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Le Monde de Satan

Poul ANDERSON

Titre original : Satan's World, 1968
Première parution : Analog Science Fiction -> Science Fact, de mai à août 1968 (version censurée) / En volume, États-Unis, New York : Doubleday, novembre 1969 (version restaurée)
Cycle : La Hanse galactique  vol. 4 

Traduction de Hélène HOUSSEMAINE

DENOËL (Paris, France), coll. Présence du futur n° 130-131
Dépôt légal : 1er trimestre 1971
Première édition
Roman, 352 pages, catégorie / prix : nd
ISBN : néant
Format : 11,0 x 18,0 cm
Genre : Science-Fiction



Ressources externes sur cette œuvre : quarante-deux.org
Ressources externes sur cette édition de l'œuvre : quarante-deux.org

Quatrième de couverture
     Jusqu'alors, le pacte avait été respecté : toutes les races du système solaire cohabitaient en paix. C'est ainsi que l'humain David Falkayn travaillait... avec un centaure et une chatte bipède.
     Mais un jour, David fut chargé d'une mission extraordinaire et découvrit l'existence d'une nouvelle planète. C'est alors que, pour le système solaire, les ennuis de toutes sortes commencèrent...

     Ce roman de science-fiction est également un récit d'aventures, riche en coups de théâtre et conduit de main de maître par un écrivain qui sait faire jouer tous les éléments traditionnels du genre en leur donnant une facture originale.
Critiques
     Le monde de Satan de Poul Anderson illustre un conflit stellaire avorté entre des humains et une race extra-terrestre, les Shenna. Plus exactement s'y trouvent confrontés quatre membres de la « Compagnie Solaire Epices et Spiritueux » (elle-même faisant partie de la Ligue Polesotechnique, sorte de confédération marchande qui est la puissance véritable de la galaxie colonisée par les Hommes) et une planète entière d'êtres qui, après avoir subi une mutation brutale due aux excentricités de leur soleil, sont passés du stade de pacifiques herbivores à celui de monstres assoiffés de conquêtes.
     Nous avons donc droit à une variation du schéma archétypal : les astucieux Terriens seuls contre tous, et à qui la victoire est accordée en bout de course sur leurs adversaires bestiaux et brutaux. (Les Shenna s'apparentent physiquement au Minotaure de la légende, et tout l'ouvrage d'Anderson est le reflet du mythe de Thésée : attirés dans le labyrinthe, les Terriens défont sans mal leurs terribles ennemis.)
     Le bon Terrien combattant victorieusement le méchant extra-terrestre, voilà qui fit la gloire de la SF naïve des années trente et quarante (...et cinquante, pour la française, historiquement retardataire). Que Poul Anderson, avec un entêtement farouche, s'attache envers et contre tout à ce thème de prédilection, cela nous importerait finalement peu si le résultat était convaincant. Je dois pourtant avouer que cet ouvrage est terne, poussiéreux et ennuyeux. Les 340 pages que compte Le monde de Satan dans sa traduction à « Présence du Futur » ne sont qu'un remplissage laborieux destiné à colmater les creux d'un scénario squelettique : David Falkayn (de la Compagnie Solaire Epices et Spiritueux) découvre lors d'une permission sur la Lune qu'un office de renseignements, la Serendipity, est en réalité un nid d'espionnage que les Shenna ont installé en plein cœur du système solaire, grâce à la complicité de quelques humains réduits psychiquement en esclavage. Falkayn est un moment séquestré par les agents des Shenna, puis il s'évade grâce à l'Intervention de Nicholas Van Rijn, son patron, aidé par ses deux coéquipiers extra-terrestres, une sorte de centaure reptilien et une chatte cynthienne, et il part à la découverte de Satan, planète errante captée par une étoile lointaine, et que la Ligue et les Shenna vont se disputer pour ses richesses géologiques. Tout rentre dans l'ordre terrien, après quelques batailles spatiales et planétaires.
     Certains prétendront que la valeur d'un ouvrage est souvent fonction de la facilité qu'on a de le résumer. Pour ma part je n'en crois rien, et je pense au contraire que la richesse primordiale de la SF tient justement à la richesse des thèmes abordés et de l'intrigue qui les lie. On voit ici leur usure et leur pauvreté. Certes, Poul Anderson a réussi à créer trois types d'extra-terrestres intéressants, mais Adzel le centaure, Chee Lan la « chatte » et les Shenna minotauriens ne sont rien d'autres que des enveloppes dotées de quelques caractéristiques grossières qui les typent fortement (il y a les bons et les méchants, les vassaux de l'Homme et ses ennemis), sans qu'ils soient vraiment enracinés dans une « inhumanité » foncière. Il y a aussi quelques réflexions justes sur l'évolution divergente des herbivores et des carnivores, et une étude assez fine du comportement de certains humains élevés par les Shenna comme des animaux de salon, mais l'originalité d'Anderson s'arrête là. La majeure partie de son livre s'encroûte dans des scènes de batailles sans intérêt, dans de longues descriptions de cieux étoiles et de planètes bouillonnantes, dans l'énumération maniaque de manœuvres de pilotage interstellaire. L'homme, dans ce magma, n'apparaît pas beaucoup, et cette froideur désincarnée contribue à donner à l'ensemble un aspect sec, mécaniste.
     Nous sommes loin, en vérité, de La Patrouille du Temps ou du beau cycle des Peuples de la Mer et du Ciel qui donnèrent il y a une dizaine d'années (via Fiction) un certain éclat à la prose d'Anderson. Il semble bien maintenant que cet auteur n'ait plus rien à dire, qu'il se contente de broder sans grande imagination sur des décors connus. Et l'on peut se demander si cette stagnation n'est pas causée par l'idéologie où s'est enfermé Anderson.
     Allons bon, rugiront de concert certains lecteurs, voilà qu'ils remettent ça  ! Pas de politique en SF, s'il vous plaît ! Je les prierai donc de bien vouloir considérer que la « critique littéraire » du Monde de Satan s'arrête trois phrases plus haut, et que les quelques réflexions qui suivent sont une sorte de post-scriptum ajouté à l'intention des vicieux qui veulent tout politiser. D'ailleurs un lecteur, dans un récent Courrier publié par Galaxie (no 82). écrivait que Poul Anderson était mauvais à droite, mais qu'il le serait tout autant à gauche. Je surenchérirai en disant que j'accepterais volontiers un Anderson « bon à droite ». Mais peut-on être à droite et être « bon » ? Le simple choix des thèmes privilégiés par Anderson (ainsi que leur traitement) permet d'en douter. Ce que nous décrivent les péripéties du Monde de Satan, ce n'est rien d'autre qu'une lutte économique pour la possession d'une planète. Mettons le capitalisme aux postes de combat : voilà quel est le mot d'ordre d'Anderson. Or, avouons-le, les motivations et luttes des grands trusts (et les Shenna sont eux-mêmes présentés comme un « trust ») n'ont rien de passionnant, quand on nous les présente avec une conviction absolue, sans la moindre trace d'humour critique...
     Autre caractéristique d'une pensée de droite : l'occultation pure et simple de l'être « pensant » au profit de l'être « physique ». Que sait-on du « héros » David Falkayn ? Quels sont ses désirs, ses joies, ses angoisses, ses doutes ? On n'en sait rien. Entre les combats, Falkayn se contente de faire jouer ses muscles las, de bourrer sa pipe et de la serrer entre ses mâchoires robustes. C'est le parfait combattant-pour-une-juste-cause, un peu bringueur (virilité oblige), mais parfaitement décervelé. Et, plus caractéristique encore, la seule fois où il se met véritablement à penser pour nous, c'est à l'occasion du magnifique message suivant :
     « Tu n'es pas un héros. Tu aimerais mille fois mieux être loin d'ici, un verre à la main et une belle tille sur les genoux, racontant tes prétendus exploits. Mais II se pourrait qu'une guerre se trame ici. Des planètes entières pourraient être attaquées. Une petite fille, peut-être ta propre nièce, pourrait se retrouver gisant dans une maison dévastée par une bombe atomique, le visage en cendre et les yeux fondus, réclamant son papa tué dans un vaisseau spatial et sa mère écrasée sur le trottoir. Peut-être que les choses ne vont pas si mal. Mais peut-être que si. Comment peux-tu laisser passer une occasion de faire quelque chose ? Il te faut faire, face » (p. 202).
     On reste pantois devant ce bel exemple de démagogie galopante. Nous ne voulons pas la guerre, oh ! non... Ce sont les autres, les méchants, les « étrangers », qui la veulent peut-être, et qui seraient bien capables de venir jusque dans nos campagnes répandre le sang de nos familles dans nos sillons. Mettons-y vite le holà ! Tapons-leur dessus ! Dans le doute, agissons ! Allez, nos boys ! Encore un effort pour l'extermination complète de ces sales Vietnamiens... Pardon : de ces sales Shenna.
     Je m'arrête là : déjà les pointes Bic grincent sur le papier pour demander à la rédaction mon renvoi immédiat. Seulement il faudrait bien comprendre une chose... Toute expression artistique, et donc toute littérature, reflète, fût-ce par-delà le conscient de son créateur, une idéologie. Il y a donc une SF de droite et une SF de gauche.
     D'autre part tout individu conscient, tout citoyen responsable, se range consciemment ou non dans le champ d'une idéologie. Il y a des gens de droite et des gens de gauche. Corollaire : II y a des critiques de droite et des critiques de gauche.
     Vouloir délibérément Ignorer ces deux postulats est faire preuve d'hypocrisie.
     Vous venez donc, chers lecteurs, d'assister à l'expérience suivante : un critique « de gauche » a jugé un bouquin « de droite ».
     J'attends avec Impatience l'inverse, et les réactions que cela provoquera.


Denis PHILIPPE
Première parution : 1/8/1971 dans Fiction 212
Mise en ligne le : 26/4/2002

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