Howard Phillips LOVECRAFT Titre original : Dagon and Other Macabre Tales, 1965 Première parution : USA : Arkham House, 1965 Traduction de Paule PÉREZ
BELFOND
(Paris, France), coll. Domaine fantastique n° (1) Dépôt légal : 4ème trimestre 1969, Achevé d'imprimer : 15 janvier 1970 Première édition Recueil de nouvelles, 352 pages, catégorie / prix : 26 F ISBN : néant Format : 16,2 x 24,2 cm Genre : Fantastique
Stryges et vampires, goules et sphinx, cryptes ténébreuses, labyrinthes aux parois invisibles, tels sont les éléments de l'univers d'angoisse où évolue Howard Phillips Lovecraft (1890-1937), disciple d'Edgar Poë et d'Arthur Machen. Mais, à l'autre pôle, il y a aussi des jardins féériques, tout emplis de subtiles fragances, et des cités de rêves, où le marbre et les ors le disputent à l'onyx et aux gemmes les plus rares. C'est par une approche manichéenne que ce visionnaire cherche à élucider les mystères de la vie, de la Création.
L'homme n'est-il qu'un instrument aux mains de puissances innommables ? La Connaissance et la Folie sont-elles deux compagnes inséparables ? La réalité onirique ne donnera-t-elle pas à penser qu'il est d'autres formes de conscience, à peine concevables ?
Autant de questions auxquelles Lovecraft ne prétend pas apporter de réponse irréfutable ; mais il envisage des hypothèses qui, pour être déroutantes, n'en sont pas moins plausibles, et il voit dans l'imagination le moyen le plus propre à sonder le grand Abîme et à en évoquer ce que nos sens ni nos instruments ne perçoivent.
1 - François TRUCHAUD, H.P. Lovecraft ou : dire l'indicible, pages 7 à 14, préface 2 - Dagon (Dagon, 1917), pages 15 à 21, nouvelle, trad. Paule PÉREZ 3 - La Tombe (The Tomb, 1922), pages 23 à 35, nouvelle, trad. Paule PÉREZ 4 - Polaris (Polaris, 1920), pages 37 à 41, nouvelle, trad. Paule PÉREZ 5 - La Malédiction de Sarnath (The doom that came to Sarnath, 1919), pages 43 à 49, nouvelle, trad. Paule PÉREZ 6 - Le Bateau blanc (The White Ship, 1919), pages 51 à 58, nouvelle, trad. Paule PÉREZ 7 - Les Chats d'Ulthar (The Cats of Ulthar, 1920), pages 59 à 62, nouvelle, trad. Paule PÉREZ 8 - Celephais (Celephais, 1934), pages 63 à 69, nouvelle, trad. Paule PÉREZ 9 - De l'au-delà (From Beyond, 1920), pages 71 à 79, nouvelle, trad. Paule PÉREZ 10 - Le Temple (The Temple, 1925), pages 81 à 95, nouvelle, trad. Paule PÉREZ 11 - L'Arbre (The Tree, 1921), pages 97 à 101, nouvelle, trad. Paule PÉREZ 12 - Les Autres dieux (The Other Gods, 1933), pages 103 à 108, nouvelle, trad. Paule PÉREZ 13 - La Quête d'Iranon (The Quest of Iranon, 1935), pages 109 à 116, nouvelle, trad. Paule PÉREZ 14 - Herbert West, réanimateur (Herbert West: Reanimator, 1922), pages 117 à 151, nouvelle, trad. Paule PÉREZ 15 - Hypnos (Hypnos, 1924), pages 153 à 161, nouvelle, trad. Paule PÉREZ 16 - Le Festival (The Festival, 1925), pages 163 à 172, nouvelle, trad. Paule PÉREZ 17 - Prisonnier des pharaons (Imprisoned with the Pharaohs, 1924), pages 173 à 200, nouvelle, trad. Paule PÉREZ 18 - Lui (He, 1926), pages 201 à 212, nouvelle, trad. Paule PÉREZ 19 - Horreur à Red Hook (The Horror at Red Hook, 1927), pages 213 à 237, nouvelle, trad. Paule PÉREZ 20 - L'Étrange maison haute dans la brume (The Strange High House in the Mist, 1931), pages 239 à 249, nouvelle, trad. Paule PÉREZ 21 - Dans les murs d'Eryx (In the Walls of Eryx, 1939), pages 251 à 281, nouvelle, trad. Paule PÉREZ 22 - Le Clergyman maudit (The Evil Clergyman, 1939), pages 283 à 287, nouvelle, trad. Paule PÉREZ 23 - La Bête de la caverne (The Beast in the Cave, 1918), pages 289 à 294, nouvelle, trad. Paule PÉREZ 24 - L'Alchimiste (The Alchemist, 1908), pages 295 à 304, nouvelle, trad. Paule PÉREZ 25 - La Poésie et les dieux (Poetry and the Gods, 1920), pages 305 à 312, nouvelle, trad. Paule PÉREZ 26 - La Rue (The Street, 1920), pages 313 à 319, nouvelle, trad. Paule PÉREZ 27 - La Transition de Juan Romero (The Transition of Juan Romero, 1944), pages 321 à 329, nouvelle, trad. Paule PÉREZ 28 - Azathoth (Azathoth, 1938), pages 331 à 332, nouvelle, trad. Paule PÉREZ 29 - Le Descendant (The Descendant, 1926), pages 333 à 337, nouvelle, trad. Paule PÉREZ 30 - Le Livre (The Book, 1934), pages 339 à 342, nouvelle, trad. Paule PÉREZ 31 - La Chose dans la clarté lunaire (The Thing in the Moonlight, 1941), pages 343 à 345, nouvelle, trad. Paule PÉREZ
Critiques
Dans son Introduction à Dagon, François Truchaud tente d'exorciser l'inexorable. « On qualifiera sans doute, » dit-il, « le recueil du vocable » assemblage d'œuvres mineures « par rapport aux œuvres » maîtresses « déjà publiées ». On ne peut en effet éviter de le faire. Les grandes œuvres de Lovecraft tiennent tout entières dans quatre volumes : La couleur tombée du ciel, Dans l'abîme du temps, Par-delà le mur du sommeil et Démons et merveilles, la dernière œuvre étant à peu près inutilisable dans sa version française tant les mutilations et les infidélités de la traduction l'ont abîmée. Seule cette part, mince par la quantité, de l'œuvre, vaut à Lovecraft sa notoriété d'écrivain et l'arrache sans doute définitivement à l'oubli. Il serait désastreux qu'un lecteur aborde Lovecraft par Dagon ou même par Je suis d'ailleurs. Sauf communion particulière avec l'auteur, il risquerait de se surprendre du cas que certains, dont je suis, font de lui.
Mais celui qui a entrepris l'œuvre par le bon bout trouvera dans Dagon matière à réfléchir et parfois à admirer. Ces nouvelles, ces contes et ces textes sont en quelque sorte écrits dans les marges des œuvres les plus importantes. Soigneusement datés ici, écrits entre 1917 et 1937, ils couvrent à peu près toute la période de fécondité littéraire de Lovecraft. Ils oscillent entre la brutalité la plus sèche et le raffinement qui entraîne à la préciosité, comme si, esquisses, ils encadraient la forme plus assurée et le fonds plus terrible des nouvelles du cycle des dieux. On peut s'aventurer en effet à distinguer trois groupes dans les textes du recueil : des textes de caractère mythologique qui font allusion à des royaumes et des époques lointaines, étrangères à notre histoire, perdues dans le temps et dont les noms chantent ; ainsi La malédiction de Sarnath ou La quête d'Iranon ; des textes dont l'action, se situant de nos jours, donne dans l'horrible ou dans la terreur d'inspiration « gothique », comme Herbert West, réanimateur ou De l'au-delà (ils prennent place tout naturellement dans la cohorte des « contes cruels » publiés sans désemparer par la revue Weird Tales, qu'ils aient ou non été imprimés dans ses pages) ; et enfin des textes où Lovecraft amorce la synthèse qui assure l'originalité du meilleur de son œuvre, le rétablissement de la mythologie dans le quotidien, l'intrusion des anciens dieux dans le domaine de l'homme, qui change le sens de l'humanité, la réduit aux dimensions d'une « plaisanterie ou d'une erreur ». Ce sont ces derniers textes, Dagon, Le temple, Prisonnier des pharaons, par exemple, qui ont notre préférence.
On relèvera avec intérêt Dans les murailles d'Eryx (1935), une nouvelle d'anticipation de Lovecraft, écrite en collaboration avec Kenneth Sterling, qui relève de la plus pure science-fiction. Il paraît difficile d'exclure qu'elle ait inspiré la célèbre nouvelle de Frank M. Robinson, Le labyrinthe. Comme cette dernière, elle se déroule sur Vénus, met en scène des indigènes reptiliens dont l'intelligence est sous-estimée, et, comme dans cette dernière, un labyrinthe, physique dans la nouvelle de Lovecraft, mental dans celle de Robinson, révèle l'équilibre véritable des forces.
La confrontation des deux textes donne à réfléchir. Visiblement, Lovecraft est mal à l'aise dans l'anticipation : autant sa description de la colonisation de Vénus est simpliste, maladroite et guindée, autant celle de Robinson est riche et complexe. Les deux textes, pourtant, n'ont guère que dix à quinze ans d'écart. On croirait qu'ils en ont cinquante. Certes, les parts respectives de l'obscur Sterling et de Lovecraft restent à déterminer ; mais elles se perçoivent assez bien. Sterling a sans doute apporté le cadre, l'idée d'écrire une science-fiction dans la mode du temps, Lovecraft la hantise du labyrinthe irrémédiable qui broie l'individu isolé, mais qui sera détruit à son tour par la pesante machine industrielle. Il y a dans ce texte à la fois malhabile et poignant tout le reflet d'une terrible certitude : celle de croire que l'avenir est un labyrinthe fermé à l'auteur et à tous ceux qui lui ressemblent, et dont seule la mort leur livrera l'issue.
On lira enfin avec émotion certains fragments d'œuvres inachevées ou perdues, comme Le descendant (1926), où Lovecraft exprime presque dans un cri la soif de découvrir « d'autres ouvertures que les lois invariables et étroites de la nature, » de s'ouvrir « enfin les portes des civilisations oubliées et futures et l'accès à des dimensions perdues, qui le relierait eux étoiles, A l'infini, à l'éternité... »
Dans ce texte apparaît ce qui nous semble la préoccupation centrale de Lovecraft : trouver quelque chose qui, dans la débâcle de la surnature précipitée par la science et la société industrielle, conserve quelque valeur éternelle à un homme menacé par la découverte progressive de son irréalité. Quelque chose qui le relie à une totalité, à l'ensemble de l'univers, et lui révèle sa place, fût-elle celle d'un spectateur, à la lumière froide de la raison, en dehors de tout mysticisme. En ce sens, Lovecraft est bien pascalien, comme le notait Robert Kanters, mais sa révélation à lui, peut-être banale aujourd'hui, fut que Dieu était mort, ou plutôt qu'il n'avait jamais existé face au chaos que comme une illusion.
De ce point de vue, la littérature fantastique classique correspond, idéologiquement, à l'agonie d'une idée de Dieu ; la science-fiction, pour l'essentiel, se situe au-delà de la décomposition de cette idée, voire de son oubli. Lovecraft, dans les textes épars de Dagon, parce qu'ils effleurent plus que ses œuvres maîtresses ces genres différents et presque ennemis, s'affirme plus que dans celles-là un habitant du no man's land subdésertique qu'il dessine entre le fantastique et la science-fiction.
C'est, à la fois, un petit et un grand événement. Que le recueil Dagon soit réédité, ne représente jamais qu'un accès de plus à des récits bien connus par les multiples tirages qu'en avait fait J'ai Lu 1, dans la même traduction de Paule Pérez. Pas une nouvelle de plus, ni de moins, simplement un sommaire aussi chahuté et hasardeux que celui de J'ai Lu : pourquoi donc n'avoir pas, une fois pour toutes, respecté l'ordre chronologique d'écriture des textes ?
Cependant, le livre prend sa valeur par la reproduction de ce H.P. Lovecraft ou : dire l'indicible, une préface capitale de François Truchaud, laquelle n'était plus disponible 2 depuis la première édition Belfond (1969). Truchaud, maître-d'œuvre du fameux Cahier de l'Herne consacré à Lovecraft, et un des meilleurs connaisseurs de notre homme, excelle à montrer l'intérêt de Dagon, qui, sous des allures hétéroclites, témoigne de la naissance et développement des thèmes majeurs. Du premiers (The Beast in the Cave — 1905) au dernier (The Evil Clergy-man — 1937) des écrits de Lovecraft passent en permanence, de façon plus limpide que dans les œuvres substantielles, des obsessions fondatrices : attrait du passé, quotidien écartelé entre terreur et démence, l'écriture comme mode de survie. A l'heure où des approximations cinématographiques dénaturent le talent de Lovecraft, ce livre donne l'occasion de revenir au texte.
Notes :
1. N°459, avec une illustration due à Druillet, et déjà datée, la reproduction de Roland Cat (« Le Construit et le Défait »), pour cette belle édition Belfond, rend mieux la grandeur lyrique et le sombre désordre du maître de Providence. 2. Si ce n'est dans le Spécial Lovecraft de la Revue Phénix (n° 6 — septembre 1986)