Ce n'est pas toujours marrant d'être écolier, et en ce mois de février le petit Harvey Swick, 10 ans, s'ennuie ferme. Les jours sont tous semblables, gris, froids, et même ses parents semblent se désintéresser de ses états d'âme. Février est un mois monstrueux : les plaisirs de Noël s'effacent déjà de la mémoire, alors que les joies de l'été semblent si lointaines qu'elles sont presque mythiques.
Un soir de déprime, un étrange bonhomme apparaît à la fenêtre de la chambre d'Harvey, et lui demande s'il n'aimerait pas mieux vivre des aventures, s'amuser sans retenue. Curieux, vaguement inquiet par l'allure grimaçante de son visiteur, Harvey finit néanmoins par admettre que ce serait bien. Le visiteur, Rictus, repart ensuite, emporté par le vent nocturne.
Une semaine plus tard, alors que les espoirs d'Harvey commençaient à disparaître et qu'il pensait avoir rêvé, Rictus l'accoste dans la rue et, lui faisant traverser un mur de brume, l'amène dans une maison de rêve, au milieu d'un parc où règne l'été.
La maison de Monsieur Hood n'est pas banale : elle accueille seulement les enfants qui s'ennuyaient dans leur vie de tous les jours. Et les saisons s'y conduisent de manière merveilleuse : printemps le matin, été l'après-midi, automne en fin de journée (c'est Halloween tous les soirs), hiver le soir (c'est Noël toutes les nuits). Harvey Swick fait la connaissance de la gentille Madame Griffin, la gouvernante de la maison, et des deux autres locataires enfantins des lieux : le débonnaire Wendell, qui prend la vie comme elle vient sans trop se poser de questions, et la belle Lulu, timide et réservée.
Les premiers temps, le séjour d'Harvey chez Monsieur Hood (qu'on ne voit jamais) se passe comme dans un rêve, de longues vacances imprévues. Et quand Harvey téléphone à ses parents, ceux-ci lui disent de bien s'amuser, de ne pas s'inquiéter pour l'école. Le paradis des enfants !
Des zones d'ombre ne tardent pourtant pas à apparaître dans ce bonheur : les terreurs d'Halloween, d'abord, puis ce mystérieux lac au fond du parc, inquiétant, encombré d'algues, peuplé de gros poissons agressifs...
Clive Barker est un maître du mélange Fantasy/horreur, et il le prouve une fois de plus en écrivant ce roman pour jeunes. Il faut un sacré talent pour donner une telle impression d'évidence. Le voleur d'éternité est superbement écrit, subtilement équilibré entre la naïveté enfantine et l'obscure terreur des maléfices... Car vous vous doutez bien que les séjours chez Monsieur Hood ont un prix : la maison et son mystérieux architecte ne relâchent pas facilement leurs proies, trouvant leur pitance dans l'énergie vitale des enfants.
Les anglo-saxons ont une expression : « un classique instantané ». C'est exactement ce qu'est Le voleur d'éternité. Un roman si fort, plongeant si bien dans l'imaginaire, qu'on a à la fois l'impression de l'avoir toujours connu... et de le découvrir, tout neuf.
Il est question que ce roman fasse l'objet d'une adaptation en dessin animé pour le cinéma — espérons que Nelvana (la firme devant s'en charger) saura faire preuve de plus de talent que dans ses productions télévisées (Tintin, Babar...) car une telle œuvre ne mérite que le meilleur, et pourrait faire un long métrage fascinant.
André-François RUAUD (lui écrire) (site web)
Première parution : 1/3/1994 Yellow Submarine 108
Mise en ligne le : 3/3/2004