Bruno della Chiesa poursuit son exploration de
la tectonique des imaginaires, comme il le dit dans la préface de ce quatrième opus. Si la globalisation a des aspects négatifs, celle de l'imaginaire peut aussi en avoir des positifs par les heurts qu'elle provoque et l'enrichissement culturel qui en résulte. L'anthologiste a privilégié cette année les regards croisés, à l'exemple du regretté écrivain allemand Michael Ende qui situe son texte en Italie. Pour la première fois, le continent noir est représenté, avec le Sud-Africain Nick Wood. Le fait est que toute anthologie de ce type ne peut être qu'un patchwork de textes divers, sans unité de style ni de ton, sur lesquels le jugement du lecteur s'exercera forcément en fonction de son environnement culturel habituel.
Nous entrons en force dans l'anthologie avec
Douce Nuit, du Portugais João Barreiros. Avec maîtrise, humour et inventivité, Barreiros décrit une attaque de commandos, organisée par des entreprises multinationales, contre la magie de Noël. Ce récit percutant est si imaginatif qu'il devient lui-même un conte de Noël. Joli paradoxe.
Angry Red Planet, de Valerio Evangelisti, est un autre récit de guerre. Cette parodie de l'attaque américaine contre l'Irak prouve non seulement que l'actualité peut être source d'inspiration, mais aussi que l'humour reste sans contredit une arme de destruction massive !
Le Retour, de Chang Hsi-kuo, donne à lire pour la première fois un récit de SF chinois. Ce conte désenchanté sur la fin de la vie n'est pas sans rappeler la nostalgie pathétique d'un
Ray Bradbury dans ses
Chroniques martiennes. Sylvie Miller, dans
L'Ombre, jette un froid. Elle raconte les derniers instants d'un malade. Un mal mystérieux, lié au rêve, affecte les premiers colons martiens. Si l'on enlève le cadre, cette histoire onirique, plutôt fantastique que SF, a déjà été racontée, notamment par les « petits romantiques » du XIX
e siècle.
Des faiblesses, on en trouve dans
Utopiæ 2003. Pour tout vous dire, je commence à en avoir assez du cocktail « drogue, sexe et ultra-violence ». À cet égard,
Timbouctou, de Carlos Gardini (Argentine), malgré le prix que cette nouvelle a reçu en Espagne et d'indéniables qualités d'écriture, est une énième resucée de ces thèmes éculés. L'univers cyberpunk a ses qualités et
Dick a déjà exploré les drogues. Franchement, on peut imaginer autre chose que le tueur drogué qui déglingue ses victimes dans un univers pisseux. Les écrivains de SF ne sont-ils pas censés avoir de l'imagination ? Pour illustrer notre propos, lisez plutôt
Crucifixation, de Lavie Tidhar (Israël), dans lequel un robot mendiant se drogue pour croire en Dieu et prier. Petit récit poignant, exemple de cyberpunk dans lequel la (sur)vie est dure, mais précieuse. Tourné du côté de l'espoir, ce texte original est une réussite. L'imagination, on la retrouve également ailleurs. «
J'avais du mal à croire que je venais de jeter Dieu aux toilettes », constate l'héroïne de
Dieu sur ordonnance. Nick Wood (Afrique du Sud) élabore un récit tout en finesse et plonge au cœur de la psychologie humaine. Commercialiser le principe actif de Dieu en comprimés, voilà une idée insolite. Écrite avec style et respect, la nouvelle, qui travaille sur l'empathie, est une réussite.
Un vrai ratage, en revanche : l'hommage que Michael Moorcock décoche à
Leigh Brackett avec
La Sorcière égarée de la citadelle silencieuse. Cet empilement de stéréotypes divers est à cent lieues de la progression logique d'une histoire et ressemble plus à une parodie ratée qu'à un hommage. C'est Moorcock, le sorcier égaré !
Le Corridor de Borromeo Colmi, de Michael Ende, est un autre hommage, rendu à
Jorge Luis Borges. Une nouvelle érudite, intellectuelle, un petit bijou d'intelligence. Sur quelle réalité débouche donc ce corridor aux étranges propriétés qu'un architecte oublié a autrefois construit à Rome ?
Deux excellents textes complètent enfin ce florilège.
Notre Jerry Garcia, de Gabriel Trujillo Munoz (Mexique), démontre avec douceur que les choses ne sont pas forcément ce qu'elles paraissent être, même d'un point de vue extraterrestre. François Rouiller, «
suite à divers agacements administratifs », décrit avec beaucoup d'humour une société entièrement livrée aux tracasseries paperassières et à une surveillance permanente dans
Homo Delator. Dans l'ensemble, un recueil de textes éclectique et plaisant. Qui fait la part belle à l'humour et à la parodie, traite des grands problèmes de l'humanité, évoque l'appel religieux, mais surtout révèle des auteurs neufs dont certains gagneront à être mieux connus, c'est-à-dire, on l'espère, traduits et publiés en français. Au final, les textes qui proposent des idées novatrices éclairent l'ouvrage de feux colorés. Le bilan est plus que positif.