Quand sont nés les Moutons électriques éditeurs, j'en attendais beaucoup, trop peut-être, et hors
Fiction, je n'ai pas été emballé. Ma première chronique d'une de leurs productions,
La Route des confins d'
A. Bertram Chandler, fut quelque peu mitigée (cf. critique in
Bifrost 46). Il en a été ainsi jusqu'à l'apparition de la « Bibliothèque Voltaïque ». Quand j'ai eu le
Coney et le
Jeury en main, je me suis dit : « Voilà ce que j'attendais ! » Il est désormais temps d'y revenir.
Quoique sensiblement plus chers que les autres, ces livres sont beaux, plaisants. On a vraiment envie de les avoir même si, au détour d'une page, on croise parfois une méchante confusion entre conditionnel et futur... Rien là de rédhibitoire.
Regarde le soleil nous offre un étrange ballet, une curieuse pavane où s'affrontent à fleurets mouchetés des personnages qui jouent l'avenir d'un monde. Ils sont six ainsi à danser autour de Phillip Wing, l'architecte, pour qu'il accomplisse ce qui est attendu de lu à la manière dont chacun d'eux l'entend.
Sur Terre, Phillip Wing a créé l'une des nouvelles merveilles du Monde, mais son univers, et surtout son couple, sont en train d'imploser sous les manipulations des Messagers, missionnaires de la Communauté interstellaire. Les Messagers et leur principal agent, Ndavu, sont venus sur Terre proposer le Message, une religion qui est davantage qu'une simple superstition et offre, entre autres, une certaine forme d'immortalité technologique. Ndavu nourrit cependant une autre ambition, circonvenir Phillip Wing afin de l'entraîner dans le temps-haut, vers 82 eridani, le monde des chanis dont la déesse Teaqua a reçu de Chan, son dieu solaire, une révélation l'informant qu'un humain doit bâtir son tombeau. Ndavu intrigue tant et si bien que Wing finit par n'avoir plus aucune raison de rester ni de ne pas partir pour un voyage de 40 ans. Il devient ainsi le premier humain à partir en temps-haut pour une autre étoile. Les messagers le transforment également en Chani durant le voyage et Phillip Wing se sent de plus en plus étranger à lui-même.
Avec
Regarde le soleil, James Patrick Kelly s'inscrit dans la continuité d'auteurs tels qu'
Ursula Le Guin ou
Robert Silverberg par ses préoccupations ethnologiques, la volonté de décrire une société radicalement autre. C'est un roman où s'entrecroisent les thèmes de l'aliénation, de la transformation et finalement de l'adaptation à une culture fondamentalement étrangère. Si ces thèmes s'appliquent bien sûr au personnage de Phillip Wing, ils sont aussi les challenges auxquels est confrontée la société chanie. James Patrick Kelly parvient à maintenir une tension intense en refusant simplement à ses personnages d'envisager le recours à la violence comme une possible solution. Qu'ils soient ou non partisans du changement, les protagonistes cherchent à tirer la couverture à eux tout en prenant garde à ne point la déchirer.
Le seul défaut qui empêchera
Regarde le soleil de se comparer aux tous meilleurs tient à ce qu'il ne réserve aucune surprise. On sent la solution architecturale venir bien avant qu'elle ne soit révélée, tout comme l'on attend sa prémisse, mais l'essentiel est bien sûr ailleurs, avant que l'on en arrive là...
Les romans de ce type ne sont pas légion et ceux qui constituent les plus brillantes réussites le sont encore moins, mais
Regarde le soleil n'aura nulle peine à s'inscrire au nombre, au côté de chefs-d'œuvre tles que
La Main gauche de la nuit,
L'Étrangère de
Gardner Dozois,
Le Bassin des cœurs indigo de
Michael Bishop qui mériterait bien une réédition,
Parade nuptiale de
Donald Kingsbury et surtout,
Les Profondeurs de la Terre de Robert Silverberg.