ActuSF
(Chambéry, France), coll. Les Trois Souhaits Dépôt légal : janvier 2014 Première édition Roman, 312 pages, catégorie / prix : 17 € ISBN : 978-2-917689-58-5 Format : 14,2 x 20,1 cm Genre : Fantastique
Aux Mûriers, l’ennui tue tout aussi sûrement que la vieillesse. Matt Cirois, 90 ans et des poussières, passe le temps qu’il lui reste à jouer les gâteux. Tout aurait pu continuer ainsi si Maglia, la doyenne de la maison de retraite, n’avait vu en rêve le fléau s’abattre sur le monde. Et quand, après quarante jours et quarante nuits de réclusion, les pensionnaires retrouvent la lumière et entrent en chaises roulantes dans un Paris dévasté, c’est pour s’apercevoir qu’ils sont devenus les proies de créatures encore moins vivantes qu’eux. Que la chasse commence...
Fabien Clavel, lauréat d’une douzaine de prix et auteur d’une vingtaine de romans, est l’une des voix les plus connues de l’imaginaire. Sa plume caméléon s’adapte à sa volonté d’en explorer tous les sous-genres. Avec L’Évangile cannibale, il revisite le mythe du zombie et du survival dans un roman court, rythmé et caustique.
1 - (non mentionné), Interview, pages 289 à 301, entretien avec Fabien CLAVEL 2 - (non mentionné), Bibliographie, pages 303 à 304, bibliographie
Critiques
Auteur d’une vingtaine de romans dans de nombreux registres de l’Imaginaire, Fabien Clavel s’attaque ici à la figure, décidément très à la mode, du zombie.
« Bouffer ou être bouffé, c’est notre seul moyen de survivre. Ceci est mon témoignage. »
Matt Cirois, quatre-vingt-dix ans et pas franchement bien portant, coule ses derniers jours « heureux » dans la maison de retraite des Mûriers. Son activité favorite ? Cracher sur les aides-soignantes, se faire détester et haïr les autres. Jusqu’au jour où la doyenne du mouroir fait un rêve : l’apocalypse est pour bientôt ; il faut s’y préparer. Après une réclusion de quarante jours, Matt et quelques autres pensionnaires retrouvent le monde réel. Paris est dévasté et hanté par des zombies. Maintenant, il va falloir survivre…
Romancier chevronné, on l’a dit, Fabien Clavel livre ici un court roman maîtrisé au rythme endiablé rempli de références cinématographiques : les créatures évoquent celles de Romero, le Paris dévasté rappelle le Londres de 28 Jours plus tard, et de nombreux passages humoristiques évoquent Welcome to Zombieland (souvenez-vous de Bill Murray…). L’écriture est ciselée avec toujours le mot juste. Le ton, plein d’humour (noir), fait souvent rire (jaune), mais il est aussi cru et acerbe. S’ajoute une réelle mise en abyme, quand les protagonistes évoquent les films de Romero et la culture zombie. Enfin, le roman est porté par une galerie de personnages hauts en couleur. Entre le vieux facho sur le retour, celui qui ne parle qu’en chansons (toujours appropriées) et le narrateur manipulateur et paranoïaque, on a le droit à des « z-héros » très attachants.
Un petit bémol, toutefois (mais qui ne gêne en rien la lecture) : on a du mal à croire à ces vieux médicalement assistés, en fin de vie, qui s’en sortent sans trop de difficulté.
Roman bien plus fin qu’il n’y paraît, L’Évangile cannibale juxtapose avec à propos des zombies incarnant la décadence corporelle poussée à l’extrême et de vieux grabataires. L’auteur décrit dans sa première partie l’effrayant quotidien d’une maison de retraite et pointe du doigt la façon dont notre société gère la vieillesse et l’isolement des personnes âgées. Plus loin, c’est la société de consommation qui en prend plein les dents. À quoi bon voler des écrans plats au cours d’une invasion zombie ?
Bref, voici un petit OLNI à ne pas rater, un joli coup de cœur pour bien démarrer l’année.
Manuel BEER Première parution : 1/4/2014 dans Bifrost 74 Mise en ligne le : 28/3/2020
Question : comment faire du neuf avec du vieux ? Autrement dit, comment innover dans un thème aussi souvent abordé que le roman de zombies ?
Réponse : en faisant du neuf avec du vieux. Tout simplement. En d'autres termes, en opposant au zombie la figure de personnes âgées, avec qui il partage certains traits.
Du coup, c'est une sacrée galerie de vieillards en pleine déliquescence que nous présente Fabien Clavel. Il y a au premier plan Mat, le narrateur, misanthrope qui glaviote sur quiconque l'approche. Il est entouré de pierrot, qui bave en permanence, de jacky, vieux nazillard, de yan qui passe son temps à chanter des tubes de Radio Nostalgie, et de maglia, qui délire comme une folle, mais dont les déclarations ont fédéré nombre des pensionnaires de l'hospice autour d'elle. Bref, une sacrée ménagerie de seniors, à l'exception notable de chris, un handicapé mental qui fait le ménage. Mais des vieux qui ont la niaque : ils décident un beau jour de se rebeller contre le traitement inhumain qu'ils estiment subir, et se retranchent au dernier étage pendant plus d'un mois. Lorsqu'ils n'ont plus de nourriture et de médicaments pour tenir plus longtemps, ils finissent par sortir... pour trouver une ville déserte. Commence alors un road movie abracadabrantesque, un défilé de fauteuils roulants qui se dirigera vers Paris en espérant y trouver de la vie. Pas de chance, la vie s'y révélera sacrément faisandée... Voici pour le point de départ de ce roman. La suite réservera son lot de scènes gore, passages plus ou moins obligés de tout bon bouquin de zombies qui se respecte.
Fabien Clavel a opté dans ce roman pour une narration à la première personne, celle de Mat, dont le moins que l'on puisse est qu'il a un sacré bagout. Il n'a pas son pareil pour des formules à l'emporte-pièces, tendance argotiques, et pour quelques répliques qui claquent. Son style emporte l'adhésion du lecteur dès les premières pages, même s'il assume parfaitement son statut de manipulateur (il commence ses mémoires par « Je suis un salopard. »), vis-à-vis de ses amis comme ses ennemis. On y décèlera sans surprise la patte de l'auteur, qui manipule en permanence ses lecteurs. Fabien Clavel ne s'en cache d'ailleurs pas dans la postface passionnante présente en fin d'ouvrage, qui adopte la forme d'un entretien, où l'auteur explique beaucoup de choses sur la genèse de son roman (par exemple, pourquoi quelques noms propres seulement ont une majuscule). Cela montre que L'évangile cannibale a beaucoup de niveaux de lecture (un « évangile » dont le narrateur s'appelle Mathieu, notamment, devrait vous mettre la puce à l'oreille), même si le lecteur ne sera pas nécessairement sensible à tous ceux-ci. C'est même un poil décevant, car on sent que Clavel y a mis beaucoup d'ingrédients, sans que notre palais soit sensible à tous les goûts ; en lisant cette postface, on a presque l'impression d'être passé à côté d'un autre livre. Il n'en reste pas moins que L'évangile cannibale, dans son niveau de lecture le plus immédiat (le roman de zombie) est particulièrement efficace. On a déjà parlé du style, mais la montée graduelle dans l'horreur, et la diminution progressive du groupe de Mat qui va de pair, sont bien maîtrisées. Les révélations sur ce qu'il s'est passé pendant que les vieux étaient enfermés sont distillées comme il se doit, et les détournements de scènes classiques de l'histoire de zombie (comme cette hilarante course-poursuite au ralenti entre un vieux en fauteuil roulant qui peine à avancer et un zombie à moitié congelé, ou cette autre scène, beaucoup plus glauque, où Mat tente de repeupler la planète avec une jeune fille rencontrée dans les rues de Paris) particulièrement bien vus. Bref, un roman extrêmement efficace, très visuel, qui ne renouvellera pas le genre (mais est-ce vraiment encore possible ?), mais saura vous procurer un plaisir de lecture certain. Voire plus si vous êtes réceptif aux autres références, culturelles et religieuses, glissées par Fabien Clavel dans ces pages.