Raconter des souvenirs d'enfance peut être une forme de mépris de la douleur. Surtout si, au même moment, des spécialistes vous tabassent avec dextérité (vous êtes dans les caves du contre-espionnage). Collaborer aimablement avec vos tortionnaires trahit certainement votre mépris de la race terrestre. Même si l'officier qui vous interroge a un sang plutôt sympathique (il vient de se faire mordre par quelqu'un de votre tribu). Gagner du temps est aussi une façon de mépriser votre propre existence. Au bout du compte (vous le savez bien) il y a soit la mort, soit les flammes de la guerre, soit les deux.

     Vous auriez sans doute une autre tournure d'esprit si votre première leçon de survie (reçue à trois ans) avait été donnée autrement qu'à coups de hache.

 

 

     C'est le troisième roman publié par Antoine Volodine, chez Denoël après La biographie comparée de J. Murgrave très original et Un navire venu de nulle part. Son premier roman utilisait une technique, celle du dossier multiple, avec interviews, rapports etc. : d'où la possibilité de multiples points de vue dont l'ensemble, impossible à totaliser, donnait en creux le portrait du « monstre », en fait une des meilleures description de l'alien : comme la rose est « absente de tout bouquet » l'alien réel est ce qui échappe à la fixation par notre langage. Un peu, à des degrés et par des formes différentes, Solaris de Lem. C'était très séduisant. Son second roman à la composition plus traditionnelle (était ce pour cela ?) a eu un moindre succès. Ici, on raffine encore sur la composition : les points de vue des héros sont imbriqués, ces héros sont dans des situations sado maso, avec en outre un interrogatoire de type anamnèse. Ce dont il s'agit finit par se dégager du texte sans qu'on en soit bien sûr. Qui sont ces aliens ? Quelle est leur forme exacte : humaine ou en forme de crabes, ovipares ou vivipares ? Et le héros ( ?) lui-même (Moldsher) est-il à sa manière un homme, un mutant, un alien, un ancien vampire réexhumé ? Qui hante qui, qui possède et colonise qui ? Quand cela se passe-t-il ? D'autant que des références à des occupations récentes de pays de type Afghanistan, Tchécoslovaquie, Vietnam sont là en filigrane, les noms renvoient, pour les tortionnaires comme pour les victimes, à un mélange de consonances connues. Non seulement les points de vue sont imbriqués, mais les relations qu'ils entretiennent sont imbriquantes. Et que l'on ne sait plus très exactement quelle réalité cela construit, ni pour qui, ni où. Un roman très bien fichu, complexe, post dickien doit-on dire « post moderne » ou est-ce déjà démodé ?