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La Grande anthologie du fantastique
 
ANTHOLOGIE
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   Volumes de la série   
1 /   Histoires de morts-vivants
2 /   Histoires d'occultisme
3 /   Histoires de monstres
4 /   Histoires de fantômes
5 /   Histoires démoniaques
6 /   Histoires de doubles
7 /   Histoires d'aberrations
8 /   Histoires de cauchemars
9 /   Histoires de maléfices
10 /   Histoires de délires
Critiques
 
     LES CAVERNES DE L'ENFER

     Huit volumes superbes et bien remplis : la grande anthologie du fantastique vient combler dans l'édition du livre de poche — et dans l'édition tout court — ainsi que dans les bibliothèques un vide insupportable (pourquoi le surnaturel, comme la nature, n'aurait-il pas horreur du vide ?).
     Face à la monstruosité profilérante, vertigineuse et délicieuse de l'anthologie de la science-fiction (Livre de Poche), celle-ci se présente comme un ensemble fini, définitif (même si quelques tomes doivent s'ajouter aux huit premiers, en raison de leur succès). Naturellement, on peut se poser une question assez angoissante : n'est-ce pas, d'une certaine façon, une anthologie posthume ? Un enterrement de première classe pour le fantastique ? Non. Il s'agit tout au plus des obsèques rituelles d'un immortel qui renaîtra aussitôt, comme le héros de La maison éternelle, dans le corps d'un fringant neveu !
     Bien rodée avec l'anthologie de la science-fiction, la méthode mise en œuvre par Jacques Goimard et Roland Stragliati atteint ici une sorte de perfection... Il est précisé que les deux anthologistes se sont partagé le travail de façon systématique et organisée. Jacques Goimard rédigeant l'introduction générale, les préfaces et les notices, tandis que Roland Stragliati se chargeait du dictionnaire des auteurs et des bibliographies (ce qui n'était pas une mince affaire).
     Le fantastique en question. Je cède la parole un instant à Gérard Coisne, excellent jeune auteur de science-fiction (et je précise, de la SF la plus moderne) : « ... Je mets la main sur tous les ouvrages fantastiques que je peux trouver. J'étais bien un peu gêné au début par tout ce que j'entendais dire : le fantastique est dépassé... réactionnaire... la SF est une littérature d'action, le fantastique une littérature d'idées, etc. Tout ça me fait l'effet d'extra-terrestres anxieux qui me souffleraient poliment mais inlassablement de ne pas lire tel manuel d'astrophysique parce qu'il y figure une carte, incomplète certes, mais susceptible de me mettre sur la voie de leur monde. Bref, quand j'entends le mot fantastique, je lis. »
     Coup d'œil sur la collection. Grâce à la beauté des couvertures, à la finesse du papier et à l'excellence de la typographie, cette série « de poche » nous donne de vrais livres de bibliothèque, agréables à regarder et à toucher et également d'une assez bonne résistance. En particulier, ces volumes supportent bien la nage sur le ventre, fatale à beaucoup d'autres (et qui n'a pas, de temps en temps, le réflexe de poser un livre ouvert à la page de lecture et le dos en l'air ?).
     (Les couvertures sont belles, c'est vrai. Mais depuis la sortie de l'anthologie, les Editions Presses-Pocket ont fait encore mieux. Illustrée par C. Broutin, dans la nouvelle collection « Le Livre d'or de la Science-fiction », l'anthologie Ursula Le Guin se présente comme une pure merveille. Je vais vous dire : ils ont un secret...).
     « Qu'est-ce que le fantastique ? Un moyen de réconcilier le civilisé moderne avec son imagination, avec son inconscient, » écrit Jacques Goimard dans son Introduction générale (p. 10). Puis il esquisse une définition du fantastique et un historique des récits du genre. Notons cette réflexion : « Le bon auteur fantastique, c'est celui qui réalise l'impossible : il fait ce qu'il veut de son lecteur, contre la volonté déclarée de celui-ci, » (p. 10).
     Les marges du fantastiques — insolite, merveilleux, féerie — sont situées de façon précise et claire.

     Tome I : Histoires de morts-vivants.
     Jacques Goimard écrit dans la préface de ce premier volume : « La littérature des morts est si riche qu'on n'a pas cru pouvoir la présenter tout entière en un volume : une distinction a été faite entre les fantômes, qui reviennent sous forme d'apparitions, d'images et les morts-vivants, qui reviennent sous forme de cadavres, d'enveloppes charnelles qu'on peut toucher du doigt, » (p. 21 ).
     Dans ces histoires de morts-vivants, les grands classiques l'emportent nettement en nombre : Tolstoï, Théophile Gautier, Poe deux fois, Villiers de l'Isle-Adam, R.-L. Stevenson. Parmi les auteurs contemporains, l'universel Matheson figure en bonne et due place, avec une de ses meilleures nouvelles, La Robe de soie blanche. Jean-Louis Bouquet prouve, avec un texte qui a été publié dans Fiction il y a une vingtaine d'années, je crois bien, qu'il est un des grands écrivains fantastiques de ce siècle. Alouqa ou la comédie des morts est la nouvelle la plus impressionnante de ce recueil. Mais les textes que l'on pourrait qualifier d'« historiques » sont tous de bonne venue et de haute tenue.

     Tome II : Histoires d'occultisme.
     « En littérature, l'occultisme est le plus humain des thèmes fantastiques. Il ne fait pas appel (ou fort peu) à des personnages venus de l'au-delà ; toute l'histoire tourne autour d'un être humain allié de l'au-delà, » (p. 21). Borges ouvre le bal et Lovecraft le ferme. Gérard de Nerval apparaît avec La main enchantée. Un certain Honoré de Balzac (déjà entendu parler, vous ?) figure avec L'élixir de longue vie. Dans ce volume, ma nouvelle préférée est peut-être Viy de Gogol.
     Une réflexion générale : cette grande anthologie est un panorama du fantastique ; les textes modernes y ont gagné leur place à travers une dure sélection (Alain Dorémieux, par exemple, s'est hissé deux fois sur le podium à la force du poignet !) ; mais les œuvres des grands classiques sont souvent là pour des raisons historiques, et c'est légitime, parfois même à titre de documents. Je crois que cela est bien. Sauf de rares exceptions (je pense à Lorrain ou à Forneret).
     Il est bel et bon que figure, à côté des plus grands chefs-d'œuvre du fantastique, une histoire d'une grande médiocrité littéraire, que le grotesque ne sauve même pas, et la signature d'Honoré de Balzac non plus. Eh bien, mes frères, leurs dieux ne sont pas plus grands que les nôtres : il est bien agréable de toucher du doigt cette vérité occulte ou occultée !

     Tome III : Histoires de monstres.
     Quel effet cela fait-il, Alain Dorémieux, de se retrouver dans un recueil aux côtés de Maupassant, de F. J. O'Brien, de Poe et de Mérimée ? Aurora n'est pas, à mon goût, une des meilleures nouvelles de Dorémieux, mais quel style ! Ma préférence va aux deux derniers textes du volume, ce qui n'est pas très original, car ils sont tous deux extrêmement connus. Qu'est-ce ? de F.J. O'Brien et Le Horla de Maupassant sont d'ailleurs parmi les meilleures nouvelles de l'anthologie. Fantastique ou science-fiction ? On est sur la frontière et la question se posera de nouveau pour quelques histoires de doubles ou d'aberrations.
     Jacques Goimard écrit dans la préface : « Mais l'effet le plus caractéristique est celui qui occulte le monstre, soit qu'on ne puisse le décrire, soit qu'on ne puisse le distinguer, soit qu'on ne puisse le voir. Cette mise à distance est intimement liée au fantastique. (...) Grâce à la mise à distance, le monstre garde sa fonction de toujours : celle d'un avertissement, » (p. 21). Une certaine SF moderne trouve également son sens dans l'avertissement.

     Tome IV : Histoires de fantômes.
     « Ce que le lecteur trouvera ici, ce sont des fantômes au sens classique du terme : des créatures sorties de nos souvenirs pour peupler nos fantasmes, » écrit Jacques Goimard p. 30. Nous croyons tous un petit peu aux fantômes. A un pour cent sous les feux du soleil. Beaucoup plus dans les cavernes de la nuit. Si la situation est propice et l'atmosphère adéquate, n'importe qui peut approcher les dangereux 49 %. Au moins un instant. Que faut-il alors pour passer aux 51 % fatidiques ? Pas grand-chose... C'est peut-être pourquoi il y a tant de belles histoires émouvantes dans ce quatrième volume.
     J'ai aimé surtout le signaleur de Charles Dickens, Le taureau de Rachel Hartfield, Harry de Rosemary Timperley, Le ministère public de Charles Rabou, La maison du Juge de Bram Stoker, Celui qui se faisait appeler Schaeffer d'Yves et Ada Remy (cette nouvelle est extraite du célèbre recueil des Remy, Les soldats de la mer). A noter dans ce volume une participation féminine relativement importante. Ce n'est certes pas un hasard.

     Tome V : Histoires démoniaques.
     Voilà l'épicentre du fantastique traditionnel : le diable. Et Jacques Goimard cite ces vers de Victor Hugo : « Une chute sans fin dans une nuit sans fond — Voilà l'enfer. »
     Voilà le fantastique
     Jacques Sternberg voisine ici avec Gogol mais ne le fait pas oublier. Charles Nodier signe une des meilleures nouvelles de l'anthologie, La combe de l'Homme mort. Nathaniel Hawthorne, descendant d'un des juges de Salem, prouve avec Le jeune maître Brown qu'il aurait pu être un bon écrivain s'il n'avait été un si affreux personnage. Hein ? Depuis Sartre, on dit : un salaud. Mais cela était bien connu. Hawthorne est d'ailleurs le seul abominable d'un sommaire qui doit compter plus de cinquante écrivains. Ne serait-il pas lui-même un masque du démon ou un avatar du père Satan ?
     Après hésitation, j'accorderai une légère préférence à un texte étincelant de Gaston Leroux, L'homme qui a vu le diable Le presbytère n'a rien perdu de son charme.

     Tome VI : Histoires de doubles.
     Pourquoi est-ce que j'écris des histoires de doubles ? Pourquoi écrivons-nous tous des histoires de doubles ? En France, c'est Christine Renard la grande spécialiste actuelle. Regrettable oubli : elle ne figure pas dans ce recueil. Avec Lui ? Maupassant est le seul Français. La littérature moderne brille par son absence.
     Ce volume a peut-être été composé par les doubles pervers de Jacques Goimard et Roland Stragliati. Le double de Jacques Goimard écrit p. 30 : « Enfin les doubles ne sont pas seulement un thème fantastique. Plusieurs grands écrivains (Dostoievski, Pirandello) en ont parlé hors de toute référence à un contexte fantastique. Mieux : il se pourrait que toute littérature (en tout art) ait une vocation à mettre en scène des doubles. »
     Sommaire un petit peu décevant vu, justement, l'importance et l'universalité du thème. A signaler surtout deux excellentes nouvelles : Monsieur le juge Harbottle de Sheridan Le Fanu, L'homme qui avait été Milligan de Blackwood et une pluie de grands classiques.

     Tome VII : Histoires d'aberrations.
     Et voici que la science-fiction pointe à l'horizon. « L'aberration est le thème idéal pour une époque où, la psychanalyse aidant l'on comprend mieux où se situe la vraie source du fantastique. »
     « Peut-être aussi y a-t-il dans les nouvelles qu'on va lire, plus secrètement une autre forme de modernité. Dans la mesure où l'espace et le temps sont mis en question, ils tendent è devenir la matière même du texte, et le monde qu'ils encadrent et coordonnent perd jusqu'à son apparence de réalité, » (p. 27).
     Toutes les nouvelles sont excitantes et passionnantes, sauf une, Le diamant de l'herbe de Xavier Forneret (un riche bourgeois bourguignon qui publiait ses œuvres à compte d'auteur au milieu du siècle dernier). Que fait ce texte ici ? Ma foi, c'est une aberration. Cela arrive.
     Parmi les nouvelles excellentes, deux chefs-d'œuvre au moins, dont l'un extrêmement célèbre. Je veux parler de La ruelle ténébreuse de Jean Ray. L'autre mériterait d'être aussi connue : c'est Fin d'un amour, d'Alain Dorémieux. Le fantastique psychologique atteint ici un sommet.
     Du côté anglo-saxon, Lovecraft, W.F. Harvey, O'Brien et Matheson. La nouvelle de Matheson est fameuse aussi. C'est Auto-escamotage. Cette fois, le typographe n'a pas escamoté l'escamotage, comme cela était arrivé lors de la publication dans Fiction. Lisez donc jusqu'au point de point final !
     A mon avis, le meilleur volume, avec les Histoires de fantômes.

     Tome VIII : Histoires de cauchemars.
     Le plus beau récit de terreur figure dans ce volume : Le serpent du rêve de Robert Howard. Il est suivi de près, à mon goût, par Le taureau de Rachel Hartfield, dans les histoires de fantômes. Mais ce choix est naturellement subjectif. Les deux nouvelles sont des histoires d'animaux et je m'aperçois, à la réflexion, qu'elles recoupent très bien mes cauchemars d'enfant, d'où peut-être l'effet qu'elles ont sur moi...
     Dix-huit cauchemars dans ce dernier volume. Les Français ne se distinguent pas. Nerval précieux et insignifiant, Lorrain et Asselineau un peu trop légers... La littérature contemporaine est représentée par Robert Arthur, Charles Beaumont et Fritz Leiber. C'est peu. La conclusion serait-elle que le cauchemar ne se porte plus ? Ou bien a-t-il versé définitivement dans la science-fiction ?
     Après le texte de R. Howard, je placerai celui d'Ambrose Bierce, Ce qui se aessa sur le pont d'Owl Creek.
     Retour sur l'ensemble. La plus belle couverture est la plus simple, la plus évocatrice, celle des histoires de fantômes : — les visiteurs de la nuit derrière le village. La meilleure des cent sept nouvelles (sauf erreur) : sans doute La ruelle ténébreuse.

     La grande anthologie de la science-fiction, c'était un rêve américain. Ici, on trouve un sous-continent de la littérature du monde.


Michel JEURY
Première parution : 1/4/1978
dans Fiction 289
Mise en ligne le : 16/1/2011

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