Prenez un écrivain connu. Américain de préférence.
Prenez huit de ses nouvelles inédites en recueil.
Essayez de trouver un vague fil conducteur susceptible de justifier une mise en volume.
Vous obtenez, en principe, un livre qui devrait se vendre honorablement, mieux sans doute que beaucoup d'autres nouveautés.
Sans compter la satisfaction du directeur de collection, heureux et fier d'amener un nouveau nom prestigieux à son catalogue.
Autant d'arguments commerciaux à ne pas dédaigner, en des temps (il y en eut vraisemblablement de meilleurs !) où les éditeurs n'ont plus droit à l'erreur, d'accord...
Mais la Littérature, dans tout ça, que devient-elle ? Ces livres-hommage apportent-ils réellement quelque chose de neuf et d'original au genre qui nous intéresse ? De fondamentalement nouveau ?
Assurément, non, dans la majorité des cas.
Demeure simplement, de toute évidence, le plaisir (car plaisir il peut y avoir, ne le nions pas) pouvant être ressenti par le fan à la lecture de nouvelles de l'un de ses écrivains favoris. Les recueils de Dick chez Denoël ne fonctionnent pas sur un autre principe, et personne ne trouve à s'en plaindre. A la seule différence que ceux-ci, et quelle que puisse être la qualité des textes les composant, s'inscrivent dans un projet défini, d'ensemble, mûrement réfléchi...
Bon, inutile de tergiverser ! Compagnons Secrets, du prolifique Silverberg ne m'a pas convaincu ! Pourquoi ? Simplement parce que notre auteur, tout auréolé de gloire et bardé de prix qu'il soit, raconte plus qu'il n'écrit — nuance ô combien importante — des histoires classiques, banales, qu'on a le sentiment d'avoir déjà lues des dizaines de fois, semblant à des lieues de son sujet et de ses personnages. Et il n'y a rien de pire que ces textes inaboutis, aux idées pourtant intéressantes, pondus par des écrivains de renom que l'on presse pendant des décennies, que l'on berce d'illusions quant à leur prétendu génie et qui finissent, déboussolés (nul n'ignore la crise vécue par Silverberg, il y a quelques années), par ne plus savoir où ils en sont. Les nouvelles proposées ici ne sont que des scénarios sans souffle, sans lumière intérieure pour les illuminer, qui tournent à vide, mais qui tournent cependant parce que nombre d'éditeurs misent sur le manque d'exigence et l'inculture du lecteur moyen, lequel n'a jamais lu la moindre ligne des quelques écrivains essentiels de ce siècle (oui, je veux parler de Littérature Générale, de roman noir social, de philosophie, de Fiction Spéculative...) et met pourtant au-dessus de tout le monde une poignée de tâcherons façon Van Vogt, Asimov, ou, pour rester dans l'actualité, Bear, Brin et Cherryh.
Cela ne souligne que mieux le fait que la SF est en plein marasme et n'accouche plus qu'exceptionnellement d'œuvres authentiques, méritant publication. Elle n'est pas morte, non, il nous reste toujours des auteurs de talent (Brussolo, Barberi, Jouanne, Kilworth, Jeter, Shepard, Dunyach, Canal...), le fond classique est sans cesse réédité, mais il n'y a plus de dynamique, les collections disparaissent les unes après les autres, il n'y a plus d'anthologies, de nombreux auteurs commencent à s'éloigner sur la pointe des pieds, et l'on peut légitimement se demander si on n'assiste pas aux derniers soubresauts de la Bête...
Bref, reste de ce recueil une belle nouvelle, « En Attendant le Cataclysme » (qui nous avait déjà été offerte par le mensuel SF & Quotidien, en 1980 ; dommage que tout ne soit pas de la même veine !), un hommage à Philip K. Dick, « La Substitution », et « La Compagne Secrète », une novella qui, retravaillée et coupée de moitié, aurait pu déboucher sur quelque chose de réellement intéressant. Quant aux autres... on est bien loin de L'Oreille Interne, par exemple !
Cela étant, je ne me fais pas d'illusions : ce recueil (ainsi que Pavane au Fil du Temps, autre recueil venant de paraître chez J'ai lu) va marcher et même plaire. « La Compagne Secrète » à notamment été récompensée par le prix Nebula, alors...
Richard COMBALLOT
Première parution : 1/2/1990 dans Fiction 412
Mise en ligne le : 6/10/2003