ENCRAGE
(Amiens, France), coll. Travaux bis n° 3 Dépôt légal : novembre 2002 Première édition Essai, 320 pages, catégorie / prix : 23 € ISBN : 2-911576-36-5 Format : 13,0 x 20,0 cm Genre : Science-Fiction
Coédition Encrage / Les Belles Lettres (ISBN : 2-251-74115-1)
Les créateurs de science-fiction ont souvent abordé la question des drogues et des dépendances. Leurs réponses, graves ou ironiques, méritent attention. En rêvant les stupéfactions de demain, ces visions reflètent des tentations et des craintes qui, aujourd'hui déjà, forgent les opinions et modèlent les comportements.
STUPS & FICTION est un essai qui offre un panorama thématique des psychotropes imaginaires (euphorisants, hallucinogènes, aphrodisiaques, dopants, cyberdrogues, etc.) tels qu'ils apparaissent dans la littérature, le cinéma et la bande dessinée de SF.
François Rouiller, pharmacien, est déjà l'auteur de nombreux textes critiques sur la science-fiction et d'un recueil d'illustrations sur la vie quotidienne du futur.
1 - Remerciements, pages 7 à 8, notes 2 - Introduction, pages 9 à 13, introduction 3 - Cadre, limites, définitions, pages 14 à 28, article 4 - Histoire, I : un thème millénaire, pages 29 à 32, article 5 - Histoire, II : L'âge romantique des drogues, pages 33 à 36, article 6 - Histoire, III : France : ivresses et décadence, pages 37 à 43, article 7 - Histoire, IV : Un récit fondateur, pages 44 à 47, article 8 - Histoire, V : Angleterre : humour et exotisme, pages 48 à 50, article 9 - Histoire, VI : Un visionnaire autrichien, pages 51 à 55, article 10 - Histoire, VII : États-Unis : Premières drogues science-fictives, pages 56 à 63, article 11 - Histoie, VIII : Contre-utopies, pages 64 à 71, article 12 - Le Laboratoire de la SF moderne, pages 72 à 74, article 13 - Thèmes, I : Toxicomanie, trafics et société, pages 75 à 82, article 14 - Thèmes, II : Dépendances et états de manque, pages 83 à 88, article 15 - Thèmes, III : Délires et défonces, pages 89 à 94, article 16 - Thèmes, IV : Dopants et excitants, pages 95 à 98, article 17 - Thèmes, V : Drogues guerrières, pages 99 à 105, article 18 - Thèmes, VI : Opiums du peuple et sérums de vérité, pages 106 à 123, article 19 - Interlude : Philip K. Dick, maître psychonaute, pages 124 à 150, article 20 - Thèmes, VII : Drogues affectant la mémoire, pages 151 à 155, article 21 - Thèmes, VII : Chronolytiques, pages 156 à 165, article 22 - Thèmes, IX : Hallucinogènes, pages 166 à 177, article 23 - Thèmes, X : Drogues aliénantes, pages 178 à 188, article 24 - Thèmes, XI : Aphrodisiaques et ceintures de chasteté, pages 189 à 194, article 25 - Thèmes, XII : Drogues et facultés surhumaines, pages 195 à 212, article 26 - Thèmes, XIII : Drogues d'immortalité, drogues mutagènes, pages 213 à 216, article 27 - Thèmes, XIV : Drogues divines, pages 217 à 224, article 28 - Thèmes, XV : Cyberdrogues, pages 225 à 238, article 29 - Thèmes, XVI : Drogues sonores et énergétiques, pages 239 à 245, article 30 - Envol : Deux auteurs exemplaires pour entamer le millénaire, pages 246 à 256, article 31 - Évolution d'un thème, pages 257 à 266, article 32 - Pas de leçon, mais des idées, pages 267 à 272, article 33 - Bibliographie, pages 273 à 298, bibliographie 34 - Index, pages 299 à 317, index
Critiques
Stupéfiant !
Oui d'accord, elle est facile, mais c'est le premier mot qui vient à l'esprit à la lecture de cette étude parfaitement maîtrisée que François Rouiller consacre aux drogues et à la toxicomanie dans la science-fiction. Attention, pas « dans la littérature de science-fiction » ! Car F. Rouiller ne se limite pas au support livre, il n'oublie ni la BD, ni le cinéma et effleure même la musique et les arts plastiques. Il n'hésite pas, de surcroît, à faire de fréquentes incursions dans toute la francophonie, voire chez nos amis transalpins. Aurait-il tout vu, tout lu, tout absorbé ? En tout cas, il semble avoir tout digéré...
L'affaire n'apparaissait pourtant pas nécessairement gagnée d'avance. Avec un tel sous-titre, on s'attendait un peu à énumération pesante, voire clinique (d'autant plus, comme tient à nous préciser la quatrième de couverture, que l'auteur est pharmacologue) des différentes substances psychotropes qui émaillent la SF. Le début n'a rien pour écarter cette crainte. Remerciements, limitation du sujet (définition des termes « drogue », « toxicomanie », « science-fiction »), survol historique... Tout cela ne peut-il pas évoquer un devoir universitaire ? Mais l'auteur ne s'appesantit pas et son style tout en fluidité est plaisant. On en conclut que l'homme, honnête et sérieux (diable ! un pharmacien suisse !), a préféré prévenir tout de suite son lecteur des limites de son champ d'étude, ce qui est tout à son honneur, et on poursuit sa lecture avec encore un rien d'appréhension.
Bien infondé.
Car vient ensuite un véritable feu d'artifice. Notre érudit décline son thème en seize variations qui vont des drogues réelles (celle connues dans notre monde actuel) aux drogues sonores en passant entre autres par les drogues chronolytiques, divines, aliénantes et les cyberdrogues. Et c'est à chaque fois un régal. F. Rouiller rebondit d'un auteur à l'autre, d'une œuvre à l'autre, évoque ici, résume là, souligne convergences, divergences et inspirations sans jamais lasser. Bien au contraire, éblouissant d'érudition et de pertinence, il réussit le tour de force, malgré ou grâce à la limitation inhérente au thème qu'il traite, à montrer toute la richesse d'imagination, toute l'inventivité dont peut faire preuve la science-fiction. Porté par son enthousiasme, le chroniqueur oublie son énervement face au système de renvoi bibliographique, n'hésite plus à se lancer dans l'art délicat du pronostic (le jury du Grand Prix de l'Imaginaire ne saura oublier le livre dans son palmarès !) et entreprend illico de dresser la longue liste de tous ceux à qui il a envie de prêter ou faire acheter l'ouvrage : fans actuels qui, pour relecture, iront extraire de leur bibliothèque quelques-unes des œuvres évoquées ; anciens fans dont la flamme ne manquera pas d'être ravivée ; et surtout tous ceux qui n'ont jamais compris ce que le susdit chroniqueur trouvait de si intéressant dans la SF !
François Rouiller, qui vient tout juste de nous gratifier d'un superbe recueil de dessins humoristiques de SF (Après-demains : cent vues imprenables sur le futur, l'Atalante), est décidément un homme de talent — ou mieux, de talents, comme cette publication, très différente, l'atteste de manière éclatante.
Lorsque l'auteur m'a envoyé, voici bientôt trois ans, le premier jet de son manuscrit, je l'ai lu d'une traite, subjugué par la pertinence de son propos, l'étendue de son érudition et la justesse de ses analyses. Enthousiaste, je l'ai immédiatement invité à présenter son papier au festival Utopia 2000, où il a fait un « tabac ». Depuis lors, de l'eau a passé sous les ponts, de l'encre a coulé sur les pages, et de l'héroïne a circulé dans les veines... Notre apothicaire helvète, lui, peaufinait son essai et le complétait : le résultat est là, époustouflant.
J'en prends le pari, cet opuscule fera date dans l'histoire du genre. À cela, trois raisons au moins : premièrement, c'est (à ma connaissance) la première étude systématique du sujet ; deuxièmement, c'est, à tous points de vue, un travail magistral ; troisièmement, et quoique l'auteur se tienne avec une rigueur toute... helvétique aux strictes limites qu'il s'est fixées, les perspectives qu'ouvré cette lecture dépassent de beaucoup son cadre thématique.
Dire que cet ouvrage s'appuie sur une remarquable érudition serait une platitude : le lecteur le plus pointilleux éprouverait bien des difficultés à vouloir identifier des lacunes dans le florilège qui lui est proposé. Que l'on en juge : en dehors des chapitres consacrés aux auteurs-phares du thème (Dick, bien sûr, mais aussi Egan et Wagner, sans oublier les cyberpunks Gibson, Sterling et Stephenson), tous les grands noms du genre (du moins ceux qui viennent à l'esprit dans ce contexte) sont évidemment présents (de Aldiss à Wintrebert, en passant par Disch, Jeury, Lem, Ligny, Morrow, Spinrad, Watson, etc.). Plus inattendus peut-être, des noms auxquels on aimerait qu'il soit plus souvent fait référence (pour ne citer que deux exemples : le très injustement sous-estimé et oublié Lafferty, ou le nouveau venu Nasir). En prime, quelques classiques utilement et fort judicieusement convoqués à l'appui de la réflexion ; (Baudelaire évidemment, mais aussi Huxley, Cocteau, Orwell, Kafka, Stevenson, Le Fanu, Sade, Rabelais, et même Pline l'Ancien). Au fil des pages, on croisera aussi Kepler, Mann (pour Dr Faustus), Michaux, W.S. Burroughs (pour Le Festin nu, entre autres joyeusetés), Jeff Noon (et son alléchant Vurf), Léo Perutz (ah, La Neige de Saint-Pierre !)... Et ce n'est pas fini. Car le cinéma n'est pas en reste (Cronenberg, Gilliam, Kubrick, Wenders... et jusqu'aux Inconnus !), non plus que la BD (de Hergé à Bilal) ou plus généralement les arts plastiques (H.R. Giger, entre autres). On trouvera même, de temps à autre, des références à caractère musical (d'Offenbach à H.-F.Thiéfaine, via Hendrix).
« Ouf ! », serait-on tenté de soupirer, assommé par l'ampleur de ces listes. Que l'on se détrompe : la profusion bibliographique n'est jamais lourde, et ne gâche en rien le plaisir de lecture ; ce n'est pas le moindre mérite de ce livre. Car Rouiller est trop fin pour « étaler la confiture », et trop structuré pour ne pas emmener le lecteur autrement qu'en douceur vers les confins de délires que seules les noces de la SF et des hallucinogènes, réels ou imaginaires, pouvaient produire. La haute tenue académique de l'ensemble (voir notamment, à ce propos, la bibliographie et l'index, remarquables d'exhaustivité et de clarté) ne peut générer que davantage d'engouement. Pour ne rien gâter, Rouiller écrit bien. Très bien, même : rien que pour la fluidité stylistique de sa prose, Stups & Fiction mériterait d'être cité en exemple.
Quant aux choix opérés en matière de structure, enfin, nul doute qu'ils ne soient judicieux : aux 8 chapitres historiques succèdent les 17 « thèmes » qui permettent une lecture à la fois subtile, profonde, rapide (les chapitres sont courts), voire sélective et ciblée des différentes composantes stupéfiantes de la SF. Alors, rien de négatif là-dedans ? Pas le moindre bout de page à éreinter ? Je dois avouer n'avoir, à la seconde lecture, toujours rien trouvé de significatif en ce sens. Ah, si ! Un petit détail, fort subjectif d'ailleurs : un tel ouvrage aurait mérité mieux, comme titre, qu'un jeu de mots quelque peu laborieux. Mais c'est mineur, j'en conviens.
Des études thématiques de ce type (on peut en imaginer d'autres...) pourraient permettre d'éclairer la production de SF (son histoire, son évolution, sa pertinence) d'un jour neuf : Rouiller en est conscient. En fait, et aussi étrange que cela paraisse à première vue, ce livre qui réjouira les spécialistes pourrait tout aussi bien servir d'introduction à la science-fiction, à l'usage de celles et ceux qui n'en pensent a priori rien de bon, mais s'intéressent aux problématiques des dopes, et notamment aux traitements que les différents domaines d'expression artistique leur réservent.
L'auteur ne donne, pour reprendre ses propres termes, « pas de leçons, mais des idées ». Un dernier argument à la suite de cette remarque : François Rouiller n'est pas seulement un érudit en matière de littérature, de cinéma ou de BD. Il sait aussi de quoi il parle à propos des drogues (le pluriel n'est « loupé » pratiquement que dans le sous-titre de l'ouvrage), et non de la drogue comme on l'entend bien trop souvent, notamment dans les controverses à la mode autour de la dépénalisation. On le sait : lancer ce débat dans les dîners en ville est l'un des plus sûrs moyens d'entendre tout et n'importe quoi ; et si l'on a un politique à table, les chances d'atteindre en quelques minutes des sommets d'ineptie (ou, suivant le cas, d'hypocrisie) sont maximales. En ces temps où la polémique couve, Rouiller réussit l'exploit de ne pas livrer sa position sur le sujet : c'est son droit le plus absolu. Mais il informe, l'air de rien ou presque. J'enverrais volontiers Stups & Fiction à certains parlementaires. Mais ils ne le liraient pas : débattre en se maintenant sous-informé (ou en faisant semblant de l'être) est beaucoup plus confortable.