Christopher PRIEST Titre original : The Prestige, 1995 Première parution : Londres, Angleterre : Touchstone / Simon & Schuster UK, septembre 1995 Traduction de Michelle CHARRIER Illustration de Alain BRION
DENOËL
(Paris, France), coll. Lunes d'Encre Dépôt légal : mai 2001, Achevé d'imprimer : mai 2001 Première édition Roman, 416 pages, catégorie / prix : 22,11 € ISBN : 2-207-25149-7 Format : 14,0 x 20,5 cm Genre : Fantastique
Au cours d'une enquête sur une secte, le journaliste Andrew Wesley rencontre une jeune femme, Katherine Angier. Elle lui annonce qu'il s'appelle en fait Andrew Borden, et qu'une guerre oppose les familles Borden et Angier depuis la fin du XIXe siècle. Une lutte insensée prenant ses racines dans la rivalité entre deux prestidigitateurs : Alfred Borden et Rupert Angier, célèbres à leur époque pour leurs numéros de téléportation. Et quand Andrew découvre le rôle exact joué par le scientifique Tesla dans toute cette affaire, sa vie en est bouleversée à jamais.
Le Prestige, véritable roman magique, est sans doute le meilleur livre de Christopher Priest. Newmarket, les producteurs de Memento, en a acquis les droits cinématographiques.
Christopher Priest est connu dans le monde entier pour son roman Le monde inverti. Mais il est l'auteur d'autres ouvrages remarquables, dont Une femme sans histoires, Les extrêmes, La fontaine pétrifiante.
Critiques
Le prestige — du latin praestigium, illusion — est la troisième et dernière étape du tour de magie, l'aboutissement des préparatifs puis de l'exécution : c'est le lapin sorti du chapeau, l'effet pour lequel l'illusionniste est prêt à tout, même à simuler une infirmité tout au long de sa vie. La réussite du tour dépend si étroitement de son secret que le mensonge et la dissimulation deviennent la seconde nature du magicien.
Andrew Wesley, journaliste contemporain, va découvrir cet univers de faux-semblants et de tromperie à travers les journaux intimes de deux magiciens de renom : Alfred Borden, l'arrière-grand-père d'Andrew, et Rupert Angier, son rival le plus acharné. Leurs carnets relatent la guerre sournoise et implacable que se livrèrent les deux hommes, de malentendus en mesquineries, de simples farces en tragiques sabotages. Un duel d'autant plus absurde que chacun en désire ardemment la fin ; mais la réconciliation des deux artistes, qui pourtant auraient pu être les meilleurs amis du monde, demeurera inaccessible.
Lorsque Borden va mettre au point un stupéfiant numéro de téléportation instantanée, Angier n'aura de cesse de découvrir son secret ou de reproduire le tour à sa manière, en tentant de le perfectionner. Son acharnement le conduira même à consulter Nikola Tesla, l'inventeur qui rendit pratique l'utilisation du courant alternatif et qui fait ici figure de savant fou.
Car pour dépasser son adversaire, Angier est prêt à jouer avec le feu, avec l'électricité, avec la science... Même s'il faut pour cela une machine digne de celle de Frankenstein, même s'il doit courir le risque de devenir L'Homme invisible ou de se dédoubler tels Dr Jekyll et Mr Hyde. Shelley, Wells, Stevenson sont en effet les références qui viennent spontanément à l'esprit. Elles témoignent que Le Prestige n'est pas seulement situé autour de 1900 mais qu'il est réellement écrit dans l'esprit du XIXe siècle.
Il ne s'agit pas de steampunk, car ce genre implique un passé fantasmé et revisité à la lueur des connaissances contemporaines. Au contraire, Priest met en scène un XIXe siècle réaliste, une période charnière où l'illusion peut devenir réalité, où la fée électricité rend possible les rêves les plus fous, où le scientifique devient le magicien des temps modernes... non sans danger. Un siècle qui voit aussi naître la science-fiction : la « suspension d'incrédulité » nécessaire au lecteur de SF succède au « pacte d'acceptation de la sorcellerie » que signe inconsciemment le spectateur face au magicien.
Pour reconstituer l'intégralité d'une histoire qui paraît banale avant de se révéler hallucinante et terrifiante, le lecteur va devoir confronter les différentes versions. Car chaque vision est lacunaire : « Le moindre mot de ce calepin est vrai — il décrit ma réalité. », écrit Borden. Sa réalité, façonnée par une mystification devenue instinctive.
D'une construction passionnante et remarquablement rigoureuse, Le Prestige parle aussi, comme tous les romans de Priest, de perception de la réalité. L'auteur démontre une nouvelle fois que l'écriture est une illusion : comme un magicien, ce qu'il donne à voir — à lire — n'est pas forcément ce qui est. Il sème suffisamment d'indices pour permettre au lecteur de deviner une partie du mystère, mais il truque le récit pour mieux surprendre, pour réussir son effet... Pour le prestige !
Du même auteur, la collection Lunes d'encre a récemment publié la plate novélisation d'eXistenZet l'intéressant mais inabouti Les Extrêmes. Avec Le Prestige, nous retrouvons enfin un très grand Priest — sinon son meilleur livre comme l'affirme la quatrième de couverture. Un roman subtil et captivant, une fantasmagorie magistrale, fort justement récompensée par un World Fantasy Award.
Histoire de doubles, de faux frères et de vrais jumeaux, Le Prestige exploite toutes les variations sur le thème de l'Autre, cette part complémentaire et parfois absente de l'âme sans laquelle la réalité ne peut être perçue dans sa totalité.
A la fin du XIXe siècle, deux illusionnistes célèbres, Alfred Borden et Rupert Angier, se livrent une lutte sans merci qui les mènera jusqu'à la tentative de meurtre. Affrontement absurde et première variation sur le thème du double : les deux antagonistes s'admirent secrètement et n'aspirent qu'à la réconciliation, sans jamais oser franchir le pas. Leur rivalité cristallise autour d'un numéro d'illusion qui met en scène la téléportation du prestidigitateur. Chacun le pratique avec ses propres méthodes et s'épuise à percer le secret de son ennemi. Tandis que Borden utilise des ficelles classiques, Angier est allé jusqu'aux Etats-Unis débusquer Nicolas Tesla lui-même, pour lui demander une machine à téléporter. L'utilisation de cet appareil extraordinaire entraîne cependant quelques effets secondaires... Mais n'en disons pas plus, sous peine de dévoiler les clés de l'intrigue.
La haine des deux hommes est telle qu'elle déborde les limites des générations. Mais à l'aube du XXIe siècle, les descendants des deux illusionnistes, Andrew Wesley et Katherine Angier, entendent bien tracer un trait sur cette guerre irrationnelle. Toutefois, ils pressentent que ce sera difficile, car il savent qu'une partie de la vérité leur échappe : depuis toujours, Andrew perçoit en lui l'appel d'un frère jumeau qu'il n'a jamais eu, et Katherine sent peser sur son destin une ombre menaçante qui la terrifie.
Chritopher Priest utilise ici encore les techniques imbriquées de la focalisation interne, de la relativité des points de vue et du récit lacunaire, déjà essayées dans Le Rat Blanc et Futur Antérieur avant d'être hissées à leur perfection dans La Fontaine pétrifiante.
Le roman est découpé en différents récits contés par les principaux personnages. L'habileté consiste à produire in fine un puzzle incomplet que le lecteur est invité à terminer lui-même. Il est clair que l'auteur a varié les styles d'un récit à l'autre (les différents personnages ont des origines sociales et des parcours très différents), mais malheureusement cet effet se dilue dans une traduction parfois maladroite.
Si la technique est soignée et la construction habile, on regrette néanmoins que l'auteur se laisse aller à user de certaines facilités. En particulier, la machine de Tesla produit les effets les plus hétéroclites sur ceux qui l'utilisent : outre la téléportation attendue, elle génère télépathie et immortalité sans que la moindre justification soit avancée. C'est une faiblesse qui nuit à la cohérence de l'œuvre, et si les références à H.G. Wells (de La Machine à explorer le temps à L'Homme invisible) sont très sensibles, on est loin de la rigueur de ce dernier.
Le récit accuse par ailleurs un passage à vide dans sa seconde moitié. Les scènes avec Tesla, qu'on a l'impression d'avoir déjà lues cent fois, sont traitées avec un excès de convention qui les rend peu crédibles. Si bien qu'on est tenté par le soupçon que l'auteur tire à la ligne...
De plus, le dénouement fait basculer le récit dans l'épouvante gothique sans que ce changement de genre ait été préparé. L'unité du texte en souffre et, bien que les derniers épisodes soient très spectaculaires, le lecteur exigeant a tendance à se tenir en retrait.
A notre avis, le meilleur du roman se trouve dans la merveilleuse évocation du métier de prestidigitateur, avec sa grandeur, ses contraintes, sa philosophie et son éthique. Les passages consacrés à ce sujet sont passionnants et témoignent d'une profonde sensibilité qui rappelle les plus beaux textes de Boileau-Narcejac, orfèvres en la matière.
En somme, un très bon roman de Christopher Priest, habile et divertissant, mais qui souffre parfois d'un manque de cohérence et qui – mais peut-on vraiment l'en blâmer ? – demeure loin derrière son chef-d'œuvre : La Fontaine pétrifiante.
Andrew Wesley, journaliste au quotidien londonien Chronicle se rend dans un village perdu du Derbyshire, convoqué par un télégramme. Il espère bien obtenir un scoop sur la secte « Rapturous Church of Christ Jesus », installée dans ce village et dont le gourou (en fuite en Californie) prétend être capable de bilocation — en termes clairs : d'ubiquité.
Mais les choses dérapent dés le début : d'abord, dans le train, Andrew découvre avec surprise que quelqu'un lui a transmis un petit manuel de prestidigitation, signé par un certain Alfred Borden — le nom d'origine d'Andrew, enfant adopté, était Borden. Puis, au village, il découvre que ce n'est pas la secte qui lui a demandé de venir, mais une femme du nom de Katherine Angier, habitant dans la partie du manoir non achetée par la secte. Elle voulait le voir, lui, le fils abandonné de Clive Borden. Pourquoi ? Parce que leurs deux familles ont une longue et terrible histoire commune... Leurs ancêtres Alfred Borden et Rupert Angier se sont livrés à une guerre, à l'époque où tous deux étaient célèbres dans le monde entier comme prestidigitateurs — non, mieux : comme « magiciens » !
Rédigé en 1901, le petit précis de prestidigitation s'avère être en fait le journal secret de Borden, couvrant toute la fin du XIXe siècle et toute la querelle qui déchira sa vie et celle de son rival, Angier... Mais, également, la vie de certains de leurs descendants !
Ce journal nous plonge dans l'univers victorien d'un homme de spectacle, jaloux de ses « trucs » qui l'ont rendu fameux. Mais voilà, justement : c'est en voulant copier les mystérieux effets de son rival que Borden a mis au point son numéro le plus connu — et c'est en voulant mettre à jour le secret d'Angier qu'il va voir sa vie basculer dans le cauchemar...
Une vie déjà étrange et peu plaisante : car afin d'assurer le succès de sa grande illusion (un déplacement apparemment instantané d'un point à l'autre de la scène), le magicien a perverti toute son existence quotidienne. La narration présente des bizarreries, des ruptures... qui ne s'éclairciront que peu à peu...
Monté comme un journal intime de l'ère victorienne, ce roman débute et s'achève de nos jours, afin de boucler la boucle d'une très étrange malédiction familiale : ou comment, par vanité professionnelle, deux hommes détruisirent leur vie en n'utilisant une invention extraordinaire qu'à des fins dérisoires...
Tranquillement, Christopher Priest déroule le fil d'une intrigue aussi sombre qu'incroyablement originale. Là où d'habitude les auteurs de steampunk nous offrent des œuvres plus ou moins ludiques, marquées en tout cas par une bonne mesure de second degré, Priest a traité le sujet de la prestidigitation avec une documentation sans faille et un sérieux complet. Pour extravagantes que soient ses extrapolations sur Nikola Tesla et l'électricité, elles demeurent ici dans un cadre de thriller noir et tendu, tout à fait inhabituel en dehors du cadre contemporain. Le roman de Priest n'en acquiert ainsi que plus de force et de suspense. Un roman incomparable, captivant, étonnant — bref : une ?uvre à ne pas manquer, s'inscrivant à merveille dans les préoccupations de « fusion » de la belle collection grand format des éditions Denoël.