DENOËL
(Paris, France), coll. Lunes d'Encre Dépôt légal : novembre 2002, Achevé d'imprimer : octobre 2002 Première édition Roman, 320 pages, catégorie / prix : 18.50 € ISBN : 2-207-25178-0 Format : 14,0 x 20,5 cm Genre : Science-Fiction
Quatrième de couverture
Paris, février 2002, Francis Valéry se rend aux éditions Denoël pour déjeuner avec son éditeur. À 11 h 57 une violente explosion dévaste la rue de Rennes. Écran noir. Coma.
Paris, février 2002, Jean-Hubert de la Thibaudière, auteur jeunesse sur le déclin, arrive aux éditions Steele & Rubinstein. Mauvaise nouvelle : ses ventes chutent, il est fortement prié de réorienter sa carrière. De retour en Avignon, à la suite d'une rencontre avec un bouquiniste douteux, il comprend qu'il n'est pas un écrivain à part entière, mais le dernier en date des nombreux pseudonymes d'un seul et même auteur-mystère. Commence alors une quête métaphysique qui, suite à l'assassinat de son éditeur et de sa trop ambitieuse assistante, deviendra une véritable enquête policière.
Roman noir postmoderne, réflexion sur la création littéraire, autobiographie pour le moins approximative, Le Talent assassiné est un livre totalement inclassable qui en dit long sur les mœurs des éditeurs parisiens.
Francis Valéry, quarante-six ans, a reçu le prix Julia Verlanger de la Fondation de France pour La Cité entre les mondes, son précédent ouvrage aux éditions Denoël.
Critiques
On pourrait aborder cet étrange roman de diverses manières. S'indigner en y découvrant, sous le masque à peine voilé de la fiction, des noms — amis, ennemis, ex-maîtresses de l'auteur — que le petit monde de la science-fiction française est persuadé de reconnaître (mais est-ce si sûr ?). S'étonner de le voir figurer dans une collection consacrée à l'imaginaire (mais s'agit-il d'un roman réaliste ?). Ou encore s'émouvoir en se demandant ce que cherche ce « mercenaire de l'écriture » abonné aux pseudonymes les plus bizarres et aux provocations les plus éhontées : perdre ses derniers amis ? Il en aurait donc encore, lui qui affirme dès la page vingt — comme son éditeur — que « la SF est une littérature de géants servie par des nains » ?
Étrange roman. Mais plus encore, étrange projet. Qu'est-ce que ce Talent assassiné ?Celui du narrateur, polygraphe désabusé, ou celui de l'auteur qui confesse que le silence sur son précédent roman l'a « brisé » ? (ce polémiste — il s'en est fait une gloire et un fonds de commerce — cacherait donc un petit cœur sensible ?). Résumons ce récit inracontable : un auteur paranoïaque au nom improbable (Jean-Hubert de la Thibaudière, dit JH, nous y reviendrons), boycotté par la critique mais convaincu de son génie (autobiographie ou auto-parodie ?), monte à Paris soumettre à son éditeur un projet de roman. Dans ces bureaux sévit un directeur de collection obsédé sexuel et spécialisé ès stagiaires, un radin nommé Dumaysberg (...passons !), un requin plus intéressé par le pouvoir que par la littérature. La charge est si excessive que le personnage en devient sympathique... On comprend que l'exagération, la provocation, le recours à l'arsenal complet des littératures dites de genre (roman noir, thriller, espionnage, fantastique, SF...) sont des choix délibérés.
On notera (c'était le but !) les allusions transparentes qui ont fait glousser une centaine de happy few et ont provoqué des réactions contrastées : si le rédacteur en chef de revue « spécialiste de l'auto-congratulation » s'en est franchement amusé, on murmure qu'un écrivain connu — « qu'on dit de mes amis » précise l'auteur — n'a guère prisé l'exercice... Passe donc, de pages en pages, le petit monde de la SF, tels Konrad & Domis, deux privés dignes des Dupondt (la brochette des collaborateurs de Galaxies est singulièrement fournie !). Mais Valéry brouille les pistes... Ainsi le personnage principal du roman (double décalé de l'auteur), qui s'appelle Jean-Hubert... de laThibaudière et qu'un autre personnage interroge benoîtement : « Vous n'auriez pas été attaché parlementaire ou organisateur d'un festival de science-fiction ? »,évoquant ainsi, à mots guère couverts, le susdit rédacteur en chef. Même les maîtresses affichées par Valéry ne l'ont pas toutes été, du moins dans la vie réelle... méthode assez emblématique du roman, « autobiographie pour le moins approximative » selon l'éditeur. Autre fausse piste : la galerie de portraits de femmes — pour importante qu'elle soit dans la narration et sans doute dans la vie de l'auteur (on relèvera avec amusement que JH et son éditeur ont, à l'égard des femmes, des attitudes antinomiques, l'une relevant de l'attachement passionnel et l'autre de la consommation pure) — qui constitue le fil rouge des divers chapitres. Le Talent assassiné est avant tout l'histoire d'une amitié d'hommes, celle d'un auteur et de son directeur de collection, qui va jusqu'à le visiter à l'hôpital tous les samedis (ce qui laisse supposer — une fois de plus mélange de réel et de fiction — que le personnage travaille en semaine...) et d'une passion dévorante : celle de Valéry pour la littérature.
On notera enfin une quatrième de couverture délibérément publicitaire et foncièrement mensongère : loin d'en dire « long sur les mœurs des éditeurs parisiens », Le Talent assassiné est un vibrant cri d'amour pour les éditions Denoël, leur PDG, le directeur de collection et, finalement, le monde littéraire que l'auteur fait semblant de détester.
Pour conclure, une interrogation : peut-on aimer un roman conçu autour d'un projet littéraire aussi égotique (bien dans le ton actuel du roman français) que sa réalisation en est brillante ? Et surtout pour quelles (bonnes) raisons ? On laissera au lecteur le soin de se prononcer, mais on pardonnera beaucoup à Francis Valéry pour cette phrase en forme d'aveu : « Le plus comique, c'est qu'il se trouve des gens pour penser (et écrire) que je suis bouffi d'autosatisfaction. Les cons. Il n'y a pas d'écrivain plus angoissé et moins sûr de son talent que je ne le suis. »
Tout commence comme un des carnets de voyage de Francis Valéry disponibles sur internet. L'auteur se met en scène dans son quotidien 1 et, en l'occurrence, il raconte un voyage à Paris qu'il effectue afin de rencontrer son éditeur, Gilles Dumay. Mais tandis qu'il marche pour aller à son rendez-vous, une explosion le fauche et il tombe dans le coma. Exit Francis Valéry : le narrateur qui rentre en scène s'appelle Jean-Hubert de la Thibaudière et débute son récit par... une visite chez son éditeur, Gilles Dumaysberg... Le roman va dès lors suivre les pas de cet écrivain pour la jeunesse qui, peu à peu, se rend compte de son véritable statut... Sur fond de crimes, à commencer par celui de Dumaysberg tué en pleine action (besognage de stagiaire...), JH rencontrera d'autres auteurs qui, comme lui, sont en situation d'incomplétude, des rencontres qui vont l'aider à comprendre le rapport qu'il entretient avec ces derniers et le mystérieux tueur.
Entrecoupé de passages biographiques et d'un récit dans le récit, Le Talent assassiné est un roman riche. Riche par sa forme, d'abord, assez libre — d'aucuns diront post-moderne — , et qui mêle plusieurs récits enchâssés dont toutes les clés ne sont pas forcément livrées. L'écriture change en fonction des narrateurs et se fait volontiers plus vive, drôle voire non-sensique lorsque JH est aux commandes. Ceci n'est pas gratuit et s'explique par les circonstances qui président à la création de l'histoire que vit de la Thibaudière.
Riche ensuite par les thèmes abordés. Valéry part d'éléments biographiques très concrets pour dériver, par le biais d'une intrigue fine mais loin d'être très originale, vers des sujets qui lui tiennent à cœur. L'écriture, le milieu de l'édition, l'art, les femmes, le Rock n' Roll, le cul, l'enfance, Jim Morrison et même Roswell sont ainsi abordés d'une façon naturelle et personnelle. Quant aux divers clins d'œils qui émaillent le récit, gageons qu'ils feront sans doute sourire les habitués du fandom et de l'édition parisienne...
Difficile, donc, de classer pareil ouvrage. On est dans du mainstream mâtiné de fantastique, alors que l'histoire même emprunte ici au polar, là au porno. Fervent défenseur de ce qu'il nomme « Fusion » dans son guide Passeport pour les étoiles (Folio "SF"), Valéry livre ici un modèle du genre qui, s'il n'est pas un manifeste, demeure un bon exemple de ce qu'il est possible de faire en mêlant sans restriction différents types de littératures et d'écritures. Malgré quelques scènes qui font perdre de l'intérêt à l'ensemble, notamment les histoires d'amours du milieu du bouquin, on prend plaisir à s'égarer dans la (les) tête(s) d'un auteur qui se livre avec largesse. A lire en tous cas.
Notes :
1. Lire « Le Talent assassiné : annexe temporaire », texte inédit de Francis Valéry publié dans le présent numéro (p. 158), pour se rendre compte de la manière particulière de cet auteur sur cet ouvrage. (NDRC)