PAYOT
, coll. SF Dépôt légal : décembre 1999, Achevé d'imprimer : décembre 1999 Première édition Roman, 288 pages, catégorie / prix : 129 F ISBN : 2-228-89281-5 Format : 15,5 x 23,5 cm Genre : Science-Fiction
Autre prix : 19,67 €. "Parution : 01.2000" en 4ème de couverture.
Désespéré par l'inutilité de son savoir, le docteur Faust brûle ses livres. Alors une voix étrange retentit et l'appelle.
Sauveur inespéré, Méphistophélès va offrir à Faust des secrets capables d'amener l'humanité à un nouvel âge d'or. Mais du progrès à la damnation, il n'y a parfois qu'un pas...
Lyrique, terrifiante, provocante, une nouvelle interprétation de la légende de Faust, l'homme qui vendit son âme au diable en échange de la connaissance absolue.
Critiques
La SF peut réécrire les mythes. À visage découvert, et en les rationalisant. S'emparer du fantastique et le domestiquer. Ici, le nom même de Méphistophélès devient une équation, dont « le premier symbole, m indice e, représente la masse au repos d'un électron », et il est le représentant d'êtres lointains, habitants un autre univers, mais supportant mal que des êtres vaguement pensants survivent à leur propre disparition, comme un agonisant écraserait un insecte venu le narguer sans le savoir. Ensuite, surtout, et conformément au mythe, Faust, furieux des absurdités du savoir de son temps, se voit offrir la connaissance. Ou ce que nous savons, nous. Plus ce que Méphisto lui dit des secrets de chacun, faiblesses, désirs ou vices. De quoi s'insurger contre un médecin saigneur, pas pire qu'il n'était décent. Faire chanter des bailleurs de fonds. Tenter de secouer ses contemporains à coup de microscopes et de télescopes, sous leurs sarcasmes. Et fabriquer une montgolfière, des fusils en série, et efficaces, lancer la révolution industrielle, la révolution scientifique. Parallèlement, être amoureux de Marguerite, fille du marchand qu'il conseille et enrichit, la seule dont Méphisto ne puisse dire comment la séduire, la séduire enfin, s'enrichir, avoir maints ennemis, fuir à Londres, y importer la même modernité, continuer à conseiller Marguerite, à la tête de la société familiale devenue énorme. Permettre une nouvelle déconfiture de l'Invincible Armada. Être confronté à la bêtise et au désespoir d'autrui. S'aigrir et pis que cela. Se voir proposer le pouvoir politique, avec meeting à Nuremberg, de sinistre présage. Et avoir amené, avec ses innovations, une exploitation intensive du prolétariat, une pollution dévastatrice.
Il y a là de l'uchronie, du steampunk, bref de la SF. Et une réflexion sur la science, ouverte, car ni le passé ni le monde né des révélations du nouveau Prométhée ne sont idylliques, qu'on y crève « naturellement » d'ignorance ou du fait de la technique, de la chimie — mais le passé reste sans doute le pire. Il y a surtout un livre, avec beaucoup d'intelligence et d'ironie, quelques suspenses, des références scientifiques qui s'intègrent sans problème, assez brèves pour avoir même des effets poétiques. Peut-être tout va-t-il trop vite vers la fin, mais la dernière page donne à cela une raison valable. Il y a aussi une pensée sans dogmatisme, cela vient d'être dit. Bref, le livre mérite plus que le détour, le voyage, que ce soit à Wittenberg, à Londres et jusque dans nos enfers passés et présents, archaïques ou modernes.
En ce Moyen-âge finissant, Johannes Faust est un professeur d'université frustré. Certes, les étudiants se pressent à ses cours, il en est même un (Wagner) qui l'a pris pour maître et s'est fait son fidèle assistant. Mais Faust ne se contente pas de régurgiter les ouvrages des anciens ; un temps chirurgien des armées, il a pu sur les champs de bataille tester l'inanité de la « science » médicale de son époque. Pris de désespoir, il décide de brûler sa bibliothèque... et c'est alors que le contacte Mephistopheles. Le nom n'est qu'un artifice commode, car le personnage en question représente l'ensemble d'une race étrangère qui vit dans une autre dimension, et qui est en mesure de donner à Faust la connaissance absolue : connaissance des vies et des pensées de ses contemporains, mais aussi du passé et du futur. Avec toutes ses découvertes scientifiques ! Incompris de ses collègues scolastiques, Faust se tourne alors vers les arts mécaniques... pour déclencher la Révolution industrielle (et plus encore) avec quatre siècles d'avance. Et dans son sillage, la guerre moderne et l'exploitation des travailleurs. Inventeur universel, Faust est contraint de se mettre au service des industriels ou des États ; trompé par les promesses de Mephistopheles, victime de ses propres scrupules et hésitations, il n'atteint jamais le bonheur qu'aurait pu lui donner l'amour de Margarete (qui est ici la fille du marchand dont il fait un industriel).
Hasard du calendrier éditorial, je découvre Jack Faust sur les talons de La Morsure de l'ange de Jonathan Carroll (cf. chronique plus haut), et dans les deux livres le démon se présente comme porteur de la connaissance illimitée. Écho de l'expulsion d'Adam du Paradis terrestre. La connaissance, malédiction en elle-même ? On se dit parfois que Swanwick doit le croire, au vu du naufrage des espoirs de Faust devant la société mécanisée et impitoyable à laquelle ses inventions donnent naissance. Mephistopheles (ou plutôt le peuple extra-dimensionnel qu'il dissimule) a certes des raisons de haïr la race humaine, mais c'est la nature humaine elle-même qui transforme science en technologie, et technologie en bellicisme et capitalisme sauvage. Là où le propos de Carroll, auteur de fantastique, s'adresse aux sentiments et joue sur des références religieuses, Swanwick reste auteur de science fiction et ne s'écarte jamais du rationalisme.
Le livre n'est pourtant jamais étiqueté S-F par son éditeur américain, et Swanwick enfreint à mon sens les règles du genre dans le développement de son uchronie (dont les prémices de développement technologique précoce peut rappeler le roman classique de L. Sprague de Camp, De Peur que les ténèbres). La rapidité foudroyante du progrès technique est invraisemblable, surtout par l'ampleur des changements socio-économiques qu'elle suppose en quelques années ; et peu de temps est consacré aux questions fascinantes soulevées par l'interaction des techniques nouvelles avec une société encore médiévale. Nous sommes aussi privés de ce plaisir spécifique à l'uchronie qu'est le travestissement de personnages historiques dans des circonstances inventées (l'ombre de Martin Luther plane sur le livre, mais en un sens Faust lui vole sa place, en se montrant un Réformateur bien plus radical. Détail croustillant : à un moment, Faust cloue rageusement sur la porte d'une Église, en guise de Propositions... la Table Périodique des éléments !).
L'explication de ce défaut du livre tient sans doute simplement dans des problèmes de taille et d'équilibre : suivre toutes les pistes aurait requis un ouvrage éléphantesque — comme Faust nageant dans l'océan de la science future, Swanwick se serait perdu dans l'ampleur de son sujet. Foin de l'arrière-plan sociologique : l'auteur a préféré focaliser le roman sur la tragédie personnelle de Faust et Margarete, séparés par l'exil du premier, excommunié pour ses sermons hérétiques, et l'attachement de la deuxième à l'empire industriel familial qu'elle seule est capable de superviser.
Ce n'est hélas pas le seul motif de désespoir de Faust ; si Mephistopheles lui fournit une réelle connaissance, il le fait toujours de façon suffisamment biaisée pour mériter encore son titre de Père des Mensonges, et pour tromper tous les espoirs de son outil humain. Faust veut le bonheur de l'humanité : il n'arrive qu'à accélérer son malheur et sa destruction. L'intensité de cette tragédie serait à elle seule pour absoudre le livre de ses invraisemblances, mais quantité d'autres raisons font de sa lecture un plaisir : la peinture de la société du XVe siècle jet de ses horreurs) ; la vivacité de l'écriture, sans cesse recherchée, souvent narquoise ; et les personnages qui entourent Faust, des grotesques utilités (médecin, évêque) aux compagnons fidèles. Deux figures se détachent : Wagner, pitoyable dans son dévouement à son maître, et Margarete, qui se révèle capitaine d'industrie et femme terriblement en avance sur son époque, plus intelligente et plus torturée par sa conscience que Faust (si ce dernier usurpe le rôle de Luther, Margarete remplacerait la reine Elisabeth). Bref, et au total, un livre d'exception.
Certaines histoires universelles supportent mille variantes. La légende de Faust est de celles-là, et la version que nous propose Michael Swanwick est peut-être l'une des plus étonnantes.
L'intrigue débute de façon traditionnelle dans la petite ville de Wittenberg, par une tempétueuse colère : Faust brûle chaque livre où il décèle une contre-vérité, n'épargnant ni Aristote, ni Ptolémée, ni même la Bible... « Il avait consacré son existence à l'étude de ces choses haïssables qui n'avaient fait en retour que saper ses certitudes. Les livres étaient les sangsues de l'intellect. » (p.15) Méphistophélès répond à ce douloureux constat. Mais comme Dieu n'existe pas, ce diable-là est une créature bien étrange dont le nom traduit une équation mathématique complexe désignant une espèce incroyablement étrangère. « Le nom dérivé est moins une appellation qu'une adresse, une expression de nos rapports avec ton monde. » (p.32) Dans le but avoué de précipiter mesquinement la fin de l'espèce humaine, Méphistophélès lui apporte en un instant la connaissance absolue : passé, avenir, sciences, structure intime de l'univers, désormais plus rien n'a de secret pour lui.
Faust va mettre en pratique ces connaissances pour tenter d'améliorer la condition humaine. Après une lunette d'approche fort mal accueillie, il invente pêle-mêle le moteur électrique, le cinématographe, la locomotive, la glacière ou l'aéroplane, bouleversant ainsi le visage de son siècle. Lorsque la peste frappe, le docteur Faustus met au point le microscope et extrait des antibiotiques d'une moisissure. Exilé à Londres, sous le nom de Jack Foster, il théorise les mouvements sociaux déclenchés par cette révolution industrielle précipitée, puis assiste à la déroute d'une Armada espagnole que l'on aurait pu croire invincible. Ses croisades seront nombreuses, notamment pour la pilule contraceptive et l'avortement... On l'a compris, c'est 500 ans d'évolution scientifique, socio-politique et philosophique qui se trouvent condensées en quelques années, liées au destin d'un seul homme. Archétype du savant en butte à l'ignorance et à l'obscurantisme, Faust est Galilée ou Darwin, mais il peut aussi devenir Marx ou Hitler. Son parcours résume celui de l'humanité depuis la Renaissance, depuis l'ère de la raison et de la science.
Mais il n'y a pas de Faust sans Marguerite. Méphistophélès apporte aussi à Faust le savoir de Don Juan et lui enseigne le prix de chaque être humain, de chaque femme en particulier. Pourtant Marguerite existe : magnifique personnage de femme, elle est pure sans être naïve, vertueuse juste ce qu'il faut, intelligente et compétente, manipulatrice et passionnée... Son influence sur Faust est complexe, témoignant du caractère à la fois sublime et difficile des relations entre hommes et femmes.
Sous l'oeil d'un diable peu avare en commentaires cyniques, sarcastiques ou même grossiers, où l'on devine la malice de l'auteur, cette fresque se lit comme un roman d'aventures. Les événements s'enchaînent avec aisance et logique, en évitant l'écueil des énumérations que pourrait faire craindre l'ampleur du propos. Chaque nouveau chapitre ouvre au contraire de nouvelles perspectives, sans aucune répétition. C'est drôle et émouvant, désespérant et poétique, grotesque et pétillant d'intelligence, passionnant de la première à la dernière page. Dans cette uchronie très originale, Michael Swanwick a réinterprété l'un des plus grands mythes de l'humanité pour en tirer des conclusions implacables, d'une manière spectaculaire et brillante. Très facile d'accès, de lecture aisée et plaisante, ce roman mérite d'être découvert par tous les amateurs de SF ou de fantasy, mais aussi de littérature générale ou historique. Il s'agit, répétons-le, d'un chef d'oeuvre.
Dépité devant l'ignorance des hommes et l'inutilité de son savoir, le docteur Faust brûle tous les livres de sa bibliothèque. C'est alors que Méphistophélès lui apparaît et lui propose un pacte en échange du savoir absolu. Méphistophélès lui prédit que ce savoir ne fera que précipiter l'extinction de l'humanité, mais Faust accepte le pacte, pensant que l'humanité est à même d'accéder à la sagesse. Il commence par écrire à divers scientifiques afin de leur faire part de son savoir. Mais ses premières révélations sont bien mal acceptées par ses pairs qui le regardent de haut. On ne chamboule pas si aisément les convictions ni l'ordre établi. Faust se lance alors dans une débauche de création et invente le microscope, le télescope, le ballon, l'appareil photo, la radio, le fusil à répétition et bien d'autres choses. Là encore, ses contemporains accueillent souvent bien mal ses inventions, où de manière très inattendue. Faust se voit contraint de fuir son pays l'Allemagne, pour se rendre en Angleterre où sa frénésie de création continue. Mais, sa soif de progrès et de savoir lui fait peu à peu perdre le sens des valeurs, et quand on possède le savoir absolu, les tentations sont nombreuses d'en abuser.
Aux froides vérités du docteur Faust, répondent la stupidité, la superstition, la force de la tradition et des habitudes, l'ambition, bref tous les défauts des hommes. L'évolution des mentalités ne suit pas la vitesse à laquelle la science progresse grâce à Faust. Le savoir ne va pas nécessairement de pair avec la sagesse et les outils que Faust met au mains de l'humanité sans lui laisser le temps de s'adapter.
En l'espace d'une vie, le docteur Faust de Michael Swanwick fait avancer la civilisation de plusieurs siècles. L'auteur a réussi là un roman étonnant, complètement fou dans son déroulement et réjouissant pour l'esprit, où chaque chapitre est un nouveau morceau d'anthologie, ponctué par les commentaires sarcastiques et lapidaires de Méphistophélès qui observe et guide Faust et semble beaucoup s'amuser des gesticulations des pauvres humains. Mais, l'ampleur du propos n'empêche pas le livre d'être d'une lecture facile, de rester à hauteur de ses personnages et de tenir en moins de 300 pages. Michael Swanwick a réussi là un véritable tour de force. Un livre qui force l'admiration.