Dans le n°
248 de
Fiction, je rendais compte d'un roman de Pierre Suragne :
Mais si les papillons trichent. Espérons que Patrick Siry aura l'excellente idée de rééditer ce livre dans la collection Super-Luxe du Fleuve Noir. Je concluais en écrivant : «
Et, comme dirait Philip K. Dick, cela ne fait que commencer ». Je ne croyais pas, franchement, être aussi bon prophète. Après ce livre, il y a eu encore de nombreux Suragne, pour la plupart excellents, et puis, pas du tout inattendu mais surprenant par son ampleur, le déferlement des Pelot dans toutes les collections ou presque. Avec au moins un chef-d'œuvre,
Délirium Circus.
Blues pour Julie et Virgules téléguidées, le dernier Pelot et le dernier Suragne — mais pas pour longtemps — prennent une place à part dans la carrière de l'homme double. Le premier est une « biographie rêvée », qui frôle à plusieurs reprises la science-fiction sans jamais y entrer. Pierre Pelot s'est arrêté un moment pour réfléchir à sa vie et à son métier. Et il s'est brûlé, et il a été emporté, et il nous livre son art et son âme dans un récit vibrant, éclaté, plein de force et de tendresse. Exemple, cette confidence dans laquelle il nous parle de ses futurs personnages : « J'étais le seul à les connaître, ça me saoulait un peu : j'adore ces moments-là, juste avant de souffrir, juste avant de reconnaître derrière le masque des personnages des traits familiers, qui m'appartiennent trop » (p. 120). C'est sans doute par l'exploration aventureuse et la recréation du souvenir que ce roman touche de plus près à la science-fiction.
Virgules téléguidées marque la rentrée de Suragne au Fleuve. Après
Vendredi par exemple, un des meilleurs romans français de l'année 1975, il y avait eu
La cité au bout de l'espace, en 1977, et plus rien. C'est aussi le roman de la fusion Pelot-Suragne, qu'on peut croire définitive. Un livre vivant, chaleureux, avec ses personnages quotidiens : assez proche, justement, de
Vendredi, mais sans doute inférieur. Pourtant ; dans cette histoire d'une fausse invasion de la Terre... qui était une vraie manœuvre politique, on trouve un mépris de l'action, voire de l'intrigue, typique de Pelot. Car Pelot ne joue qu'un jeu : le sien.
Il reste que ces deux livres sont un peu minces : il faut le regretter.
Michel JEURY
Première parution : 1/5/1980 dans Fiction 308
Mise en ligne le : 10/5/2009