Robert LAFFONT
(Paris, France), coll. Ailleurs et demain Dépôt légal : février 1994 Première édition Roman, 368 pages, catégorie / prix : 149 FF ISBN : 2-221-08022-X Genre : Science-Fiction
Lorsque les Vagabonds surgirent du néant et entreprirent de résoudre les problèmes d'une Terre mal en point, les uns les prirent pour des anges et les autres pour des démons.
En réalité, les Vagabonds ne viennent ni du ciel ni de l'enfer. Ils viennent d'une longue chaîne de mondes parallèles et ils empruntent pour passer de l'un à l'autre la voie qu'ils nomment la Clarté. Partis depuis plus d'un million d'années de la Terre des Fondateurs, ils poursuivent deux buts.
D'abord, retrouver les Créateurs de cette voie terrestre pavée de mondes. Ensuite, faire régner, sur toutes les Terres où des variantes de l'humanité sont apparues, la paix et la justice, autant qu'il se peut. En chamin, les Vagabonds recrutent. Des gens comme Kyle.
Mais Kyle n'est pas un Vagabond, pas même un novice, rien qu'un imposteur jouant au Vagabond. Pour séduire Billie, par exemple.
Billie à qui il promet de rencontrer Jy, l'inspiratrice légendaire de la quête des Fondateurs.
Ni Kyle, ni Billie, ni même Jy ne savent encore qu'ils vont affronter au bout de la Clarté les inTrouvés et peut-être la fin du rêve généreux des Fondateurs.
La première partie du Voile de l’espace est un court roman qui pourrait se lire indépendamment du reste de l’oeuvre. Il nous présente Cornell, un jeune adolescent dont la mère aux dires de son père aurait été enlevée par des extraterrestres. Cornell et son père sillonnent ensemble les routes américaines sur les traces d’hypothétiques soucoupes volantes, ce qui leur vaut de passer aux yeux de tous pour de doux dingues.
Un jour, le ciel s’invertit et les étoiles disparaissent. Est-ce un signe ? Un message ? Que signifie-t-il ? Une longue attente s’ensuit, mais rien ne se passe. La seule conséquence apparente est la maturation de Cornell, qui comprend peu à peu les mensonges sur lesquels reposent ses relations avec son père. Pour lui, l’inversion du ciel signe le passage à l’âge adulte.
Une aventure personnelle et humaine, magnifique dans son apparente simplicité et sa profonde humanité.
La seconde partie n’a que peu de points communs avec la précédente. Nous retrouvons un Cornell adulte, en phase d’embauche dans une mystérieuse agence gouvernementale. Sa future mission : explorer l’univers, suite à la découverte « d’intrusions », sortes de portes interplanétaires d’où l’on ressort dans la peau d’un extraterrestre. Après avoir vécu quelques aventures dignes d’intérêt, il rencontrera la belle Porsche, dont l’histoire nous sera contée plus en détail dans Béantes portes du ciel.
Une histoire de premier contact extraterrestre, classique mais très attachante.
Robert Reed a réutilisé de vieilles ficelles de la science-fiction, mais le résultat peut laisser une impression mitigée.
On se demande par exemple quelle est l’utilité narrative de ce « voile de l’espace » que nous pourrions facilement supprimer sans que la suite du roman en soit modifiée. Il semble ne s'agir que d’un artifice symbolique signifiant qu’à partir de cet instant tout devient possible…
De même, l’existence des intrusions et leur fonctionnement ne reçoivent aucune explication convaincante : l’homme constate leur présence et s’y adapte sans la comprendre…
Pourtant, bien que l’originalité lui manque, le récit captive. L’absence d’explication prend figure de force : les personnages sont face à un mystère incompréhensible, mais n’est-ce pas le lot de l’humanité depuis la nuit des temps ? Et le mystère ne stimule-t-il pas l’imagination ?
De plus Reed n’a pas son pareil pour nous faire pénétrer dans l’intimité des personnages, et les relations familiales structurées autour de la disparition de la mère occupent une place plus importance que les extraterrestres. Ce sont évidemment la subtilité, la chaleur et l’humanisme de son écriture qui séduisent, bien plus que l’intrigue elle-même.
Finalement, nous tombons sous le charme indéniable de cet étrange roman…
Le charme des romans de Robert Reed réside dans leur classicisme mâtiné de quelque subtile extravagance. Revisitant les vieux thèmes de la science-fiction, il en propose une réécriture qui, sans être franchement révolutionnaire, a de la classe, de l'élégance ; l'habillage en est parfait, jusque dans les erreurs.
Avec Le Voile de l'espace, nous sommes dans le cas presque exemplaire d'une œuvre où l'amateur de SF en viendra peut-être à regretter que la racine de son genre favori, le postulat d'une rationalité trop visiblement assumée parfois par de puristes auteurs, ne cède pas face à l'Étrange, à l'Inconnu, et qu'au délicieux frisson du Mystère ou de l'Énigme, que certains livres suscitent avec un réel bonheur, succède, irritante, la lourdeur d'une pseudo explication, la justification de ce qui constitue le label de l'œuvre ; c'est de la science-fiction voyez-vous, ce n'est pas du fantastique, murmure l'auteur à l'oreille du lecteur déçu.
Décevante, la lecture de ce roman ? Sans doute, à la mesure de l'attente qu'il suscite — ah, la perversité des quatrièmes de couverture ! — et qui se confirme sitôt passé les premiers chapitres et que nous nous retrouvons, à travers le regard d'un enfant, témoin du plus extraordinaire phénomène que nous puissions imaginer : « Alors le ciel devint un ciel différent, en une seconde, sans plus d'effort que n'en eût exigé un clignement d'œil. »
Décevant et génial, bien sûr, car avec ce roman il semble que nous entrions dans la dimension onirique — d'un seul coup, tout devient possible. Et pourtant, banalité du siècle finissant où le réel se confond au virtuel, nous devenons rapidement blasés de la nouveauté, fût-elle la plus folle, et retournons à nos habitudes tels les personnages du livre qui finissent par s'ennuyer du Changement, peut-être parce que le Ciel demeure toujours aussi muet qu'auparavant. Il n'y a pas de deus ex machina derrière tout cela, juste des phénomènes compliqués qui reçoivent des explications boiteuses.
L'histoire raconte la quête d'un jeune garçon à la recherche de sa mère dans un monde qui s'est résigné au Ciel inverti. Chasseur de soucoupes volantes, son père disait qu'elle avait été enlevée par des extraterrestres. Devenu adulte, et membre d'une agence gouvernementale, il voyage d'un monde à l'autre — il y vit même une histoire d'amour dans un endroit nommé le Haut Désert où les humains, ayant pris l'identité de ses habitants, vivent entre leurs multiples corps décérébrés, traînant leur organe mental dans un sac — revient sur Terre y croiser des aliens, parmi nous depuis toujours, et pour finir, de retour à la ferme familiale, voit le ciel se piqueter d'étranges lueurs : des portes vers d'autres mondes ?
Robert Reed a du talent lorsqu'il s'agit de plonger dans l'intimité et les sentiments de ses personnages, la scène très forte des retrouvailles du fils et de sa mère en est un bon exemple ; toutefois il ne suffit pas d'être un fin connaisseur du cœur humain pour écrire un bon roman de science-fiction, faut-il encore exploiter et garder la cohérence d'un sujet, et convaincre le lecteur. Ici, ce qui n'aurait été qu'une histoire de Premier Contact sans grand intérêt entre les mains d'un écrivain moins doué, devient un ratage réussi, si on veut bien pardonner cet oxymoron ; au lieu d'un scénario à la X-Files, on a une fable nostalgique qui n'est pas sans rappeler Theodore Sturgeon, grand écrivain décalé lui aussi, dans le no man's land entre les genres littéraires, le mystère et la raison.