Critiques
Monsieur Rutil, ou le monologue de la folie naissante — c'est-à-dire ordinaire — , puis galopante. Jusqu'à refaire le monde selon l'exact désordre de ses envies, par la grâce d'un langage extraordinaire et désentravé des freins logiques. Au départ cependant, rien de plus anodin que la vie de ce vigile en uniforme bleu, en casquette ornée d'un liseré blanc, payé pour assurer des heures tranquilles aux vingt-quatre locataires de l'immeuble dont il a la garde. Pour tous, Monsieur Rutil représente l'ordre. En fin de journée, c'est pourtant le même homme qui se met nu dans sa chambre blanche, s'étend à même le sol et laisse venir à lui les bruits de l'agitation d'une société qui lui est étrangère, ainsi que ses rumeurs mentales. Alors, Monsieur Rutil se met en chasse, au gré de ses pensées dangereuses, en des rêves éveillés qui élèvent ses désirs au statut de destin, pour que des orgies tristes ou sublimes consacrent l'extériorisation d'une violence supérieure. Monsieur Rutil, alors, sait se faire aimer par d'autres femmes que ces putains lasses que parfois il embarque au rabais, quand la nuit prend fin. Il attire l'intérêt et les attentions d'êtres exceptionnels, comme les sœurs Rutil, voisines homonymes, comme Irina Rutil qui pour lui fait l'amour en se passant la lame d'un beau couteau tout au long du corps. Monsieur Rutil est nu dans sa chambre blanche et tout devient possible avec ce roman qui n'est pas fantastique, au sens où l'entendent les codificateurs. Le livre est mieux que cela : il met froidement le doigt sur un nœud d'obsessions. Celles-là que d'autres écrivains, pour s'en débarrasser, désincarnent dans le recoin d'un genre littéraire. François Muir assume, comme on dit, il adhère jusqu'au bout au flux de ses fantasmes. Alain DARTEVELLE Première parution : 1/3/1988 dans Fiction 395 Mise en ligne le : 22/10/2003
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