Fredric BROWN Titre original : The Mind Thing, 1961 Première parution : Fantastic Universe, mars 1960. En volume : Bantam Books, janvier 1961 Traduction de Chantal JAYAT Illustration de Denis SIRE
PRESSES DE LA CITÉ
(Paris, France), coll. Futurama 2ème série n° 14 Dépôt légal : 1er trimestre 1978 Première édition Roman, 192 pages, catégorie / prix : nd ISBN : 2-258-00362-8 Format : 10,8 x 17,6 cm Genre : Science-Fiction
Le plus terrifiant des monstres, c'est peut-être l'intelligence abstraite, l'intelligence froide et quasiment sans corps — comme cette chose venue d'outre-ciel, qui fait soudain irruption en secret dans la vie d'une paisible bourgade américaine.
La chose est esprit. Elle a un corps, mais il est incapable de se mouvoir. Il faut à la chose d'autres corps. Elle s'en empare. Quand elle en a fini avec eux, elle les tue... pour en prendre d'autres...
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Il n'est guère utile de présenter le regretté Fredric Brown, auteur de multiples chefs-d'oeuvre — romans et nouvelles de science-fiction — , spécialiste notable du conte horrifique ultra-court, père aussi de quelques romans noirs, grand amateur de chats, de Lewis Carroll et d'alcool. Le divertissement terrifiant que nous présentons ici s'apparente au fameux It de Sturgeon, et s'inscrit dans la tradition des E.C. Comics.
LE PREMIER DE NOUS DEUX QUI FUTURAMA AURA UNE MANCHETTE...
Oh, je sais. J'aurais pu trouver un autre titre. C'est pas du meilleur cru. Dans le genre calembour et gag intellectuel, on pouvait certainement faire mieux. Je sais, je sais... Seulement voilà : plus ils sont débiles, meilleurs je les trouve (les calembours). C'est le défaut de ma cuirasse, ma faille, mon irrésistible penchant, ma pente savonneuse.
Ça n'empêche que, rechaussant mes lunettes et arrêtant de rigoler bêtement, je voudrais dire, comme ça, en passant, que la collection FUTURAMA, dirigée par J.P. Manchette, est, à tout prendre, une bonne et honnête collection de SF populaire. Pour le moins aussi bonne que SF Le Masque ou encore Albin Michel, et d'autres, et que ce ne serait pas plus mal d'en parler un peu de temps à autre. L'illustration des couvertures est tout à fait du genre à faire grincer les dents de certains, à en ravir d'autres. Je ne grince pas, ni ne me pâme. Mises les unes à côté des autres, ça fait une belle mosaïque. Quant au contenu, eh bien c'est plutôt bon. Ça se lit en trois heures, ça n'a pas la prétention de vous filer des maux de crâne (ce que j'aime parfois, néanmoins, pauvre maso que je suis) et c'est, à tout prendre, bien ficelé. Ça ferait plutôt dans le space-opera, ou le polar-fiction. C'est signé par des gens qui, habituellement, ne déçoivent pas : Brunner, Priest, Brown et d'autres que personnellement je connais moins mais qui m'ont donné de belles surprises. Laissant de côté la production Brunner (Polimath, Le dramaturge, Virus, L'homme total, Les anges de l'ombre) sur laquelle vous pouvez vous jeter de confiance (ils valent bien, ces titres, A l'ouest du temps récemment paru chez Laffont), ainsi que Le rat blanc de Christopher Priest, ainsi que Cycle de feu de Hal Clément, le détour du côté de la Cavalière des étoiles, de Doris Piserchia ou de Maître du réseau d'Octavia Butler, vaut le coup, paraît-il — c'est un détour que je n'ai pas encore fait (mais ça ne va pas tarder après ces lignes que je viens de lire) et qui ma été suggéré par des copains pas trop cinglés. On verra si je les garde dans mes relations.
Par contre, je conseillerai sans hésiter la lecture de L'abominable ver télépathe de Robert Margroff et Pierre Anthony. Ceux qui aimant bien rigoler un brin ne m'en voudront pas : quant aux pisse-froid, s'ils vont jusqu'au bout de l'ouvrage, je leur aurai fait une bonne blague. Margroff et Anthony. Je ne connaissais pas. Ils se sont mis à deux pour écrire les aventures de Harold prodkins, ministre des affaires galactiques, aux prises, un beau matin, avec ce foutu garnement en fugue extra-terrestre : un gros ver, une espèce de chenille chiante et effrontée comme cela n'est guère permis sur ce monde puritain où les jolies madames sont obligées de se cacher dans des robes-boudins, et télépathe de surcroît — la chenille. L'emmerdant, pour notre ministre, c'est qu'il doit s'occuper un brin de la fameuse chenille, s'il veut éviter les représailles de toutes sortes (du papa chenille notamment) et accessoirement mériter son titre. L'ennui, encore, c'est que Prodkins préfère jouer au billard galactique...et que Nancy, sa belle compagne (évidemment) passe son temps è rassembler les morceaux de sa robe-boudin déchirée dès les premières pages du livre. Le reste, c'est plein de pirates strums, de pin-ups simiesques au sang chaud, de cuites au scrotch et de tournois de gravicastagne. Les romans de SF qui ne se prennent pas au sérieux, ça ne court pas les astroports : il faut en profiter. Dans un autre registre, deux titres de Frédéric Brown : Le loup des étoiles et L'esprit de la chose. Le premier : un space-opera-espionnage-roman-d'aventures-fiction. Avec un personnage central méchant comme tout, misogyne comme personne parce qu'il a eu beaucoup à souffrir, le pauvre, c'est la vie. Il s'appelle Crag et c'est un sacré dur, je ne vous dis que ça, on lui confie des missions, on l'entourloupe, il se bagarre, ne fait confiance à personne, sauf dans de rares occasions, pour se rendre compta qu'il aurait plutôt dû ne pas. A la fin, c'est un gentil. Sacré Frédéric. Il avait du talent, pour nous tirer sans mal jusqu'au bout d'une histoire comme celle-là. L'esprit de la chose, il a toujours du talent. Le déclic provocateur du roman est une fois de plus un de ces machins extra-terrestres comme F. Brown les affectionnait particulièrement. Là, c'est une « chose »avec son « esprit ». C'est tombé comme ça, sur notre planète qui n'en finit pas d'aimanter les catastrophes à la dérive dans les cieux des auteurs de SF. C'est tombé par hasard et ça s'est fait virer de chez soi. Ça veut y retourner, chez soi. Mais voilà : c'est un esprit. Pas matériel, ni rien. Ou plutôt si : ça ressemble à un caillou, physiquement. Un caillou vous pouvez toujours le lancer en l'air : il n'atteindra que très improbablement une autre galaxie. Ce qu'il lui faut, c'est un vaisseau porteur, un gadget quelconque. Et c'est pour cela que l'esprit de la chose-caillou doit s'évader régulièrement et prendre possession des vivants de ce monde, pour apprendre, apprendre, et trouver un moyen de se faire faire construire the vaisseau. L'ennui, c'est que ce satané esprit doit procéder par bond au hasard, et qu'il tombe souvent dans des créatures-hôtes qui sont bien en peine de lui servir. Ce qui nous vaut une jolie galerie de portraits, tendrement brossée par l'auteur qui avait le secret, ce qui nous vaut aussi de bien beaux moments de suspens distillé avec art — voir l'esprit dans le chat-hôte, ha ! ha !... J'ai oublié de dire que quand l'esprit quitte un hôte, cela signifie la mort pour ce dernier. Finalement, c'est pathétique, cette course de la pauvre chose. Ouais. Bref, un bon bouquin, plein d'atmosphère et toute ces sortes de choses qui font qu'on a du mal à éteindre la lampe de chevet avant d'avoir terminé. Je crois qu'il va faire beau demain, tiens.
Que faire si l'on est un extraterrestre exilé, ressemblant à une tortue sans pattes condamnée à l'immobilité, mais capable de projeter son esprit à une vingtaine de mètres pour s'emparer d'hôtes aussi divers que mulots, chats ou humains pendant leur sommeil ? Il faut commencer par mettre son corps l'abri, le nourrir, à détourner l'attention des curieux... Et puis, il faut explorer ce monde bizarre et y chercher un hôte convenable, suffisamment instruit pour pouvoir accomplir le voeu le plus cher de la créature : la renvoyer chez elle !
La chose n'a pas eu de chance de tomber sur Bartlesville, bourgade de l'Amérique profonde où la densité de population est fort basse et où l'habitant moyen ne brille pas vraiment par l'étendue de son savoir scientifique... Mais elle est tenace et nous allons donc suivre cet ET, plutôt sympathique malgré son parfait mépris envers la souffrance des ses « hôtes », dans sa longue et laborieuse conquête du territoire. Les premiers échantillons humains ne seront guère utilisables, et comme elle se trouve en rase campagne, la chose devra recourir à divers animaux pour parvenir à son but.
Mais évidemment, la succession de plusieurs « suicides » et le comportement étrange de certaines bêtes vont éveiller les soupçons de quelques humains un peu plus malins que la moyenne, dont « Doc » Staunton qui représente justement le seul hôte valable des environs... Ils vont mener une enquête qui permettra à Fredric Brown de mêler les trois domaines où il excelle : la SF, le policier et l'humour...
La chose est une création admirable et particulièrement originale, à la fois toute-puissante et extrêmement vulnérable. On imagine sans peine le carnage qu'elle aurait pu faire dans une grande métropole, mais à Bartlesville, il va lui falloir rivaliser d'ingéniosité et jouer au chat et à la souris avec Doc Staunton, au sens propre comme au sens figuré, pour le plus grand plaisir du lecteur.
Même si nous ne retrouvons pas la verve truculente de Martiens, go home ou de L'univers en folie, ce récit léger est particulièrement réjouissant. On y tue avec un bel enthousiasme, le suspense est parfaitement soutenu, mais c'est la satire qui prend le dessus, à travers le regard posé par la chose sur les divers spécimens d'humanité auxquels elle sera confrontée — comme par exemple un ancien sympathisant nazi. L'esprit de la chose est ainsi l'un de ces romans mineurs inoubliables, dont les idées toutes simples marquent d'autant plus profondément qu'elles nous ont été présentées avec finesse et humour.