-culture (ou plutôt subculture au sens anglo-saxon), alternative francophone crédible au rock et au mouvement hippie, remplie de nombreux clins d’œil, comme le Woodstock français situé à Biarritz ou le guitariste Dieudonné Laviolette dont la trajectoire ressemble fortement à celle de Jimi Hendrix.
Le lecteur s’amusera aussi en découvrant au fil du récit d’autres points de divergence tels que la réussite de la révolution hongroise de 1956 provocant l’implosion du bloc de l’Est ou la survie de JFK à l’attentat de Dallas, bâtissant petit à petit une chronologie de cette époque alternative. Tout cela pour arriver à un monde à l’opposé du notre, où la France est tombé sous un talon de fer, où l’Algérois est devenu le refuge de la liberté, aussi bien politique que morale, lieu d’un brassage inédit, sans tutelle anglo-saxonne (on remarquera au passage le travail sur la langue exempte de tout terme anglophone), créant ainsi une nouvelle histoire de France et d’Algérie, où l’optimisme a traversé la méditerranée.
Œuvre à part dans la production de son auteur, livre monumental et unique, aussi bien par le travail accompli (la crédibilité de la nouvelle trame historique est sans faille) que par son épaisseur (Roland C. Wagner ne tire jamais à la ligne et ses autres romans ont plutôt une pagination moitié moindre) Rêves de Gloire se dévore et revisite avec un optimisme typiquement wagnérien cette période terrible de l’histoire franco-algérienne d’une manière que seule permet la science-fiction.