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FEU VERT POUR VOIES LIBRES
Voies Libres a un an. 12 titres. L'heure des premiers bilans.
Composée exclusivement d'inédits, français et étrangers, cette nouvelle collection qui remplace la défunte Poche Rouge, se veut fermement ancrée dans le paysage adolescent d'aujourd'hui. Choisissant ses thèmes de réflexion parmi ceux qui préoccupent le plus les jeunes, ni moraliste, ni récupératrice, elle traite de front les problèmes de notre temps sans les édulcorer. Violence, chômage, sexe, aliénation, ces ingrédients de notre vie quotidienne forment la toile de fond de cette collection dont la liberté de ton et les qualités littéraires étonnent plus qu'agréablement. On lira tout particulièrement L'étrange cas de Liza S. de Gilbert Tanugi, roman doux amer et tout en demi-teintes sur un thème cher à l'auteur, le changement d'identité, et Chronique d'un joueur de flipper, premier roman d'un tout jeune auteur de 23 ans, Thierry Belhassen, qui narre avec ironie et tendresse les déambulations de son jeune héros, écrivain-dératisateur ! (Notons au passage que les locaux d'Angoisse et Suspense Magazine, la revue à laquelle notre joueur de flipper soumet une nouvelle, ressemblent furieusement à ceux d'Opta, du temps de la rue d'Amsterdam !)
Et la SF ?
Elle n'est pas oubliée, loin de là. Résolument contemporaine.
Voies Libres a compris qu'elle ne pouvait se passer de la Science-fiction pour explorer notre quotidien. Car, aime à dire Ronald Blunden, le directeur de la collection, « quand on a 16 ou 17 ans, aujourd'hui n'est pas un hier qui a mûri, mais un demain en devenir ». 4 ouvrages de SF sur 12 titres, plus un autre Ben Bova annoncé pour janvier
La grande Dérive, on n'en attendait pas moins de la part de Ronald Blunden, auteur de plusieurs excellentes traductions pour
Présence du Futur, dont
Le jeune homme, la Mort et le Temps de Richard Matheson et, surtout le chef-d'œuvre de Thomas Disch,
334.
Connaissez-vous
le quatrième règne, ce Gestalt itinérant composé de cristaux qui songent, de champignons lyophilisés et d'une poignée de Thalassiens, dont Jarvis — toujours à la recherche de la mythique planète Terre — et sa compagne Uriale ?
L'astéroïde noir est le 6« épisode de cette série signée Christian Léourier. Le précédent.
La cité des hauts remparts paru dans la même collection, a été critiqué par Miche ! Jeury dans
Fiction 291. Quant aux quatre premiers, parus initialement en Poche Rouge, ils feront peut-être l'objet d'une réédition ultérieure en
Voies Libres. Quoique inférieur au remarquable
L'arbre-miroir (Coll. L'âge des étoiles — Laffont)
L'Astéroïde noir est loin d'être inintéressant, comme toute la série des
Jarvis d'ailleurs. Car sous des dehors de space-opera divertissant, Christian Léourier subvertit les codes du genre, prônant la tolérance entre les espèces, refusant l'esprit de conquête et dénonçant tout fanatisme, quel qu'il soit. L'astéroïde noir, énorme astronef à la dérive qui engloutit le vaisseau du quatrième règne, est un micro-univers dont la guerre est la principale caractéristique. Piège temporel infernal qui ne fonctionne en fait qu'avec l'accord — inconscient — de ceux qu'il emprisonne, il est l'illustration haute en couleurs et en péripéties du célèbre « L'enfer c'est les autres » de Sartre. Zoo absurde à l'étonnant bestiaire. L'astéroïde noir mérite la visite, même si le guide-Léourier se perd parfois dans ses méandres !
Né en 1932, scientifique de formation, Ben Bova est surtout connu des amateurs français pour avoir repris la rédaction en chef d'Analog après la mort de John Campbell, en 1971. Hugo du meilleur
Professional Editor en 1973, 1974, 1975 et 1976, il vient de démissionner d'Analog pour s'occuper de la nouvelle revue Omni (Voir Flash dans Fiction 293, p. 56). Le romancier est, par contre, nettement moins connu dans notre pays puisque, à ma connaissance,
Les oubliés de New York (City of darknesst est le premier roman de Ben Bova traduit en français (par Guy Abadia, soit dit en passant, ce qui est un gage de qualité). A cent lieux de toutes mièvreries,
Les oubliés de New York est un récit âpre et dur, sans concession et mené tambour battant. Mise sous globe et désertée par sa population pour cause de pollution, New York est transformée, deux mois par an, en centre de plaisirs payants. Mais abandonnée durant tout le reste de l'année, livrée à elle-même, elle devient pendant dix mois le creuset d'une vie grouillante, clandestine et pitoyable. Obligé de se battre pour survivre, Morgan fait l'apprentissage de la violence dans cette jungle de béton et d'asphalte où régnent la misère, le racisme et la prostitution. Un solide et passionnant roman pour jeunes adultes et adultes
tout court. Le réfractaire c'est Will le Lybérien qui, enrôlé de force, refuse de se laisser broyer par la mécanique implacable de la milice Protectorienne, cet ordre fondé au début de l'ère nucléaire pour protéger les centres énergétiques des attaques de certains opposants et qui, s'emparant peu à peu des leviers de commande de la vie politique, a acquis un pouvoir et une autonomie redoutables. Etre le grain de sable qui fera gripper la machine, c'est s'exposer à une mort certaine et, sans doute, inutile. Mais pour Will l'insoumis, la liberté ne se marchande pas, ni ne s'accommode d'un uniforme. La force de ce premier roman de Michel Bussac réside dans son antimilitarisme tranquille et non manichéen, démontage intelligent de la
logique militaire. Les rouages de l'aliénation sont mis à nu : les brimades, les corvées, le paternalisme de l'adjudant chef, les chansons viriles, l'argot militaire aux consonances dures, l'appauvrissement du vocabulaire, les perm', ne sont pas les manifestations d'un douteux folklore mais les éléments d'un
discours qui vise à annihiler la personnalité du conscrit. Manipulation et Conditionnement sont les deux mamelles de l'institution militaire et Michel Bussac propose à ses jeunes lecteurs — appelés bientôt à endosser l'uniforme de Protecteur, eux aussi enrôlés de force — d'en repérer les signes. Analysant finement les réactions des divers appelés face à la machine protectorienne. dénonçant la
fonction réelle de toute armée, ce passionnant roman a la valeur d'un antidote. Indispensable pour éviter le lavage de cerveau i
Un bilan plus que positif donc, pour Voies Libres. Une collection à ne pas quitter de l'œil : jeunes adultes (et adultes moins jeunes), à vous de jouer !
Post Scriptum : Profitons de cet article pour rappeler que la sympathique série des
Conquérants de l'impossible de Philippe Ebly suit paisiblement son cours en Bibliothèque Verte. Cette série, qui en est à son onzième titre avec
Le robot qui vivait sa vie, mêle agréablement la SF, le fantastique et le légendaire, exploitant avec un certain talent les thèmes classiques du genre (voyages dans le temps, robotique, mondes oubliés, etc.). Une intelligente initiative pour les plus jeunes lecteurs.
Moins heureuse dans ses choix, la Verte Senior, quant à elle, exhume les aventures de
Jim Spark (David Starr, space ranger), poussiéreux
juvéniles alimentaires qu'Isaac Asimov signait Paul French au début des années 50. 3 titres parus. (Signalons que
Jim Spark le chasseur d'étoiles a fait l'objet d'une précédente édition au Fleuve Noir sous le titre
Sur la planète rouge -FN 44).
Les intégrales Jules Verne, ces luxueux volumes d'un prix plus raisonnable (34 F), sous couverture à la Hetzel et bourrés d'illustrations de l'époque font des petits, succès oblige. C'est devenu la collection « Grandes Œuvres » et on y trouve, outre le père Verne, Les contes de Perrault, Don Quichotte, etc... Superbes !
Denis GUIOT
Première parution : 1/12/1978 dans Fiction 296
Mise en ligne le : 20/3/2010