MNÉMOS
, coll. Icares Dépôt légal : mai 2004 Première édition Anthologie, 320 pages, catégorie / prix : 18 € ISBN : 2-915159-21-1 Format : 13,0 x 21,5 cm Genre : Fantasy
Quatrième de couverture
« En gardant les paupières closes et le coeur empli de pensées merveilleuses, vous accéderiez au monde enchanté du lagon, où la chevelure verte des cocotiers frémit doucement sous les caresses du zéphyr. En ce Pays de Nulle Part, le ciel et la mer sont plus bleus qu'en tout autre lieu, et le sable plus fin et cristallin que sur la plus belle des plages. »
« Mourir ! Ça, c'est une aventure ! » Peter Pan l'enfant aux oreilles de faune, et tous les habitants du Pays de Nulle Part, Wendy, Crochet et les pirates, Clochette-la-Rétameuse, les Peaux-Rouges et les Garçons Perdus... renaissent sous la plume de vingt et un auteurs talentueux de l'imaginaire français. Cette anthologie de textes inédits propose des visions personnelles et vivantes du « chef-d'œuvre terrible » de J. M. Barrie — des nouvelles ironiques, cyniques, douces-amères, parfois sombres, toutes résolument modernes.
Bienvenue au pays de l'enfant qui ne veut pas grandir.
Au sommaire : Jean-Pierre Andrevon, Ayerdhal, Jacques Barbéri, Stéphanie Benson, Francis Berthelot, David Calvo, Georges-Olivier Châteaureynaud, Fabrice Colin, Alain Dartevelle, Sylvie Denis, Catherine Dufour, Anne Duguël, Jean-Jacques Girardot, Johan Heliot, Christian Léourier, Claude Mamier, Xavier Mauméjean, Pierre Stolze, Jean-Pierre Vernay, Christian Vilà, Daniel Walther.
1 - Richard COMBALLOT, Avertissement, pages 5 à 6, introduction 2 - Fabrice COLIN, Mort et innocence, pages 7 à 11, préface 3 - Francis BERTHELOT, Peter Paon et la Fée Crochette, pages 13 à 21, nouvelle 4 - Alain DARTEVELLE, Avec Mrs Darling, pages 23 à 34, nouvelle 5 - Sabrina CALVO, Supercroc, pages 35 à 47, nouvelle 6 - Daniel WALTHER, Saisons de verre, pages 49 à 61, nouvelle 7 - Sylvie DENIS, Peter Pan ne meurt jamais, pages 63 à 74, nouvelle 8 - Fabrice COLIN, Une autre fois, Damon, pages 75 à 93, nouvelle 9 - Claude MAMIER, Ces Ailes que je n'ai jamais eues, pages 95 à 102, nouvelle 10 - AYERDHAL, Le Réveil du croco, pages 103 à 112, nouvelle 11 - Georges-Olivier CHÂTEAUREYNAUD, Un Peter Pan, pages 113 à 134, nouvelle 12 - Anne DUGUËL, Saloperie de fée !, pages 135 à 139, nouvelle 13 - Pierre STOLZE, Le Dortoir des filles et la deuxième loi de la thermodynamique, pages 141 à 155, nouvelle 14 - Jean-Pierre VERNAY, Flint Corp., pages 157 à 162, nouvelle 15 - Catherine DUFOUR, La Perruque du juge, pages 163 à 173, nouvelle 16 - Jean-Jacques GIRARDOT, L'Île étroite, pages 175 à 208, nouvelle 17 - Christian LÉOURIER, Blues pour un garçon perdu, pages 209 à 217, nouvelle 18 - Stéphanie BENSON, Le Pays des enfants perdus, pages 219 à 229, nouvelle 19 - Christian VILÀ, Pas une ombre au tableau, pages 231 à 244, nouvelle 20 - Jean-Pierre ANDREVON, SuperPan et les morts qui rêvent, pages 245 à 260, nouvelle 21 - Johan HELIOT, Idylle du temps des ombres, pages 261 à 277, nouvelle 22 - Xavier MAUMÉJEAN, Raven. K., pages 279 à 295, nouvelle 23 - Jacques BARBÉRI, Conte à rebours, pages 297 à 313, nouvelle 24 - (non mentionné), Les Auteurs, pages 315 à 318, dictionnaire d'auteurs
Critiques
« Le monde réel était bien peu familier à James Barrie. Le petit homme préférait celui du rêve, des formes et des souvenirs. Ce qu'il a déterré avec Peter, ce n'est pas seulement un personnage. C'est un archétype. » Voilà ce qu'affirme Fabrice Colin dans sa préface, qui donne un aperçu de la relation entre James Barrie et son personnage, ainsi que du contenu psychanalytique de la pièce.
Peter Pan est bien un archétype moderne. Il est l'enfant qui refuse de grandir, qui n'accepte pas les valeurs de l'adulte, qui préfère jouer à se chamailler avec des pirates et des indiens plutôt qu'à devenir responsable, qui se sait invincible et éternel. Mais il est aussi un être étonnamment libre, libéré de ses parents et des règles sociales, comme un adulte qui s'interdirait d'accepter la réalité, ou encore comme un enfant qui fuirait cette réalité au point de se jeter par la fenêtre.
Anthologie thématique, Les Ombres de Peter Pan permet d'explorer vingt-et-une facettes différentes de cet archétype. Inutile de résumer chaque nouvelle, l'intérêt réside dans le traitement et dans l'angle d'approche choisi. On y passe de l'humour débridé — Berthelot, Dufour... — au drame le plus sombre — Colin, Mamier, Mauméjean... — ainsi que par toute la gamme des tonalités possibles. Ce sont en tout cas rarement des contes pour enfants, et la sexualité s'y mêle d'ailleurs de façon parfois plus explicite que dans le récit original.
D'une belle homogénéité dans la qualité des textes présentés, cette anthologie devrait régaler tous les lecteurs de littératures de l'Imaginaire, car ils ont évidemment tous un peu de Peter Pan en eux. Voilà une belle occasion de réveiller ce drôle de compagnon qui nous empêche heureusement de devenir trop sages.
En cette année 2004 qui célèbre le centenaire de Peter Pan, Richard Comballot a eu l'excellente idée de réunir des textes animés par l'esprit du Pays de Nulle Part et l'âme de ses habitants. C'est ainsi qu'à travers 21 nouvelles, les lecteurs peuvent voler de la joie la plus naïve à l'horreur la plus pure.
Tous les genres du Pays Imaginaire sont représentés. La SF, avec Saisons de verre, de Daniel Walther : de jeunes gens désœuvrés se réunissent au Nowhere's Club. Entre sexe et anorexie, l'amour peut-il s'épanouir ? Ou avec Pierre Stolze et Le Dortoir des filles et la deuxième loi de la thermodynamique : ne pas vieillir, n'est-ce pas ce que tous désirent ? Des scientifiques ne sauraient-ils en trouver le moyen ? Si oui, toutes les dérives sont à craindre... Dérives technologiques que n'hésite pas à aborder Jean-Pierre Andrevon dans SuperPan et les morts qui rêvent, un texte très émouvant sur le thème de l'esclavage.
Le fantastique, aussi, est présent : Jean-Jacques Girardot, dans L'île étroite, explore le thème de la création. Un écrivain est-il maître de ses écrits ? Ne risque-t-il pas d'être piégé à l'intérieur d'une œuvre, la sienne ou celle de Barrie ? Johan Héliot, avec Idylle du temps des ombres, fait planer la peur au-dessus des tranchées de la Marne. Peut-il y avoir pire que l'horreur des tranchées ? Oui, certes, et ce n'est pas Xavier Mauméjean qui prétendra le contraire, lui qui, avec Raven K., signe la plus terrible des nouvelles de l'anthologie : imaginez qu'Hitler ait envahi le Pays Imaginaire, imaginez que ses habitants aient été déportés. Wendy, Lily la Tigresse, Clochette devenues sœurs dans le malheur, les fées et les sirènes dépérissant dans les camps... Un texte tragique, ancré dans le réel, et beau, porteur d'espoir, malgré tout.
D'autres textes sont tout aussi bouleversants. La nouvelle de Sylvie Denis, Peter Pan ne meurt jamais, est de celles dont on ne ressort pas indemne, parce que l'histoire est drôle — au début — , le héros cynique et la fin imprévisible. Après une telle chute, Une autre fois, Damon ne peut que remuer douloureusement le couteau dans la plaie. Métaphore d'une des pires souffrances qu'un père puisse connaître, ce texte de Fabrice Colin — qui est aussi le préfacier du recueil — décrit jusqu'où peut aller un homme qui refuse de baisser les bras. Il est suivi par Ces Ailes que je n'ai jamais eues, de Claude Mamier. Là, c'est un enfant qui est le héros de l'histoire. Un enfant qui refuse que les contes et les dessins animés ne soient pas réels. Lui aussi ira jusqu'au bout de son rêve, quitte à tout perdre ou presque...
La succession de ces trois histoires, voulue par l'anthologiste, est poignante, comme est émouvant le livre dans son ensemble. C'est pourquoi il a choisi d'intercaler, entre deux tragédies, quelques fictions légères ou allègrement absurdes, comme les textes de Jean-Pierre Vernay, d'Ayerdhal, de Christian Vilà ou de David Calvo, voire sensibles et tendres comme les nouvelles d'Alain Dartevelle et de Georges-Olivier Châteaureynaud, ou carrément hors du temps comme Conte à rebours de Jacques Barbéri.
Le merveilleux est souvent couplé avec l'humour qui pourra être teinté d'angoisse, comme avec Peter Paon et la fée Crochette où Francis Berthelot explique en quoi une coquille d'imprimerie est la cause des plus grands maux de l'humanité, ou avec La Perruque du juge, de Catherine Dufour, qui voit le procès de Peter Pan mené par un juge aussi partial que la Reine de Cœur d'Alice. Humour encore avec Saloperie de fée ! d'Anne Duguël, qui révèle, en un de ces textes courts dont elle a le secret, le fantasme d'une femme... et ce qu'il adviendra d'elle.
Avec Christian Léourier comme avec Stéphanie Benson, c'est le rock qui est à l'honneur. Dans Blues pour un garçon perdu comme dans Le Pays des enfants perdus, Peter et ses copains sont des gosses paumés, de ces jeunes de banlieue comme il y en a tant. Ils écoutent de la musique, assistent à des concerts où ils se bagarrent avec les autres gangs, ou sont eux-même musiciens. Ils s'en sortiront tant qu'ils vivront leur rêve, tant que l'argent ne viendra pas tout gâcher.
Ainsi, Richard Comballot nous convie à un voyage à travers les émotions les plus variées, mais toujours avec nostalgie : regret de l'enfance laissée derrière soi, regret de ce qui est ou aurait pu être, regret du Pays Imaginaire auquel on ne peut plus accéder autrement que par les livres. Alors, ce livre-ci, vraiment, ne le laissez pas s'envoler sans vous !
Après l'ambitieuse mais inégale anthologie Icares 2004 (critique in Bifrost 34), voici que Richard Comballot embarque une nouvel équipage d'auteurs sur les flots tumultueux de l'Imaginaire, avec cette fois Peter Pan pour bannière. Peter Pan, le « chef-d'œuvre terrible » de Sir James Matthew Barrie, ainsi que le rappelle Fabrice Colin dans une belle préface qui relève plus, toutefois, de l'exercice littéraire que de l'analyse thématique proprement dite. Peter Pan, la Fée Clochette, le Capitaine Crochet et les Pirates, Wendy et ses frères, le Pays Imaginaire (je préfère « Neverland ») évoquent l'irrésistible magie et l'indomptable cruauté de l'enfance, ce mélange d'émerveillements et de peurs que, tous, nous voudrions n'avoir jamais perdu et qu'aucun, pourtant, n'a su retenir, parce que — Tic Tac, Tic Tac — c'est tout simplement impossible. L'enfance fait partie de ces choses qu'il faut perdre pour se rendre compte qu'on les a possédées et passer ensuite sa vie à les rechercher, par procuration. C'est tout l'Imaginaire, au sens le plus large du terme, qui se légitime ici. Rêver à tout prix, naviguer, quelques instants encore, sur les eaux de l'enfance. Et puisque le but, hélas, est à jamais inaccessible, les tentatives d'abordage se doivent d'avoir la splendeur de l'échec et la beauté de l'irréalisable. De ce point de vue, cette anthologie est des plus admirable. Vingt-et-un récits qui sont autant d'ombres de Peter Pan, virevoltantes, cousues avec le fil coruscant de l'imagination et l'aiguille malicieuse du talent.
Outre l'inclassable « Supercroc » de David Calvo, « Peter Pan ne meurt jamais » de Sylvie Denis joue la carte de la provocation macabre. Mais c'est surtout Claude Mamier qui se distingue, avec « Ces ailes que je n'ai jamais eues », l'histoire d'un enfant qui rêvait de voler et qui finira par plier le monde à ses volontés. La nouvelle d'Ayerdhal, que l'on est content de retrouver, sous un titre trompeusement anodin, « Le Réveil du Croco », joue sur la dialectique du conte de fées, avec juste ce qu'il faut d'insolence et de férocité et un prodigieux savoir-faire. Vous n'oublierez pas de sitôt Nap Retep. Pierre Stolze, lui, se fend d'une approche S-F et nous explique comment la naissance de Peter Pan procède du contournement de la deuxième loi de la thermodynamique. La nouvelle désopilante de cette anthologie nous est offerte par la plume impertinente de Catherine Dufour, qui se paie le luxe d'un procès avec James Matthew Barrie comme témoin à charge dans « La Perruque du juge ». Je vous laisse deviner de quel juge il s'agit...
Si tous les auteurs présents s'amusent, ou parfois s'évertuent, à replacer dans des univers qui leur sont propres les ressorts narratifs et les personnages-clefs de l'œuvre de Barrie, réinventant tour à tour Clochette et Wendy, Peter et le Captain Hook, ceux qui y réussissent le mieux sont, et de loin, Christian Léourier, Johan Heliot et Xavier Mauméjean. Le premier, de retour après une longue éclipse, nous propose une parabole sur la fin de l'innocence dans « Blues pour un garçon perdu ». Il y transpose l'histoire de Peter Pan dans les années soixante françaises, entre salles de concert bondées et guerre des gangs larvée. Du moins jusqu'à ce qu'un journaliste assez peu scrupuleux vienne faire basculer l'épique dans le drame. Retrouvant naturellement son cadre de prédilection, Johan Heliot nous entraîne en pleine première guerre mondiale pour une « Idylle du temps des ombres » dans laquelle, entre bombes et tranchées, se rejoue, sous les yeux de Wendy et de ses frères, l'éternelle querelle entre l'Enfant qui ne voulait pas grandir et le Capitaine qui ne voulait pas mourir. Enfin, c'est un Xavier Mauméjean virtuose qui, avec « Raven. K. », livre un texte remarquable dont l'univers se déploie bien au-delà des signes qui lui ont été alloués par l'anthologiste. L'horreur des camps de concentration de la Seconde Guerre Mondiale n'a pas été épargnée aux êtres féeriques. A Ravensbrück, les fées sont parquées et souffrent sous la coupe de tortionnaires mandatés par le Reich. Classées par catégories, les « Dames d'Ici et d'Ailleurs » vont se voir imposer une voie de sortie pire que la torture. Nous sommes bien loin, ici, de l'espièglerie enjouée de Peter Pan à l'égard des Pirates... et le traitement du thème n'a plus rien d'enfantin. Sans doute est-ce « l'échec » le plus talentueux de toute l'anthologie, qui aura approché les rivages de l'enfance, sans jamais franchir les brisants du monde des adultes. Les mots sont comme des radeaux : ils nous permettent d'entrevoir le Pays Imaginaire autant qu'ils nous en éloignent. Cette anthologie était impossible. Comme Peter. Mais quel rêveur refusera de courir après son ombre ?