Le pétrole n'est qu'un souvenir. Reste le charbon, et avec lui ses mines titanesques et leurs millions de gueules noires, sa poussière grise et ses cieux asphyxiés. Un monde glacé où l'eau pure est la plus convoitée des denrées, où les animaux clonés en masse vont s'échouer au fond des filons, où le mot « jour » a été remplacé par « nuit claire ». Demain.
Pennbaker est porion, contre-maître à CorneyGround. Et il a contemplé la Mort dans les yeux, des yeux qui ressemblent étrangement à ceux de sa mère... La Mort qui lui a demandé, de cette voix si douce, s'il connaissait la profondeur des tombes... Et Pennbaker sait où chercher. Car au loin brillent les lumières de l'U-Zone, région de non-droit où réside Bartolbi, l'éleveur de hyènes. Débute ainsi la quête en compagnie de CloseLip, la fille chérie, son amour, sagement rangée dans sa valise...
La profondeur des tombes, celle qui nous traque, qu'on passe sa vie à éviter, mais qui, inexorable, nous rattrape...
Âgé d'une quarantaine d'années, Thierry Di Rollo est l'auteur de plusieurs dizaines de nouvelles publiées au Fleuve Noir et chez Denoël. Écrivain culte pour certains, infréquentable pour d'autres du fait de l'extrême noirceur de ses récits, ses trois premiers romans l'ont consacré comme la voix la plus tranchante de la SF française.
Avec La Profondeur des tombes, plongée hallucinée dans un proche futur dénué d'horizon, Di Rollo nous offre son œuvre la plus aboutie, la plus touchante, mais aussi la plus noire...
«Chez Di Rollo, il n'y a aucune compromission, aucun espoir, aucun rachat. Brillent une écriture efficace et une atmosphère persistante. »
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Critiques
La Profondeur des tombes ? Attention à la chute !
Dans un futur proche où le pétrole et ses dérivés ne sont plus qu'un souvenir, l'Europe s'enfonce peu à peu dans les ténèbres des mines de charbon exploitées en dépit du bon sens. Dans ce décor où la « nuit claire » a remplacé le jour et où le froid règne sans maître sur la « nuit noire », Forrest Pennbaker est porion. Il travaille à la mine de CorneyGround et, quant il ne travaille pas, il s'occupe de sa fille CloseLip, une réplicante qui tombe littéralement en pièces détachées. Son existence pourrait continuer de la sorte jusqu'à son ultime soupir, mais justement, un terrible secret est lié au susdit soupir. Alors qu'il était adolescent, Forrest a vu la Mort enlever un des pêcheurs du lac au bord duquel il a grandi. Cette Mort possédait un corps hideux, mais surtout la voix et les yeux de sa mère, emportée quelques années auparavant par le cancer ; cette incarnation de la Faucheuse lui a alors parlé de « la profondeur des tombes ».
Pour retrouver la trace de son amour d'enfance, Debbie, mais aussi pour comprendre de quel fil sera tissée l'étoffe de son avenir, Forrest va quitter CorneyGround avec sa fille rangée dans une valise. Ensemble, ils vont se rendre dans l'U-Zone, une zone de non-droit où réside Bartolbi, l'éleveur de hyènes, un homme qui peut probablement l'aider.
Un sous-fifre broyé par un système socio-économique qu'il va bientôt fuir à défaut de pouvoir le détruire, un futur d'une noirceur à faire passer Brazil pour une comédie de Capra, une ménagerie insensée (hippo cloné, âne capable de boire de l'eau pourrie, buffle colérique — vingt-neuf morts au compteur — , hyènes, singes cherchant un nouveau roi), une arme de poing appelée Royster, de la violence sèche comme un désert, du sexe qui sent la misère pour ne pas dire la merde. Il n'y a pas de doute possible : nous sommes chez Thierry Di Rollo, auteur de quatre romans plus noirs et désespérés les uns que les autres. Désespérés, certes, mais humains et surtout d'une étonnante profondeur.
Di Rollo a commencé sa carrière avec quelques nouvelles remarquées avant de passer au roman : Number Nine et Archeur chez Encrage, deux œuvres franchement intéressantes, inabouties à n'en point douter mais dans lesquelles germaient déjà le soufre et l'acide du diptyque La Lumière des morts/La Profondeur des tombes. Diptyque ? Oui, car il semble évident que ces deux romans sont liés, au moins au niveau des thèmes qu'ils brassent, mais aussi sur le plan du style : narration nerveuse entrecoupée de flash-backs en fondus enchaînés, construction en deux parties (« résignation » et « rébellion »). Au début de sa carrière, Di Rollo écrivait sous influence ; il y avait du Pierre Pelot et du Philip K. Dick dans ses romans. Cette époque est révolue, mais, revers de la médaille, pour ceux qui ont lu ses précédents romans, La Profondeur des tombes sonne parfois comme une autocaricature ; un peu comme quand de Palma nous fait pour la huitième fois le coup de la fusillade au ralenti toute en synchronicités. Mais au final, ce côté « Di Rollo au carré » est sans doute le seul reproche que l'on puisse faire à ce quatrième roman, car pour ce qui est du manque de crédibilité totale du monde futur décrit, il est clair que c'est voulu ou, du moins, que ce n'est pas le propos (La Profondeur des tombes est une allégorie dont certains accents rappellent les chefs-d'œuvre écolo-cyniques de Ballard, Le Vent de nulle part, La Forêt de cristal). Quant aux qualités du livre — court et percutant, tout le contraire de la nouvelle science-fiction américaine — elles sont légion : écriture au scalpel, dialogues parfaits, rythme soutenu, bonne balance entre le suspense et l'action, descriptions courtes et allant à l'essentiel. Et puis il y a toute ces trouvailles : la cérémonie de l'ondoiement, les bras de CloseLip qui se déboîtent sans cesse, la République des Singes...
Di Rollo est arrivé à sa pleine et entière maturité littéraire. Ne reste donc plus qu'à attendre son chef-d'œuvre : un roman ne mettant pas en scène un homme broyé par un système et sur le point de tracer SA route ; un livre où il n'y aurait pas de buffles, autruches, rhinocéros, lions dégénérés et autres chiens biomodifiés, généticotripatouillés. Histoire de patienter, allongez-vous gaiement dans cette profondeur des tombes, vous n'y trouverez aucun repos. Et si vous n'avez jamais lu de roman de Di Rollo, préparez-vous à un choc : il est des trous où la terre tremble plus qu'ailleurs.
Dans un futur proche, les réserves de pétrole sont épuisées, le nucléaire est abandonné en raison de sa dangerosité et les autres énergies demeurent anecdotiques. Reste le charbon. De nouveau...
Les mines sont rouvertes, à plus grande échelle. Les hommes y redescendent pour creuser jusqu'à la démence ou jusqu'à la mort. Les fumées noircissent le paysage et souillent l'eau. Elles obscurcissent même l'âme des hommes...
Impuissants, les écologistes ont dû se contenter d'une loi obligeant les mines à utiliser des animaux clonés, dans le but de préserver les espèces menacées d'extinction. Au nom de cette absurde directive, on peut voir de temps en temps un hippopotame déshydraté agoniser dans les sombres galeries ou un buffle affolé embrocher un mineur au fond d'un ténébreux couloir.
Forrest Pennbaker est contremaître dans la mine de CorneyGround. L'une de ses fonctions, c'est justement de trouver ces pauvres animaux destinés à servir de « flaireurs ». Mais Forrest est obsédé par l'image de sa fille, qu'il n'a pourtant jamais vu ; au point de l'avoir remplacée chez lui par CloseLip, un prototype de « réplicante » qui ne fait guère illusion. De plus, Forrest est poursuivi par la vision du spectre de sa propre mère, qui le questionne de façon sibylline sur la « profondeur des tombes ». Deux raisons pour lesquelles Forrest — trop seul, trop noirci par le charbon — est prêt à basculer dans une folie meurtrière.
Et d'ailleurs, s'il propose de pénétrer dans l'U-Zone — un territoire de non-droit où brille un étrange soleil et où errent des hors-la-loi, des bandes de macaques et des hyènes féroces — pour aller y chercher un nouveau flaireur, c'est qu'il a sans doute déjà basculé...
Le contexte — catastrophe écologique, réplicants, animaux clonés... — fait indéniablement de La Profondeur des tombes un roman de SF, mais plutôt que la spéculation c'est la dérive du personnage principal et de son environnement qui intéresse l'auteur. Le décor des mines, celui de l'U-Zone forment avant tout le paysage mental, effrayant et chaotique, d'un homme en proie au déséquilibre. L'atmosphère qui imprègne ces territoires est celle du malaise, de l'angoisse, de la claustrophobie, de l'asphyxie lente, de la soif permanente qui conduit à la démence. Et si l'itinéraire de Forrest se tache de sang, la violence du récit n'a rien du gore : il s'agit d'une violence plus intime, une violence sourde dont la gratuité pourtant revendiquée par le personnage, est pleine de sens pour le lecteur, car elle n'est ni complaisante, ni pénible.
Et voilà l'étonnant : malgré son parti-pris de noirceur, La Profondeur des tombes n'est en effet jamais sordide, ni malsain, ni choquant, ni même simplement ennuyeux. Non seulement Di Rollo a su créer une ambiance étouffante, mais il y associe une intrigue prenante et subtile, dotée d'un véritable suspense. Originale et traversée de fulgurances fantastiques — dues notamment à la présence toujours décalée de ces animaux incongrus — , cette quête étrange devient au contraire émouvante à mesure que les souvenirs de Forrest resurgissent et nous permettent de reconstituer son histoire personnelle, son drame à la fois futile et bouleversant — on soulignera au passage l'habileté de cette construction fragmentée.
Ce voyage au bout de la nuit charbonneuse impressionne durablement le lecteur : ses fortes images demeurent profondément gravées dans la mémoire, de même que l'esprit trouble de Forrest Pennbaker. Voilà un très bon roman qui plaira sans aucun doute aux amateurs de récits « différents » et exigeants, de ces récits inclassables qu'affectionne Le Bélial', un éditeur aux choix souvent fort judicieux.
Thierry Di Rollo est un cas. Cinq romans, plusieurs nouvelles, et déjà une réputation tenace. Celle d'être l'auteur d'une science-fiction dure, radicale, d'une violence extrême et d'une noirceur quasiment abyssale. C'est vrai. Et puis c'est faux. Vrai, car Di Rollo est effectivement un écrivain qui ne triche pas, qui va au bout de son propos, quitte à choquer ou à déplaire. Faux, car c'est terriblement réducteur. Sans compter qu'une telle réputation peut maintenir à distance un certain nombre de lecteurs potentiels. Et ça, ce serait vraiment dommage.
Voilà donc une réédition qui tombe bien : La profondeur des tombes, son quatrième roman, idéal pour découvrir cet auteur. Dans un futur indéfini, mais qu'on devine assez proche, le pétrole a disparu. Le charbon est redevenu une matière première essentielle. A Corneyground, des hommes descendent à nouveau dans les mines. Parmi eux, Pennbaker, un homme seul mais entouré de fantômes : ses parents, décédés ; Debbie, son amour perdu ; Closelip, sa fille de substitution, pâle réplique d'être humain. Et puis la mort. La mort qui parle à Pennbaker, avec la voix de sa mère, et qui lui intime l'ordre de partir à la recherche de « la profondeur des tombes ». Il ira. Lui, le lâche, il traversera l'U-Zone, vaste territoire de non-droit. Et il ira jusqu'au bout de sa quête et de sa folie.
La construction du récit n'est d'ailleurs pas sans rappeler Full métal jacket, le film de Kubrick : deux parties symétriques. Dans la première, la préparation au combat. Dans la seconde, le combat, la lutte pour la survie, l'animalité assumée. Et au final, la vérité humaine, dans toute sa crudité.
À l'évidence, La profondeur des tombes est une œuvre charnière pour Di Rollo. Il a su dépasser définitivement ses influences premières (P.K.Dick et Pierre Pelot) pour en garder le meilleur. Comme par exemple cette capacité à projeter le lecteur, dès les premières lignes, à l'intérieur d'un monde troublé mais cohérent, et dont il faut décoder peu à peu le fonctionnement interne. Tout se passe comme si avec ce roman, il avait pris conscience des véritables enjeux de son travail, de ses obsessions profondes, viscérales, pour leur donner une nouvelle dimension et un pouvoir d'évocation encore accru. Car il n'y a rien à enlever dans ce roman. Du muscle, des nerfs, du sang. Mais pas un gramme de graisse. Une succession de scènes fortes, souvent mémorables, un récit bouleversant, une écriture tendue, ramassée, concise. Pas un mot de trop. Mais un effet maximal. Di Rollo ne cherche pas l'effet. Il raconte, simplement. C'est presque de l'art brut. On le sent tout entier habité par son sujet. Il croit à sa fiction. Il est dedans. Avec lui, on suit Pennbaker, son parcours d'homme, pas à pas. (De nombreux flashs-back éclairent peu à peu le personnage, mais sans jamais freiner l'action).
En fait, ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'on ne lit pas Di Rollo, on pénètre sur son territoire, et on le fait à ses risques et périls. Vous voilà prévenus. Mais pour ceux qui osent s'y aventurer, l'expérience est inoubliable. Profondément marquante. D'une densité exceptionnelle. A lire et à relire. Car à la seconde lecture, c'est encore plus fort. Et ça, c'est un signe qui ne trompe pas.
Alors, pour finir, un pari sur l'avenir : Ce livre est un futur classique de la SF.