DENOËL
(Paris, France), coll. Présence du futur n° 355 Dépôt légal : février 1983 Première édition 224 pages, catégorie / prix : 5 ISBN : 2-207-30355-1 Format : 11,0 x 18,0 cm Genre : Science-Fiction
Quatrième de couverture
Peu après la Seconde Guerre mondiale, un enfant, fasciné par la folie meurtière des adultes, meurt déchiqueté par un obus qui lui explose entre les mains. Son cerveau, récupéré par les techniciens de Rune, civilisation galactique qui étudie les intelligences étrangères, est greffé dans le corps d'un grand mammifère marin.
Et une mission entreprend de sonder les rêves de cet organisme composite pour les représenter sous forme de maquettes sophistiquées dans un « puits d'apesanteur », gigantesque espace scénique.
Mais l'univers onirique, impérieux et cruel de l'enfant, échappe peu à peu à ses manipulateurs qu'il menace dans l'eur existence même.
Par l'auteur de Mort à l'étouffée, un roman étrange et prenant, le plus abouti peut-être qu'il ait écrit à ce jour.
L'auteur
Né en 1941, Jean-Pierre Hubert vit à Wissembourg où il enseigne. Musicien amateur, il s'intéresse de près aux recherches électro-acoustiques. Il a publié une cinquantaine de nouvelles, dont une a obtenu, en 1982, le Grand Prix de la Science-Fiction française, et cinq romans.
Critiques
Il y a le cerveau d'un enfant, mort l'été 1947 d'avoir tenté d'ôter la fusée d'une bombe non explosée. Ce cerveau ne fait qu'un avec celui d'un cétacé : au cœur d'une piscine, sur une lointaine planète, on analyse et on projette ses constructions oniriques. On : les Runiens. Il y a Zert, le Premier, qui a sacrifié une vieillesse heureuse pour brûler son énergie en une vie surmultipliée, et mérite ainsi son pouvoir.
L'enfermement et la solitude : il faudra un jour s'attaquer à ces motifs et analyser leur récurrence dans l'œuvre de Jean-Pierre Hubert. Récurrence qui est loin d'être stérile : de récit en récit elle approfondit l'approche et réussit à tisser toujours de nouvelles structures. Les textes de Hubert s'inscrivent sur un fonds commun sans verser dans la redite : de facette en facette ils peignent le paysage intérieur de l'auteur.
Ici, l'enfermement est double pour le Rêveur : son esprit est prisonnier du cétacé qui le porte, lui-même enfermé dans la piscine où l'observent les Runiens dans leur quête de nouvelles structures esthétiques. Double solitude également : celle du Rêveur arraché à son existence précédente (laquelle demeure quasi tangible par les traumatismes qui sont sa trace, et qui vont modifier les rêves jusqu'à créer la violence) ; celle de Zert, le Premier, qui dirige la mission runienne du haut de son dôme, définitivement coupé de ses semblables par la sur-vie qui lui vaut son pouvoir (admirable symbole !). Deux motifs plus que jamais systématisés et indissolublement liés : Zert qui est le Pouvoir finira par se fondre en esprit avec le Rêveur. Hubert offre alors la transgression qui donne son sens au récit : l'enfermement se voit nié, dépassé, brisé. Ainsi que dans Couples de scorpions il fallait sortir de la falaise, symbole d'une cohérence outrancière et bornée, voici le Rêveur qui échappe à l'expérience, semble se diluer bien au-delà du cerveau de l'orque et assure enfin son emprise sur la réalité d'une planète entière — jusqu'à en créer la civilisation.
Cette thématique d'une possession et d'un contrôle direct de la matière par l'esprit (création de simulacres qui littéralement prennent vie) renvoie bien entendu à toute une tradition science-fictive. Mais n'est-elle pas également signe d'une appréhension toujours plus difficile de la réalité quotidienne, dans un monde qui apparaît de jour en jour plus fuyant, malléable et incertain ? Même dans ses métaphores les plus symbolistes, l'auteur de SF ne renonce pas à questionner sa propre existence : Hubert donne de l'une des plus belles obsessions du temps un récit passionnant. Okrhud, création du Rêveur mais également incarnation de celui-ci, reconstruit le réel selon son désir : il devient — au terme d'un épisode quasi initiatique (Jonas et la baleine) — le « vainqueur de la bombe ». Et l'explosion de Tannenburg sera dès lors gommée. Refaire la réalité. Image de l'entreprise d'écriture ? Jean-Pierre Hubert accède ici à sa pleine maturité.
Le Rêveur est un symbiote enfant humain/cétacé (exactement : un orque) extraterrestre. L'esprit du premier, tué par l'explosion d'une bombe abandonnée après la Seconde Guerre Mondiale, a été récupéré et placé dans le corps d'un mammifère marin d'une planète désertifiée par un cataclysme (Barduane), par les techniciens de Rune, afin d'obtenir des « maquettes » dramatiques pouvant devenir œuvres d'art. Mais le symbiote crée de la matière et de la vie indépendantes, qui menacent l'existence des observateurs.
Ce résumé rapide (et forcément insatisfaisant), pour tenter de cerner toutes les détentes (elles sont nombreuses) du dernier roman de Jean-Pierre Hubert, et pour en indiquer les ambitions (elles sont haut placées). Par exemple la fascination bien connue des hommes pour les delphinidés (Merle, Swigart) trouve son aboutissement dans la symbiose humain/orque ; par exemple cet animal essentiellement libre est ici coincé dans un « puits d'apesanteur » qui servira de caisse de résonance aux émotions captives ; par exemple la civilisation très pacifique de Rune en arrive à capter des essences violentes et guerrières (avec effet boomerang) pour trouver des beautés nouvelles... etc.
Il semble que le but de l'auteur ait été à la fois de jauger les sociétés à travers leurs inévitables pulsions destructrices, et les œuvres d'art (avec leur effet cathartique) à travers leur fondement psychanalytique et/ou social. Le « champ » du Rêveur est aussi son chant, et son chant est destructeur puisqu'il est doublement prisonnier (l'orque dans son puits, le cerveau humain dans l'orque). On reconnaît bien là la thématique de l'enfermement déjà exprimée par Hubert dans Mort à l'étoufféeet Couple de scorpions. Mais si je dis « il semble », c'est que l'auteur n'a pas vraiment atteint son but. Loin des « vertiges délicieux devant le précipice » (ainsi que le dit un des observateurs), on en reste à une narration plate et linéaire qui expose les choses sans vraiment les faire ressentir. Sans doute, au lieu de (trop) faire parler les êtres de Rune, Hubert aurait-il peut-être dû nous faire mieux partager l'expérience claustrophobe du symbiote, qui nous aurait fait quitter la cérébralité pour le vécu.