DLM Editions
, coll. Cyberdreams, la collection Dépôt légal : septembre 1995 Première édition Recueil de nouvelles, 120 pages, catégorie / prix : 60 FF ISBN : 2-87795-069-7 Format : 10,0 x 21,0 cm Genre : Science-Fiction
« De l'eau pour l'Afrique ! ». Un programme écologiquement correct, mais quel ennui de devoir vivre à l'intérieur d'un morceau de calotte polaire en aller simple pour l'équateur. À moins de trouver un dérivatif... Dangereux !
Choisir pour résidence un habitat artificiel dans l'espace ? Risqué ! Surtout si la Commission d'Homologation déclare votre « Home Sweet Home » bon pour une démolition immédiate.
Ailleurs, le futur technologique triomphe, mais il se passe des choses étranges : on parle même de clones illégaux...
Sur Terre, si vous enfreignez la loi, la justice peut vous condamner à faire partie des infrastructures d'un hôpital. Enfermé dans des circuits électroniques, comment ne pas ruminer inlassablement sa vengeance ?...
Et si vous croyez que cette banlieue près des ruines du parc EuroDisney est bien tranquille, détrompez-vous : des terroristes pourraient vous recruter contre votre gré !
Au travers de cinq visions d'un proche futur, Sylvie Denis explore les possibles que nous offrent le clonage, les biotechnologies et la réalité virtuelle : autant de futurs auxquels vous n'aviez pas songé...
1 - L'Anniversaire de Caroline, pages 7 à 21, nouvelle 2 - Fonte des glaces, pages 23 à 40, nouvelle 3 - In memoriam : Discoveryland, pages 41 à 66, nouvelle 4 - De Dimbour à Lapêtre, pages 67 à 90, nouvelle 5 - Elisabeth for ever, pages 91 à 109, nouvelle
Critiques
Jardins virtuels est le premier livre de Sylvie Denis, l'écrivain. Si l'être humain est né au monde en 1963 dans la région bordelaise, l'auteur est né à la SF à la fin des années quatre-vingt, même si elle confesse être tombée dedans étant petite. Sylvie Denis possède la caractéristique de conjuguer ses talents d'écrivain à sa qualité de professeur d'anglais, ce qui lui offre un regard particulier sur le genre, comme en attestent ses activités de traductrice ou d'anthologiste. Mais sa grande connaissance de la SF anglo-saxonne ne la rend pas aveugle aux stéréotypes et aux tics d'écriture que la pratique des workshops entretient chez les Américains : sans doute leur fait-elle la chasse dans sa propre pratique créatrice.
Ce premier recueil rassemble cinq nouvelles très caractéristiques d'un auteur en phase avec la modernité, séduite par l'émergence des nouvelles technologies mais attachée à les relier à leur contexte. Elle figure en place d'honneur parmi ces rares francophones sensibles à l'intérêt des techno-sciences, dont je parlais plus haut. Ses articles critiques témoignent de cette fascination, et ses nouvelles en constituent la transmutation réussie. Certes, un premier recueil comme un premier roman contient (inévitablement ?) sa part de faiblesses, mais ces dernières seraient plutôt rares ici. La construction de In memoriam : Discoveryland laisse un peu à désirer, les différentes trames narratives n'ont pas la même intensité, et le texte tourne un peu court à mon goût.
Mais ces petits défauts ne peuvent occulter l'impression de grande rigueur et de bonheur d'écriture qui se dégage de l'ensemble. Et cette SF à la croisée des chemins fait vivre des individus qui sont davantage que des personnages. Que ce soit la condamnée de L'anniversaire de Caroline, dont la peine consiste à être intégrée dans le système de gestion d'un hôpital, les adolescents de Fonte des glaces confrontés à un univers clos, la protagoniste de In memoriam : Discoveryland qui attend Peter Pan, les mémo-clones dont le gestalt se fragmente dans De Dimbour à Lapêtre, ou Elisabeth, la gamine au père absent de Elisabeth for ever (encore une histoire de clones), aucun (aucune, plutôt, majoritairement) n'est un pantin. A toutes, Sylvie Denis offre une réelle tranche de vie, complexe et nourrie de sentiments.
Jardins virtuels est donc un recueil d'une SF bien en prise sur cette fin de siècle, les préoccupations qui le traversent en font foi. Mais il s'agit également d'un témoignage sur la fascination de son auteur envers l'enfance. Tous les textes en parlent : enfance vécue ou souvenirs d'enfance, traumatismes ou bonheurs, rapports parents-enfants et soucis d'indépendance... D'évidence, voilà le thème central du livre, peut-être par la bande mais de manière très présente. Lorsque l'on pense à toutes les autres nouvelles de Sylvie Denis éparses ici et là, on se dit qu'un autre recueil s'avérera bientôt indispensable. Le rendez-vous est pris ?
Ce livre rassemble des nouvelles révisées et augmentées publiées entre 1988 et 2000, plus un inédit : Si Thébaldus rêve... Faut-il aussi rappeler que l'auteur se distingue également comme traductrice et anthologiste ?
Comme souvent en science-fiction, les interactions entre les hommes et les possibilités scientifiques et technologiques sont mises en scène. On retrouve donc des sujets habituels, comme les rapports humains/robots (avec ce malade dont la dernière volonté est de voir de vrais tigres) ou humains/IA (des IA bien désobéissantes). L'idée commune à Dedans, dehors et à L'anniversaire de Caroline est celle d'humains vivant branchés en permanence sur des machines. Dans le premier texte, un homme dont le cerveau est utilisé pour ouvrir et fermer les portes d'un bâtiment s'échappe en parvenant à communiquer avec des enfants. Dans le second, une femme se rebelle et parvient à vivre par procuration certains aspects essentiels de l'existence...
Le clonage est également abordé et inspire des variations dramatiques (Elisabeth for ever), romantiques (Magma-plasma) ou « familiales » (De Dimbour à Lapêtre). Cependant, ce dernier texte s'égare dans de multiples directions. C'est un défaut qui revient trop souvent. Où va-t-on ? Que veut-on dire ? Parfois des idées sortant un peu des sentiers battus apparaissent, comme celle du musicien du futur qui, fatigué de sa vie de star, va essayer d'y trouver une alternative. Là, l'imagination de Sylvie Denis est plus originale et une authentique atmosphère émerge enfin, comme si la musique du héros influençait sa créatrice !
Si Thébaldus rêve présente Thébaldi, la cité des artistes, où l'on recrute des élus selon un processus de sélection un peu obscur. Mais un certain nombre d'éléments nous font douter de la véritable activité que cache la ville...Plusieurs intrigues y figurent en parallèle et justifieraient un développement plus long. Il y a là beaucoup de sous-entendus, un procédé que Sylvie Denis va particulièrement bien utiliser dans Nirvana, mode d'emploi (point culminant de ce recueil) qui intrigue, dérange et laisse le lecteur sur de nombreuses interrogations. Comment une grande scientifique peut-elle faire un choix aussi étrange ? A-t-on bien reconnu le film auquel il est fait allusion ? Que deviendra la fillette malade ? Enfin, il faut signaler Carnaval à Lapêtre qui envisage des aspects futuristes de la religion dont on aimerait qu'ils ne soient pas basés sur la réalité, ce n'est hélas pas le cas...
Certaines nouvelles sont des textes isolés alors que d'autres, bien qu'autonomes, ont des idées ou des personnages communs. Ce procédé donne une allure et une cohérence à l'ensemble, ce qui est plutôt plaisant. La variété des thèmes abordés et la diversité des traitements devraient toucher des lecteurs de sensibilités différentes. Chacun aura son récit préféré. Par contre, bien que construites avec attention, les intrigues ne sont pas toutes convaincantes...
Il s'agit donc du deuxième livre de S. Denis, qui présage de futurs succès mais on a pour l'instant affaire à une science-fiction un peu maladroite du point de vue de la présentation et de l'agencement des idées, de l'atmosphère et du style. Auteur à suivre, cependant.
En 1995, les éditions DLM publiaient un mince recueil (une centaine de pages), déjà intitulé Jardins virtuels et comprenant cinq nouvelles de Sylvie Denis. La version 2003 regroupe treize textes en cinq fois plus de pages et trace le portrait d'un auteur qui est devenu un des représentants incontournables du genre en France, du moins pour ceux qui savent aller dénicher ses nouvelles. Pour les autres, ce recueil tombe à pic.
Regrouper ainsi le travail de plus d'une décennie d'écriture permet aussi de mettre en relief les thèmes récurrents de l'auteur. Sylvie Denis ne se contente pas d'écrire de la SF d'évasion, même si ses nouvelles sont souvent dépaysantes ; elle réfléchit — et tente de faire réfléchir ses lecteurs — sur des sujets qui lui sont chers : la virtualité, les interfaces homme-machine, notre utilisation de la technologie, la place de l'homme dans une société future dominée par les multinationales, autant de préoccupations qui la font jouer dans le même registre qu'un Bruce Sterling ou un William Gibson des débuts, mais sans le côté high-tech quelquefois pesant : chez Sylvie Denis, on privilégie l'humain.
Parmi les textes ajoutés à la première mouture du recueil, on notera tout particulièrement Dedans, dehors, qui pose les bases de l'univers que l'auteur visitera souvent, avec d'une part les transcorporations qui utilisent la technologie pour asservir l'homme et d'autre part les « Hommes Libres et Singuliers » qui pensent qu'elle doit le servir. Mais personne ne pourra rester indifférent à Cap Tchemobyl, récit émouvant du dernier voyage d'un père mourant et de son fils, partis voir les tigres de Sibérie et qui trouveront sur leur chemin un robot trop humain. Les nouvelles de Sylvie Denis sont d'ailleurs souvent construites ainsi, sous la forme d'une rencontre — entre humains, ou entre humains et machines — dont les participants ressortent transformés après avoir découvert, sur le monde ou sur eux-mêmes, quelque chose qui leur permet de poursuivre leur route, forts d'une expérience enrichie.
Au final, ce qui frappe à la lecture de ce recueil, c'est l'homogénéité de la qualité d'écriture et des thèmes abordés. C'est le signe d'un auteur qui sait où il va et, nouvelle après nouvelle, produit une œuvre intéressante, qui fait réfléchir, tout en n'oubliant pas de divertir son lecteur. Tout au plus pourrait-on reprocher à Sylvie de se faire trop rare...
« Le bar n'avait rien d'extra-solaire, mais les serveurs étaient des Kcrichq, auxquels leurs longues têtes de cuir verni conféraient des allures de blattes de luxe. »
Je ne sais pas pour vous, mais c'est le genre de phrase qui me fait plaisir : du style, de la musicalité et du sens. Ce n'est pas forcement la bonne entame pour chroniquer un bouquin — je sais. Mais personne dans l'engeance bifrostienne ne pourra m'empêcher de rendre tout de suite hommage à la belle écriture de Sylvie Denis, de la mettre en avant, car,après tout, ce n'est pas si fréquent, dans les littératures de l'imaginaire, de lire et relire certains passages pour la seule saveur des mots.
Faut-il rappeler que Sylvie Denis est une grande dame de la S-F dans notre pays, qu'elle a tout fait dans le microcosme du livre ? Hein ? Parce que toi, lecteur de Bifrost, tu la connais forcement... (mini-concours : citez-moi les deux premières nouvelles d'elle publiées dans cette revue. Les cinq premiers recevrons un superbe dossier sur des auteurs français de S-F « qui n'en veulent » dans leur boîte aux lettres. Adressez vos courriers à Thug au siège du Bélial' — c'est Olivier Girard qui va être content...). On se contentera donc de préciser que son prochain livre à paraître, un roman (enfin ! !), trouvera écrin chez l'excellente maison nantaise de la librairie l'Atalante. Et toc...
Revenons à ce recueil épatant.
A des années lumières du space opera fort en gueule, la science-fiction selon Sylvie Denis se pique de garder la tête sur les épaules. Elle interroge le futur plus qu'elle ne le commente. Elle traque les changements profonds que les innovations technologiques provoqueront sur nos modes de vie, sur notre pensée et notre intimité. Dans « La Fonte des glaces », par exemple, un duo d'adolescent frissonnants de désir se languit sur un iceberg dérivant piloté par des écolos vers les rivages calcinés d'une Afrique rendue exsangue. Or, une fois à terre, l'idylle tourne au drame par la faute d'une intelligence artificielle un peu trop zélée. C'est une merveille, l'une des nouvelles les plus saillantes du recueil qui, dans son ensemble, reflète l'inspiration pétrie d'humanité de l'auteur.
Les clones mélancoliques d'Elisabeth, les robots indépendantistes de « Cap Tchernobyl » et la démesure onirique de la cité fondée par l'entité Thébaldus nous renvoient à nos propres interrogations sur des lendemains qui ne chanteront pas forcément. La forme courte prend ici ses lettres de noblesse : cohérence et pertinence des conjectures, profondeur des caractères (pour la plupart féminins — ça nous change des velus en combinaisons high-tech) et inventivité constante se conjuguent pour le plus grand plaisir du lecteur. Je n'aurai qu'une réserve à propos de « Paradigme Party », dont je trouve la résolution policière un peu faiblarde. Mais cela n'entache en rien la grande qualité du livre.
N'allez surtout pas croire que Sylvie Denis s'use les yeux sur une quelconque boule de cristal ; les possibles qu'elle met en scène n'ont pas valeur de prophéties. Mais ils excitent notre entendement, si bien que, même posé sur la table de chevet, Jardins virtuels s'imposera comme le compagnon de vos rêves peuplés de nanomachines 1.