DENOËL
(Paris, France), coll. Présence du futur n° 507 Dépôt légal : mars 1990 Première édition Roman, 320 pages, catégorie / prix : 10 ISBN : 2-207-30507-4 Format : 11,0 x 18,0 cm Genre : Science-Fiction
Sur Erda-Rann, planète où la mer a sa volonté propre et, sous le nom de Loumka, fait figure d'inconscient collectif, il y a plusieurs façon d'être intouchable. Être un Gurde, par exemple, un natif du désert au corps couvert d'écailles. Et rencontrer un Yrvène, habitant des eaux à la muqueuse pigmentée. Quand cela arrive à Arthur et Cassian, ce sont encore des enfants ; mais la guerre entre les races a beau être finie, la Loi d'Instinct leur interdit le contact. Seulement, le premier a un don qui le rattache à la race adverse. Et le second, disons-le, ne respecte pas grand chose. Devenir transvers, alors ? S'exposer à l'opprobre universel en favorisant, au fil de nouvelles rencontres, l'osmose entre écailles et pigments ? C'est alors risquer une troisième façon d'être intouchable : tomber malade, donner voie aux pulsions de morts que l'on se cache à soi-même, mais qui n'échappent pas à la Loumka...
L'auteur
Né en 1946 à Paris, polytechnicien, docteur ès sciences, s'est imposé en quelques nouvelles comme une des voix les plus originales de la S.-F. française. Sur le mode allégorique qui caractérisait La Ville au fond de l'oeil, paru en Présence du Futur et récompensé par le prix Rosny-Aîné 87, il met ici en scène la nouvelle peste des temps modernes.
En avouant « son désir de graver ses mots dans la mémoire des enfants à venir », Arthur, l'un des deux personnages principaux de Rivage des intouchables, se bat non seulement pour survivre, mais pour vivre. Libre, et à sa façon : contre les interdits, les préjugés, les racismes. En créant un monde extraterrestre où Gurdes et Yrvènes (aux uns les écailles dures et aux autres les pigmentations douces) se haïssent férocement, en imaginant une histoire de transgression (les transvers, issus des deux races antagonistes, se mêlent au nom de la liberté, de la tolérance et, tout simplement, du désir), puis en racontant l'épidermie contagieuse qui les frappe, Francis Berthelot a choisi « de parler du sida à travers une maladie fictive... de façon spéculative, dans le cadre d'une autre société, avec un tabou différent, une maladie différente. » Il évoque le sida « d'une manière que n'importe quel lecteur, homosexuel ou hétérosexuel, puisse s'y reconnaître et s'identifier aux personnages. »
Le racisme, Arthur y est confronté tout petit, lorsque ses parents gurdes le lavent pour effacer tout trace de Cassian, son ami yrvène. Comme l'affirme sa mère : « Vivre avec une honte pareille, aucun d'entre nous ne l'a mérité. » Comment, dans ces conditions, la mémoire des transvers ne serait-elle pas malade de la culpabilité et du dégoût de soi : « Quand l'identité profonde de quelqu'un a de tout temps servi d'injure à la populace, quelle estime de soi lui reste-t-il ? » Serait-ce l'origine de l'épidermie ? Arthur et Cassian ne partagent pas le même avis : le jeune révolté yrvène semble sûr de lui, mais Arthur le Gurde se souvient des blessures de l'enfance, de cet « opprobre universel » qui l'accablait « comme s'il allait devoir marcher seul, toute sa vie, entre deux rangées de barbelés » et des insultes qui fusaient : « Frottard. Poiscailleur. Lécheur de Couennes... ».
Là où des faiseurs auraient peine à s'élever au-delà d'une banale transposition futuriste, Berthelot invente une fiction pleine de sens : c'est pour mieux parler d'ici et maintenant qu'il a choisi d'inventer un cruel ailleurs et demain. L'irruption d'une maladie dramatique, la violence haineuse des troupes de Race et Foi et la bêtise des racistes ordinaires font parfois de Rivage des intouchables un livre douloureux. Mais, loin de se clore sur un no future trop souvent de mise dans la SF française, le roman s'achève de façon significative sur l'ébauche difficile, chaotique et tâtonnante d'un avenir meilleur, qui intègre à la fois la phase de libération et l'épreuve. On retrouve là un thème dominant de Berthelot, qui donne unité et continuité à son œuvre, de La Lune noire d'Orion (Calmann--Lévy), au cycle de Khanaor (Fleuve Noir) et de La Ville au fond de l'œil (Denöel, Présence du Futur) — sans oublier ses magnifiques romans de littérature générale (on conseillera tout particulièrement l'éblouissant Jongleur interrompu (Denoël) — à ce superbe et bouleversant récit : la recherche de l'harmonie.
Avec Rivage des intouchables, Francis Berthelot a écrit l'un des plus beaux romans de ces vingt dernières années. Ne passez pas à côté !