POCKET
(Paris, France), coll. Rendez-Vous Ailleurs Dépôt légal : janvier 2000, Achevé d'imprimer : décembre 1999 Première édition Roman, 420 pages, catégorie / prix : 139F ISBN : 2-266-08356-2 Format : 13,8 x 20,4 cm Genre : Science-Fiction
Autre prix : € 21,19.
Quatrième de couverture
En cette fin de XXIème siècle, les industriels de la santé dominent l'économie mondiale. Le pouvoir est entre les mains, plutôt conservatrices, de citoyens du troisième âge qui ont su gérer leur capital en investissant dans des technologies médicales de pointe, qu'ils sont désormais les seuls à pouvoir s'offrir. Pour eux, l'immortalité n'est plus un rêve inaccessible. A quatre-vingt-quatorze ans, Mia Ziemann est l'une de ces privilégiées, mais une visite à un amour de jeunesse, qui a décidé d'en finir avec l'existence, ainsi qu'une rencontre de hasard avec une conceptrice de mode vont la conduire à une révélation effroyable : par excès de prudence, elle a gâché sa vie.
A moins que...
Car il lui reste une chance de repartir à zéro. A condition de se soumettre à un traitement de rajeunissement, douloureux et risqué. Et à condition, ensuite d'échapper à ses médecins pour fuir en Europe. Bref, de se jeter à corps perdu dans l'illégalité.
A l'origine du mouvement cyberpunk, journaliste branché et autorité en matière d'informatique, auteur de « Schismatrice », « Gros temps » et « Le gamin artificiel », Bruce Sterling est sans conteste le plus novateur et le plus visionnaire des écrivains de science-fiction de la nouvelle génération. Avec « Le feu sacré », il nous présente un futur aussi surprenant que plausible.
Critiques
Avec Le Feu sacré, Bruce Sterling, connu comme chef de file du mouvement cyberpunk pour ses romans La Schismatrice, Les Mailles du réseau et son anthologie Mozart en verres miroirs, nous projette à une vie d'ici dans le futur. La vie de Mia Ziemann, économiste médicale californienne de 94 ans.
Ce qui frappe dans ce roman, c'est la pertinence des problématiques qui y sont soulevées, leur plausibilité — ou encore la médiocrité de sa traduction... Le Feu sacré parle de ce dont il faut parler. Alors que le taux de croissance de l'industrie médico-pharmaceutique ne fait que croître et embellir, Sterling le projette sur un siècle qui aboutit à une sorte de « meilleur des mondes ». La santé n'est nullement imposée et on n'est pas dans les formes du totalitarisme classique, mais dans un système basé sur l'exclusion. C'est la fameuse société où tout va à la santé, laquelle occupe la place centrale qui naguère était celle de l'agriculture. Les traitements de longévité ne bénéficient qu'à ceux qui ont eu une vie aseptisée, se sont astreints à rester en forme, tenus à l'écart de la mal'bouffe, abstenus de tout risque et, surtout, n'ont que peu coûté au système de santé, aidés en cela par les flics maternant du « Soutien Civique », intransigeants mais souriants gardiens d'une hygiène personnelle, chargés d'exclure les individus à risque. La longévité s'étant accrue, le pouvoir reste dans les mains de ses bénéficiaires, engendrant l'avènement d'une gérontocratie de fait. C'est une telle vie qu'a mené 94 ans durant Mia Ziemann.
Elle optera pour un traitement expérimental de réjuvénation des plus radicaux, qui va lui rendre le corps de ses 20 ans. Mais à 20 ans, on a du mal a supporter les contraintes drastiques qui vont de pair avec un tel traitement : à 20 ans, on veut vivre. Pas servir de cobaye. Elle s'enfuira donc en Europe pour y vivre comme une marginale, une clandestine. Elle y rencontrera de vrais jeunes tentant de résister à la gérontocratie en place.
Wanderjahr. Ces voyages qui forment la jeunesse. Ces rites de passage, au retour desquels le jeune était devenu un adulte sachant se débrouiller par lui-même, ont disparu de nos sociétés où les antipodes sont à 24 heures de vol et à portée de voix via le téléphone portable et le Net. La S-F est le révélateur de ce manque patent qui nourrit certaines de ses plus belles pages : Rite de passage d'Alexeï Panshin, L'Enfant de la fortune de Norman Spinrad, La Jeune fille et les clones de David Brin ou Molly zéro de Keith Roberts — sans exhaustivité. Comme ses prédécesseurs, Sterling a choisi de faire effectuer son voyage par une jeune femme, mais, alors que les sus-cités œuvraient dans le space opera ou le post-catastrophique, il a opté pour un futur prospectiviste dans le prolongement du monde contemporain. Cet éclairage révèle que l'Œdipe du XXIe siècle est une rupture forte entre mère et fille ; Mia Ziemann incarnant les deux rôles, la fille sous le nom de Maya. Ainsi, la police est vêtue du rose emblématique des petites filles. Les gérontocrates sont très majoritairement des femmes puisque les comportements autodestructeurs qui sont générés par le retournement masochiste de l'agressivité liée à la production de testostérone restent libres. Aux institutions des siècles passés a succédé une société matricielle, un cocon où les gens sont maternés en vue d'un ultraconformisme étouffant. Tous les hommes jeunes du roman apparaissent en révoltés caractériels, velléitaires et immatures. Cette société-là suffoque. La Terre toute entière n'est plus qu'un monstrueux hospice à l'échelle mondiale. Le traitement subi par Mia sera abandonné car il apporte une nouvelle jeunesse, y compris l'activité hormonale qui va avec, et non « l'éternelle vieillesse » qu'espéré cette société ménopausée.
Bruce Sterling nous propose une fin de l'Histoire peuplée de petits vieux — de petites vieilles, plutôt — , sains et frileux mais riches, gérant le présent pour que leurs lendemains ressemblent à hier. Un univers d'où les jeunes ne chasseraient plus les vieux au fil des générations mais l'auraient été une bonne fois pour toutes. Déjà aujourd'hui, la transmission du patrimoine ne se fait plus qu'au sein d'une frange de plus en plus vieille de la population. Il porte la contradiction au pays du consensus mou ; il a trouvé un bon angle d'attaque pour stigmatiser le danger géronto-féminin et l'involution inhérente. Les fins de l'Histoire n'ont-elles pas toutes en commun leur conservatisme ?
Bien que Bruce Sterling n'ait jamais été un auteur à la dynamique fulgurante, Le Feu sacré va faire l'effet d'une bombe dans le paysage de la S-F sociologique. Iconoclaste et à contre-courant, ce roman dynamite les thèses sociales en odeur de sainteté tant dans la S-F qu'en sciences humaines. Il pointe le danger insidieux parce que sous-jacent du consensus idéologique enthousiaste qui prévaut aujourd'hui. Il interroge sur l'avenir libidinal d'un monde d'où la pulsion de mort aurait été éradiquée pour accéder à un stade posthumain. Visionnaire.
Bruce Sterling, ancien chef de file du mouvement « cyberpunk », revient sur le devant de la scène de la SF avec un roman très provocateur sur la transformation de la société humaine d'ici cent ans. Cette histoire se déroule donc à la fin du xxie siècle. Entre-temps, l'humanité a survécu à une série d'épidémies terrifiantes qui ont failli décimer la population mondiale, pour émerger ensuite dans une nouvelle ère de prospérité et de stabilité. Cet état des choses est plus ou moins assuré par la « Polité », une forme d'organisation politique planétaire largement dominée par le complexe médico-industriel, grâce à son monopole sur les moyens de prolonger la vie humaine, qui s'améliorent en permanence avec les progrès de la technologie bio-médicale. Mais pour en bénéficier, il faut rester bien sage : pas d'abus de substances toxiques, plein d'exercice physique, nourriture correcte, et une bonne hygiène personnelle. Sinon, on n'a pas accès aux traitements de longévité. Ce régime est surveillé de près par les médecins et les membres du « soutien civique », toujours aimables et souriants, mais très stricts sur le fond. À long terme, cela veut dire aussi que tout le pouvoir et tous les privilèges s'accumulent inévitablement chez les « gérontocrates », ceux qui ont su suivre les consignes sanitaires et qui ont eu comme récompense une prolongation de leur espérance de vie, mais au prix d'une existence ordonnée et bien fade.
Mia Ziemann, une économiste médicale installée à San Francisco, âgée de 94 ans, est une gérontocrate modèle, qui a toujours vécu selon les règles. Mais perturbée par la mort d'un ancien amant et aussi profondément ennuyée par son style de vie, elle décide de subir un traitement expérimental de rajeunissement au niveau cellulaire. Ce traitement va non seulement lui redonner le corps d'une jeune femme mais aussi provoquer (en régénérant des neurones dans son cerveau) un changement radical de sa personnalité. Elle décide d'échapper au programme de surveillance médicale imposé par la loi dans ces cas-là et s'enfuit en Europe. Là-bas, sous le nom de « Maya », elle vit en marginale, sans accès aux soins médicaux, errant de ville en ville : Munich, Prague, Stuttgart, Rome et autres. Sur son parcours elle fait la connaissance du monde clandestin de jeunes gens révoltés — artistes, intellectuels, criminels ou toxicomanes — , tous frustrés et opprimés par le poids étouffant de la gérontocratie. Ainsi, Mia/Maya tombe sous l'influence de Paul et Benedetta, membres du mouvement underground des « artificiers », qui cherche à utiliser à la fois l'art et la science pour promouvoir une transformation révolutionnaire de la conscience dans une société post-humaine. Ils appellent cela le « feu sacré », c'est-à-dire la joie intense provoqué par la vraie créativité. Mais pour réussir leur coup, ils ont besoin du « palais de mémoire » virtuel dont Maya a hérité les codes d'accès de son ancien amant.
Voici un livre tout à fait étonnant, bourré d'idées et d'images bizarres qui jaillissent presque à chaque page. Il donne vraiment la sensation d'entrer dans un monde très différent du nôtre, ou l'accélération du développement technologique permet enfin de dépasser les limites de la condition humaine. Il faut dire que l'intrigue en soi est assez maigre, et évoque parfois un récit de voyage plutôt qu'un roman. Mais quel voyage ! Tout est dans les détails : des chiens qui parlent (et deviennent même présentateurs télé), l'interdiction faite aux enfants de consommer des légumes, des bâtiments comestibles, un pape qui réalise de vrais miracles, une piscine qui est aussi un ordinateur... et maintes choses encore. Bruce Sterling démontre une nouvelle fois sa capacité à réfléchir sérieusement à l'avenir et à nous le communiquer dans toute son étrangeté. Et il pose une très bonne question : si on approche le point de « singularité » (au sens historique et non astrophysique du terme) où l'humanité acquiert l'immortalité et où s'ouvrent toutes les possibilités, que faire ?