Au large de La Haye, où vient de s'achever son procès, le Corpus Dei entre brutalement en décomposition et explose, expédiant Sa Tête en orbite. L'humanité vit désormais sous le sourire ricanant du divin Crâne orbitant dans le ciel comme une seconde Lune.
Une épidémie de peste schizophrénique se propage alors, qui place les malades face à leur propre mort et les conduit à entamer avec eux-mêmes un dialogue des plus désagréables.
Si Dieu est mort, quel recours reste-t-il aux hommes pour conjurer ce fléau.
Né en 1947, James Morrow vit en Pennsylvanie. Diplômé d'Harvard, il tient de ses études supérieures littéraires et de sa découverte de Camus et de Voltaire son goût pour le roman philosophique et satirique. Auteur de romans et de nouvelles, il a été deux fois lauréat du prestigieux World fantasy Award, en 1990 pour Notre mère qui êtes aux cieux (J'ai lu) et en 1994 pour En remorquant Jéhovah.
Un hommage iconoclaste à La peste de Camus qui achève brillamment une épopée à l'humour ravageur.
Critiques
La nouvelle maison d'édition Au diable vauvert, dirigée par Marion Mazauric, frappe fort dès le début ! Ici un diable couillu lisant un livre, là un autre présentant son postérieur sur des icônes religieuses... Le ton est donné : iconoclaste, provocateur et délicieusement dérangeant.
La « trilogie divine » de James Morrow conforte ces prises de position anticonformistes. Une « trilogie » qui n'a rien à voir avec celle de Philip K. Dick. Dans le premier volume, En Remorquant Jéhovah, le cadavre de Dieu, long de trois kilomètres, est acheminé jusqu'au Vatican qui le cédera à une société exploitant son image. Dieu n'étant qu'en coma dépassé, un juge atteint d'un cancer organise à La Haye le plus grand procès de tous les temps, celui de crimes contre l'humanité par le Créateur : Le Jugement de Jéhovah reste le meilleur roman de la trilogie, pour ses spéculations métaphysiques et eschatologiques.
La Grande Faucheuse, à ce jour inédit en France (les deux premiers volumes avaient, en leur temps, été publiés chez J'ai Lu), raconte l'incroyable décomposition du corps de Dieu, dont le crâne se satellise, seconde lune macabre orbitant autour de la Terre. Apparaît alors une peste des plus curieuses : les doubles spectraux tourmentent les vivants et les mènent à la mort en prenant possession de leur corps. Pour combattre ce fléau, le riche Lucido imagine de créer une nouvelle religion, polythéiste, qui redonnerait le goût de la vie à l'humanité déboussolée. Mais le sculpteur religieux Gérard Korty qui, après avoir conçu le mausolée de Dieu et vu son projet trahi par les commanditaires du Vatican, imagine les dieux de l'ère nouvelle, se rend compte de l'imposture de Lucido, malgré les résultats qu'il parvient à obtenir. Figure héroïque du roman, Nora, dont le fils fut le premier à être atteint de la peste schizophrénique, par son courage et sa volonté, apprend aux hommes à vivre dans un monde dépourvu de Dieu.
L'auteur place évidemment sa foi en l'humanité, mais sans mièvrerie ni déclaration passionnée, avec une honnêteté qui lui permet de surmonter les ambiguïtés inhérentes à la nature humaine.
Le délire baroque qui souffle sur ces pages montre à quel point James Morrow est un merveilleux équilibriste devant l'Éternel — et même sans lui. Entre discours métaphysique et loufoquerie surréaliste, il réalise un subtil mélange où tout autre que lui aurait versé dans un pontifiant ennui ou une fantaisie débridée. Sa grande culture, son style incisif à l'humour noir ravageur l'aident à tenir le cap.
Gardez votre couvre-chef, mister Morrow, c'est le lecteur qui vous dit « chapeau » !
Marion Mazauric, l'ancienne directrice littéraire de J'ai lu, crée sa propre maison d'édition en Provence, à Vauvert (« Au diable vauvert ») ; quoi de plus naturel dès lors que d'accueillir d'entrée de jeu l'Américain James Morrow, accompagné de Jéhovah... Elle réédite en effet les deux premiers volumes de ce cycle, en les complétant d'un inédit, le tout sous un très joli coffret.
Dieu est mort. Même si quelques irréductibles préfèrent penser que c'est plutôt Nietzsche qui a trépassé, la proposition n'est pas neuve. Cette fois cependant, le divin cadavre (trois kilomètres de long) est bien là pour en témoigner, et il est à la dérive... James Morrow, ses précédents titres en font foi, est un auteur qui fait rarement dans la dentelle. Ceux qui l'auront approché, au festival Utopia 2000 à Nantes, connaissent l'humour qui l'anime dans la vraie vie comme dans ses romans. On n'est pas dépaysé avec cette trilogie, d'une causticité et d'une verve satirique comme il ne s'en trouve plus guère.
Le premier titre, En remorquant Jéhovah, a obtenu en 1994 le World Fantasy Award, ce qui semble montrer que même au pays du politiquement correct, il reste des lecteurs avides d'une vision du monde « légèrement » décalée — et appréciant la rigolade. Mais attention : Morrow n'est pas pour autant un simple amuseur, et se montre résolument iconoclaste (à l'image de la maquette surprenante de l'éditeur...) et irrévérencieux : si l'existence divine ne fait plus de doute, puisque l'on dispose de son cadavre, la réalité se charge de décaper la componction vaticanesque qui tente d'évacuer le problème. Dieu est bouffé par les requins, on danse sur son corps, l'eucharistie au plus près se transforme en ingestion de hamburgers de chair divine ! Enfin, on va essayer d'inhumer Jéhovah dans un iceberg. L'intelligence de l'auteur fait passer le délire, et aborde de vraies réflexions, comme la raison de la mort de Dieu.
Dans le second volet, Le Jugement de Jéhovah, Morrow s'attaque à la justification de la souffrance. Martin Candle, petit juge américain, ne se console pas de la perte de son épouse : au pays du juridisme exacerbé, pourquoi ne pas citer Dieu à comparaître devant la cour internationale de justice de La Haye ? Ici, plus les idées sont sérieuses (quoi de plus sérieux que cette éternelle discussion abordant le paradoxe d'un dieu de bonté face à la réalité du mal et de la souffrance, du moins pour le lecteur acceptant l'idée d'un dieu ?), plus le traitement littéraire gonfle d'ironie. Chaque fois que l'on pense avoir enfin compris où il va, Morrow rebondit et développe tant son argumentation que son invention d'écriture.
Enfin, dans La Grande Faucheuse, voici mieux encore, si possible : une métaphore très élaborée du déboussolement de l'Humanité, privée désormais de toute divinité de référence, et qui voit surgir une nouvelle forme de peste à la fois « classique » et psychique. Le cadavre divin ayant explosé depuis son mouillage face à La Haye, sa tête se retrouve propulsée en orbite et sert, ultime déchéance, de support publicitaire ! Que reste-t-il à faire, face au déferlement de cette maladie de société, que fonder une nouvelle religion ? Ainsi naîtra le somatocisme, cœur d'un récit aussi sérieusement fou que les deux précédents. Dieu est peut-être mort, mais il convient de compter avec James Morrow... Fusion des thèmes, des pratiques littéraires, des inspirations : la littérature vivante de cette fin de millénaire peut-elle être autre chose qu'un chaudron bouillonnant ?
Dans ce dernier tome de la Trilogie divine, James Morrow s'attaque cette fois à la grande faucheuse : la mort.
Dieu est mort (En remorquant Jéhovah) et son procès vient de s'achever (Le jugement de Dieu). Brutalement, son cadavre explose et sa tête est projetée sur une orbite où elle contemple désormais le monde occidental avec un rictus sardonique. Son front constitue d'ailleurs un support publicitaire sans pareil.
Peu après, la peste déferle sur l'Occident. Mais cette fois, aux classiques bubons s'ajoutent des accès de nihilisme : c'est la peste « aboulique », caractérisée par l'abolition de la volonté et par la présence d'un antigène appelé « Nietzsche-A ». De plus, cette affection s'accompagne d'une invasion de spectres qui viennent tourmenter les mourants – dont ils sont les doubles parfaits. Avec leurs commentaires désobligeants et leurs blagues de mauvais goût, ces spectres sont aussi insupportables que les extraterrestres de Martiens, go home ! ; mais si les morts marchent dans les rues, cela peut ne signifier qu'une chose : l'Apocalypse est arrivée ! En effet, comme Dieu existe – même s'il est mort – , la peste aboulique n'a pas le caractère absurde de celle de Camus. Est-ce le jugement dernier ?
Quelques individus ont peut-être trouvé la parade : fonder une nouvelle religion et donner vie à de nouveaux dieux. Ainsi naît le somatocisme, église de l'affirmation terrestre, qui rappelle évidemment la scientologie. Mais le remède ne sera-t-il pas pire que le mal ?
Littérature, philosophie, théologie... une nouvelle fois, Morrow nous étourdit par son érudition, son intelligence et son humour ravageur. Nous pensions qu'il avait déjà fait le tour du Corpus Dei, mais il parvient à nous surprendre à chaque page de ce troisième roman, encore plus extravagant que les deux précédents.
Les scènes les plus diverses se succèdent : un signe divin dans un paquet de corn-flakes, une représentation de Gilgamesh, un assaut spatial contre le Cranium Dei, des dialogues entre Erasme et Martin Luther, des pseudo cérémonies aztèques... Tout cela est fou, mais parfaitement orchestré sans longueur ni incohérence, par un Morrow en grande forme.
Au total, cette trilogie est un monument, assurément l'une des œuvres qui marqueront la littérature du XXème siècle. L'auteur nous l'a clairement démontré : Dieu a abdiqué et le XXIème siècle devra se construire sans Lui. Mais sûrement pas sans Morrow !
Il est temps de pousser un cri d'alarme — je dirais même plus, il est plus que temps de sévir. Après avoir transformé Dieu en gigantesque cadavre errant sur les mers à l'instar d'une banale flaque d'hydrocarbures (En remorquant Jéhovah), après L'avoir envoyé sur le banc d'infamie à l'instigation d'une cabale de rancuniers (Le Jugement de Jéhovah), voici que ce « théoclaste » de James Morrow Lui inflige un écartèlement dévastateur et envoie Son crâne en orbite, où il sert de support à des publicitaires mal inspirés.
Mais on ne se dispense pas aisément de Dieu, nom de Dieu. Son absence déclenche l'apparition d'une épidémie tanatho-dépressive, et voici que de malins esprits répandent sur le globe — enfin, disons plutôt dans les contrées judéo-chrétiennes de celui-ci — une peste noire aux sinistres effets. Le lecteur atterré — je parle du lecteur croyant, bien entendu — suit alors les errances d'une mère courage, d'un artiste inspiré et d'un gourou mégalomane au sein d'une planète — enfin, disons plutôt de ses parties civilisées ? ravagée par l'humanisme séculaire.
James Morrow est un homme dangereux, il l'a déjà prouvé, et le troisième opus de ce qu'il a l'affront d'intituler « La Trilogie divine » ou je ne sais quel blasphème le confirme de manière éclatante. Et, comble de l'horreur, voilà que ce brûlot nous arrive sous l'habillage d'un nouvel éditeur se réclamant ouvertement du diable et dont l'emblème est une créature satanique adoptant des attitudes que la morale réprouve, Dieu me tripote.
Un livre à mettre à l'index toutes affaires cessantes, sur le même rayon que les productions de Voltaire, Swift et autres impies. 1
Notes :
1. note de nooSFere : cette critique au second degré est signée « Mgr » Jean-Daniel Brèque dans la revue.