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Sécheresse

James Graham BALLARD

Titre original : The Drought / The Burning World, 1964
Première parution : Berkley, 1964
Traduction de Claude DARNER
Illustration de Michel GAYOUT

CASTERMAN , coll. Autres temps, autres mondes - Romans n° (2)
Dépôt légal : septembre 1975
Première édition
Roman, 262 pages, catégorie / prix : nd
ISBN : 2-203-22702-8
Genre : Science-Fiction


Autres éditions
   in Le Monde englouti, suivi de Sécheresse, DENOËL, 2008
   GALLIMARD, (date inconnue), 2011
   LIVRE DE POCHE, 1977
   POCKET, 1986

Quatrième de couverture
     La pluie n'est plus, sur la terre, qu'un souvenir du passé. Car les ravages de la radioactivité ont mis fin à l'évaporation de la mer. Partout, le soleil dessèche implacablement le sol et cette sécheresse entraîne peu à peu une modification dramatique de la mentalité et du comportement de l'humanité. Une race d'hommes nouvelle et dégénérée naît du désert : une race cruelle, meurtrière, prête au pire pour se procurer ce qui peut seul lui permettre encore de survivre. Toutes les anciennes valeurs sont bouleversées. Sur les rivages transformés en dunes de sel et de sable, — on se bat désormais, en groupes ou isolément, pour arracher au recul des mers quelques flaques, quelques algues et quelques poissons qui serviront aussi de monnaie d'échange. Dans le ciel vide, ne s'élèvent plus que la poussière chassée par le vent, les petites fumées des alambics et les grands nuages des villes incendiées. L'obsession de l'eau reste la dernière raison d'exister. Elle est devenue, l'origine d'une sombre et froide malfaisance...

     Si jamais un tel événement se produisait — et pourquoi pas ? — il se pourrait que tout se passe exactement ainsi. Ce roman est donc, comme Ballard l'a dit de ses oeuvres les plus récentes, « une métaphore extrême ou encore, en termes scientifiques, une hypothèse extrême correspondant à un problème extrême ».

     Né à Shangaï en 1930, J. G. Ballard écrit depuis 1956-57. Ses ouvrages : Cauchemar à quatre dimensions ; Le Monde englouti ; La Forêt de cristal ; Billenium ; Crash ! ; L'Ile de béton ; Vermillion Sands, ont rapidement fait de lui l'un des plus grands et des plus célèbres auteurs de la science-fiction anglaise contemporaine. Sécheresse (The Drought), est l'un de ses plus beaux romans.
Critiques
 
     La critique,
     cela peut être autre chose qu'un simple jugement d'humeur, une stérile paraphrase, un scolaire commentaire de texte.
     La critique peut être jeu
     et par son approche ludique/erratique traduire la réalité complexe d'une œuvre.
     Ainsi, pourquoi pas, cette fiction-critique, notes éparses en forme de collage, à propos de

     SECHERESSE de J.G. Ballard
     (Casterman)

     début de la métanoïa

                         tout est hiéroglyphe
                         tout est idéogramme
                         tout est yantra

     information 1 : Dans l'hindouisme, les yantras sont les représentations purement linéaires, essentiellement géométriques, des manifestations cosmiques des puissances divines. Elles sont l'équivalent des mantras, ou formules mentales.

     citation 1 : « Le cadre est codé » (Ballard in « La plage ultime » — Univers 03)
     L'univers qui nous entoure est sur-signifié, tissé de symboles « Arbres secs le long des berges, message chiffré suspendu dans l'air chaud ».
     « Dans la lumière de l'après-midi, les milliers d'ombres projetés par les détritus de métal recouvraient le sol de dessins celligraphiques » symboles de notre univers intérieur.

     bride d'interview 1 : « Dali décompose les éléments de la réalité et les assemble pour constituer une sorte de paysage freudien » (Ballard in Magazine Littéraire 87).
     « Grèves acides et nues, privées de tout souvenir, de tout sens du temps » dans le tableau d'Yves Tanguy « Jour de lenteur ». Penser aux girafes en feu de Dali. Citer la couverture superbement symbolique, signée Gayont.

     symbole 1 : Jonas = poisson
     « Tandis que Ransom tirait Jonas pour le dégager de la chaire en flammes, la tête du poisson pareille à une grotesque mitre d'argent (qui coiffait Jonas) lui dégringola dans les bras. »
     Le Poisson, symbole des Eaux, est associé à la naissance. Sauveur et instrument de la Révélation, il est l'emblème de l'Eglise Primitive.
     Dans les flammes de l'ancienne religion, impuissante à vaincre la sécheresse, Jonas apparaît comme l'idée d'une religiosité autre : Prêtre d'une nouvelle religion prônant la Recherche du Fleuve.
     Jonas ou la fuite dans le mysticisme. En partant à sa recherche, Jordan n'est pas en quête de son père, mais en quête d'une réponse essentiellement mystique.

     citation 2 : « L'âme est un paysage » (Salvador Dali).

     citation 3 : « L'œuvre plastique (...) se référera donc à un modèle purement intérieur, ou ne sera pas » (André Breton).
                               Réalité intérieure
                               Voyage intérieur
                               Paysage intérieur
     Etendues de sable où le temps s'est évaporé, figé, arrêté. L'espace ne renvoie qu'à nos propres fantasmes. Les dunes, image de l'inconscient. « Sur la plage, le temps n'était pas absent, mais immobilisé, afin de découvrir le reflet de soi, enfin libéré des contingences du temps et de l'espace. » Des montres molles pour quantifier un temps mou.

     symbole 2 : Ransom = Cancer = Crabe
     « Le signe des déserts »
     Ransom est dans son univers intérieur. Le décor, les personnages lui appartiennent en propre et sont l'expression de ses fantasmes. Décoder cet univers permettrait à Ransom de se rencontrer lui-même en surmontant sa crise, et autoriserait sa remontée/réinsertion dans la réalité extérieure. « Rançon » payée à la folie (en anglais, ransom signifie rançon).

     information 2 : Lire les études de J. F. Jamoul concernant Ballard, « écrivain plasticien » (Nyarlathotep 9 ; « Vases communicants » in Univers 01). Jamoul, peintre de la solitude et du retranchement, cerne l'écriture picturale de J. G. B. et ses influences : baroque, surréalisme, symbolisme...

     schéma 1 : Hamilton                    voyage vers               la mer                     retour vers Hamilton
                                                         ------------------>              ------------------->

     Il n'y a rien à attendre d'un retour à la mer amère, sinon vomir dans ses flots.
     Négation du rôle de la mère : « On ne peut jamais atteindre la mer ».
     Inaccessibilité. Inutilité. Inexistence : « Il n'avait jamais vraiment cru en la réalité de la mer. En un temps de sécheresse, l'eau était la dernière aune à utiliser ». Interpréter : en temps de crise (psychique), il est nécessaire, pour aller au bout de soi-même, de tourner le dos aux tentantes tendances du retour à l'état fœtal. Refuser le regressum ad uterum des psychanalystes. Ransom quitte la petite mort de la plage (« usure progressive de la vie, lente réduction de la diversité et du mouvement (...) ensevelis dans les dunes stériles (...) érosion de tout temps et de tout espace au-delà du sable mou et des plages » : enfouissement, ensevelissement, engourdissement dans la matrice è état inorganique è mort) pour retourner à l'intérieur des terres dans les profondeurs de son inconscient.

     schéma 2 :       crise              vers la mer                             vers l'intérieur           espoir,
                                                     ------------->      échec        ----------------->
                             sécheresse     (vers le passé)                         (vers le futur)            pluie

     La construction en 3 parties de ce roman met en relief ces deux schémas (qui sont superposables).
     La recherche de soi se fait, non pas dans le passé « bouts effilochés de la vie antérieure » mais vers l'avant, « vers les régions de l'avenir où les résidus indissolubles du passé apparaîtraient adoucis et arrondis, voilés par les débris du temps, comme les images dans un miroir embué ». telle est la véritable portée intérieure du voyage de Ransom.

     citation 4 : « C'était le futur qui renfermait la clef du présent » (Ballard « La plage ultime »
    
     symbole 5 : Johnstone + espadon

     La colonie installée sur la plage, dans les replis mortels de la matrice, porte en elle ce symbole phallique évident, exprimant le caractère androgyne de cette plage que l'on fuit.

     information 3 : « Dictionnaire des symboles » (Seghers) : Indispensable pour effectuer le décryptage du symbolisme animal omniprésent dans « Sécheresse ». -


     symbole 4 : Lomax phénix androgyne
     S'entourant de flammes et de feux d'artifice, Richard Lomax est le symbole du père (phénix renaissant de ses flammes, symbole de la renaissance du Christ, et de la Nature Divine, image de Dieu et du père éternel). Mais le phénix chinois est androgyne. Mâle et Femelle, Lomax représente ET le père, ET la mère, donc la famille malsaine et inutile). Qu'il faut détruire totalement sans qu'elle renaisse de ses cendres. Mort misérable de Lomax, les pieds en l'air et la tête en bas dans un puits de mine tandis qu'« un nuage de talc blanc s'épanouit dans l'air » (le blanc, symbole de la renaissance après la mort — et couleur des habits de l'architecte — fuit HORS de Lomax). Mort définitive du « Phénix ».

     significations possibles de la Sécheresse

     a) Châtiment divin dû à l'imprévoyance et à l'orgueil de l'homme voulant, dans sa folle course technologique, devenir Dieu.
     L'homme meurt par où il a péché : vengeance de la technologie perverse. (couche moléculaire d'hydrocarbures à la surface des mers empêchant toute évaporation).
     b) Métaphore des hantises issues de l'inconscient collectif britannique : La crainte de voir l'île disparaître dans les flots est étendue à la mort de l'humanité tout entière. (Cette extension de sa propre mort, ou de celle du groupe social auquel on appartient, à celle de l'humanité toute entière — romans cataclysmiques — est explicité dans l'étude de Gérard Klein : « Malaise dans la SF » op. cité dans ce numéro).
     c) Combat contre l'agression du milieu extérieur. La Sécheresse est le symbole d'une crise psychologique et son dépassement grâce au voyage intérieur, une thérapeutique métaphorisée.
     d) Autres explications...

     information 4 : L'antipsychiatrie britannique est issue d'une critique radicale de la famille et de la mise en lumière de son rôle répressif. Dissolvant la frontière entre le pathologique et le normal, Laing et Cooper, affirment que tout adulte devrait pouvoir régresser jusqu'à l'époque précédant le conflit pathogène. Ce voyage intérieur, Ronald Laing le nomme métanoïa. Cet itinéraire schizophrénique dans l'espace intérieur, non-rythmé par un temps pétrifié et catatonique, est un état de désintégration, de mort, précédant la renaissance. Pour les tenants de l'antipsychiatrie, la psychose porte en elle les germes de sa guérison.

     bribe d'interview 2 : — « Tu t'es inspiré des antipsychiatres anglais, Laing ou Cooper ?
     — Non, et je ne suis pas d'accord avec leur point de vue. Effectivement, ils décrivent la folie dans les mêmes termes, mais ce que je considère comme métaphore devient chez eux réalité, et je ne veux pas les suivre sur ce terrain. Il faudrait juger leurs livres comme des romans, des fictions, et pas comme des textes cliniques » (Ballard in Actuel 46).

     citation 5 : « La schizophrénie est la stratégie qu'invente une personne afin de vivre une situation invivable » (Ronald Laing).
     La situation invivable c'est celle que secrète la famille, dont l'idéologie répressive annule l'individu. Il faut revenir à la source du conflit pathogène et éliminer symboliquement les tenants de l'autorité familiale : mort du père de Jordan, de Mme Quilter, de Richard Lomax. Après la mort de ce dernier, Ransom constate que « pour la première fois depuis qu'il le connaissait, Quilter était parfaitement calme et détendu ». L'évolution de ce dernier est parfaitement significative et fait l'objet d :

     symbole 6 : Quilter          paon             cygne noir.
     Le paon est celui qu'il porte attaché à sa ceinture dans la 1re partie.
     Le cygne lui sert de bonnet dans le 3e volet.
     Le symbole représentant Quilter se déplace du paon vers le cygne, l'évolution se faisant dans la deuxième partie lors de l'absence de la mère.
     L'interprétation indienne du paon en fait le symbole du pouvoir de transmutation (il est aussi appelé en chinois « l'entremetteur ». Noter à ce sujet le rôle de messager de Q. entre Lomax et Ransom).
     Loin de sa mère — et de Lomax retranché dans sa villa — Quilter devient un cygne symbole de la puissance et de l'évolution réussie (l'inversion symbolique que représente la couleur noire du cygne se traduit pas sa désacralisation, mais l'aspect sombrement maléfique et sauvage de cette puissance).

     symbole 7 : Miranda             Lamie             truie
     De l'être fabuleux, symbole de la jalousie de la femme sans enfant, Miranda devient, après avoir été engrossée par Quilter, une truie, symbole du principe féminin, réduit à son seul rôle de reproduction : génitrice, mais non mère.
     Mais il faut fuir encore cette embryon de famille Quilter/Miranda : et ce sont les ultimes pas du voyage de Ransom « sur les rives du paysage intérieur qu'il avait porté en lui durant tant d'années ».
     C'est la remontée vers la réalité extérieure. « L'espace se fit plus obscur ». Les dunes du paysage intérieur s'estompent sous « un immense drap funéraire ».
     Ransom crève l'interface intérieur/extérieur.
     Fin de la métanoïa.
     Il pleut.


Denis GUIOT
Première parution : 1/6/1976 dans Fiction 270
Mise en ligne le : 1/12/2013


 
     Un des grands « romans catastrophiques » de Ballard, qui attendait depuis dix ans d'être traduit (il en reste encore un, The wind from nowhere, 1962). Le point de départ est écologique (c'est la pollution des mers qui empêche l'évaporation et donc la pluie) et psychosociologique (comme dans L'homme illuminé, tout le monde a fui sauf une petite minorité d'excentriques). Mais ces bases réalistes n'intéressent l'auteur que comme accès à la surréalité : le temps comme l'espace est subverti par un cancer qui ronge le présent et fait pénétrer le passé et le futur mêlés, images et allusions bibliques (à la mer, paradoxalement, comme un négatif de ce désert : Jonas et sa baleine, Ahab et la sienne, Noé et sa colombe, Propéro et son île, le Vieux Marin de Coleridge et son albatros) chargent les descriptions finement ciselées d'un sens surabondant et obscur et en font un « paysage intérieur » dont la fascination vient de plus loin que les sentiments ou la raison.
 

George W. BARLOW
Première parution : 1/2/1976 dans Fiction 266
Mise en ligne le : 14/11/2014

Critiques des autres éditions ou de la série
Edition POCKET, Science-Fiction / Fantasy (2010)

     Après le vent et la canicule, la sécheresse. La pollution industrielle est devenue telle qu'une couche solide et huileuse recouvre intégralement les océans et empêche leur évaporation. Depuis dix ans, il ne pleut plus. Rendues aveuglantes par la lumière omniprésente, calcinées par le soleil brûlant, les terres désertiques sont jonchées de cadavres d'animaux et de carcasses de voitures ou de navires ensablés. La poussière s'accumule et s'infiltre partout. Les populations assoiffées se massent vers les côtes et les plages de sel, scrutant le ciel flou chauffé au fer blanc dans l'espoir d'y voir enfin se former un nuage. Attendre, observer : voilà ce que fait aussi le docteur Charles Ransom sur les rives d'un lac asséché non loin de Mount Royal, où le manque d'eau potable répand un vent de folie sur les communautés de pêcheurs. Et bientôt Ransom, accompagné d'un jeune homme et d'une zoologiste, est lui aussi forcé de quitter Hamilton en flammes et de rejoindre la côte.

     Comme Kerans dans Le Monde englouti, et comme, plus tard, Sanders dans La Forêt de cristal, Ransom et les autres habitants de Hamilton se complaisent dans la catastrophe, totalement apathiques. Sécheresse donne l'impression d'un univers déjà mort, immobile, « archipel vidé de son temps » où les hommes et les dunes se meuvent au ralenti, telles les figures étranges du tableau de Tanguy, Jours de lenteur, auquel le roman rend d'ailleurs hommage. La lenteur monotone qui caractérise le quatuor est donc ici à son apogée et, en même temps que les terres vaines et arides du docteur Ransom, c'est le roman lui-même qui s'assèche peu à peu, jusqu'à s'éteindre, sans que le révérend Johnstone, pathétique figure shakespearienne, n'y puisse rien. Sans doute l'origine trivialement humaine du désastre, et l'atterrant spectacle de la vie agonisante, empêchent-ils Sécheresse de se hisser au niveau du Monde englouti et de La Forêt de cristal, dont l'exotisme radical et la promesse d'un nouveau jardin d'Eden sont ici absents.

Olivier NOËL
Première parution : 1/7/2010
dans Bifrost 59
Mise en ligne le : 5/1/2013

Cité dans les pages thématiques suivantes
Dérèglements climatiques
Ecologie

Cité dans les Conseils de lecture / Bibliothèque idéale des oeuvres suivantes
Annick Béguin : Les 100 principaux titres de la science-fiction (liste parue en 1981)

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