Robert LAFFONT
(Paris, France), coll. Ailleurs et demain Date de parution : mai 2004 Dépôt légal : avril 2004, Achevé d'imprimer : avril 2004 Première édition Roman, 624 pages, catégorie / prix : 23,00 € ISBN : 2-221-09452-2 Format : 13,5 x 21,5 cm Genre : Science-Fiction
Ilium, c'est Troie. Troie, c'est la guerre chantée par Homère dans l'Iliade.
Mais le mont Olympe est situé sur Mars et les dieux qui l'habitent, conformes à l'imagerie antique, abusent des facilités quantiques en guise de pouvoirs surhumains. Quasiment immortels, ils se déplacent à travers le temps et l'espace. Leur spectacle favori, voire obsessionnel, demeure cette guerre qui se déroule sur Terre et dont aucun d'eux ne connaît l'issue.
Aucun sauf Zeus, évidemment.
Pour vérifier la conformité de la guerre réelle avec ce qu'en a conté Homère, les scholiastes, des érudits péchés à différents moments de l'histoire, sont dotés de pouvoirs secondaires non négligeables, ainsi celui d'emprunter l'identité d'un Grec ou d'un Troyen le temps de leur observation.
Hockenberry est l'un de ces scholiastes, ressuscité, extrait du xxe siècle et enrôlé contre son gré par Aphrodite en personne pour une mission secrète : faire triompher les Troyens, assassiner Athéné.
Pour leur part, les Moravecs, Intelligences Artificielles, qui vivent autour des planètes extérieures, commencent à s'inquiéter de la débauche de manipulations quantiques qui a pour source Mars. Elle menace le système solaire et peut-être l'univers tout entier. Ophu d'Io et Mahnmut sont envoyés y voir ce qu'il s'y passe. L'un ne jure que par Shakespeare, l'autre que par Proust.
Et sur Mars, de petits hommes verts érigent sans fin des statues géantes dans le style de celles de l'île de Pâques. Tandis que sur terre, les Derniers Hommes, au nombre exact de un million, jouent les sybarites décadents.
Dan Simmons, l'auteur du Cycle d'Hypérion, a transposé dans le grandiose avenir avec génie, humour, culture et rigueur, la fameuse Iliade. La Guerre de Troie, comme si vous y étiez. Vue de demain.
Critiques
Les dieux de l'Olympe s'amusent : ils se rejouent la Guerre de Troie sur Mars, tout en y envoyant des “érudits” pour s'assurer que leur version est conforme à celle d'Homère. Les “érudits” peuvent intervenir pour que l'oeuvre de l'aède aveugle soit respectée. Dans le même temps, des extraterrestres, inquiets de la menace que représente pour l'univers le trop-plein d'énergie accumulée et dépensée autour de Mars, sont chargés de régler le problème. Parmi eux, deux “savants”, deux lettrés en correspondance depuis des siècles, l'un spécialiste de Shakespeare, l'autre de Proust. Cependant, une déesse confie à un “érudit” un bâton d'invisibilité et le moyen de se déplacer dans l'espace et dans le temps. Sur ces entrefaites, sur la terre découpée en zones dont certaines sont protégées, quelques individus tentent de quitter leur petit cocon pour s'élancer dans l'espace : ils veulent comprendre pourquoi les dieux les ont abandonnés. Ils vont être aidés par une très vieille survivante d'une époque révolue et par un certain Ulysse, capable de leur raconter la Guerre de Troie bien mieux que dans les épisodes diffusés par le Suaire ( cette résille de cellules électroniques que l'on pose sur son visage et qui diffuse des feuilletons : la télé comme nouvelle religion). Les extraterrestres, eux, sont attaqués par un engin venu de Mars qui détruit leur vaisseau. Mais il reste deux survivants — les deux érudits — et pour le cas où Mars serait trop dangereuse, une bombe à amorcer tombée pas trop loin de l'Olympe... Voilà, tout est en place — pardon, j'oubliais les petits hommes verts qui communiquent avec les extraterrestres en sacrifiant à chaque fois un des leurs ! — tout peut commencer. Tout, quoi ? Eh bien, par exemple la lutte entre deux types de pouvoir. Celui basé sur une culture partagée (représenté par les deux extraterrestres et le groupe d'humains) et celui basé sur la force et la technologie, peu encombrés de scrupules humanistes (représenté par les dieux). Avec, au milieu, les petits hommes verts pour lesquels partage signifie sacrifice, et les érudits qui ont mis leur culture au service du pouvoir. Je vous laisse le soin d'attribuer à chacun sa catégorie sociale actuelle. Mais on notera que lorsqu'on s'éloigne de sa sphère de pouvoir la folie guette, puisque l'on entrevoit l'impensable (l'image et l'intimité des dieux).J'espère que vous avez suivi, sinon il ne vous reste qu'à lire le roman, en attendant la suite, car il va de soi que Simmons ne peut nous laisser dans l'incertitude sur l'identité des Dieux ou le sort de bombe qui menace Mars. Vous remarquerez comme moi, j'espère, la fluidité du texte français, qui fait que parfois on se demande si c'est du Simmons ou du Brèque que l'on lit...
Noé GAILLARD Première parution : 9/1/2005 nooSFere
Le cheval de Troie sur Mars
Littérature : Avec Ilium, variation futuriste érudite sur la séculaire Iliade, Dan Simmons frotte sa barbe grise à celle du vieil Homère. Radiographie triple du nouveau pape de la science-fiction.
Naissance d'un écrivain
L'américain Dan Simmons est venu au monde en 1948. Mais c'est très précisément en été 1981 qu'est né l'écrivain Dan Simmons. Cet été là, un atelier d'écriture, animé par le célèbre auteur de science-fiction Harlan Ellison, avait lieu au Colorado Mountain College. Après avoir démoli plusieurs apprentis littérateurs, Ellison entreprit de lire la nouvelle du candidat suivant. Celle d'un instituteur discret d'une trentaine d'années. Ellison raconte : « Alors que j'étais arrivé au milieu du manuscrit, je me suis aperçu que j'étais en train de pleurer ». Comment en effet rester insensible à ce début : « J'aimais beaucoup ma mère. Après son enterrement, après que l'on eut descendu le cercueil, la famille rentra à la maison pour attendre son retour. »
Frappé par l'originalité de cette histoire d'horreur pleine d'humanité, par son style extraordinairement travaillé, Ellison louangea cette nouvelle qu'il fit envoyer à un grand concours de récits fantastiques. Sur neuf mille textes, Le Styx coule à l'envers remporta le premier prix. Harlan Ellison qui narre ces faits en préface au recueil homonyme de Simmons se targue d'avoir découvert un écrivain, auquel il dira plus tard : « Dan, tu vas devenir célèbre. Tu vas devenir un des écrivains les plus importants de notre époque ».
Un écrivain fantastique
Après pareil début, il n'est pas étonnant de voir Dan Simmons exercer ses talents dans la veine fantastique. Lorsque paraît L'Echiquier du mal (1989), Stephen King salue en Simmons son rival le plus redoutable. Ce récit à l'écriture nerveuse met en scène des vampires psychiques qui manipulent l'humanité comme des marionnettes et sont responsables des pires atrocités du XXe siècle (nazisme, etc.). Il rafle tous les prix anglo-saxons.
Un écrivain de science-fiction
Pourtant, le coup de maître de Dan Simmons, c'est Hypérion (1989) et ses suites : La Chute d'Hypérion, Endymion et L'Eveil d'Endymion. Avec ce roman-fleuve, Dan Simmons renouvelle le genre du space opera. Basé sur un poème de John Keats et sur la technique des Contes de Canterbury de Chaucer, Hypérion rapporte le voyage de sept pèlerins sur une planète en pleine déliquescence. Ils ont été choisis pour aller rencontrer le terrifiant gritche, un dieu ou démon de la douleur, qui empale ses victimes pour l'éternité. Comme le voyage est long, ils se racontent successivement leurs histoires. Il en ressort que chacun des pèlerins a eu l'occasion de croiser le gritche une fois dans sa vie, sans en mourir. Pour quelle raison ? Ce roman offre l'occasion à Dan Simmons de montrer toute l'étendue de son talent. En effet, chaque histoire est rapportée dans un style différent ! Le père catholique Lenar Hoyt conte son aventure comme un récit religieux, le colonel Kassad livre un rapport militaire sur une guerre cosmique, la détective Brawne Lamia nage en plein cyberpunk, etc. Style magnifique et caméléon de Dan Simmons qui, encore une fois, raflera tous les prix avec ce chef-d'œuvre littéraire.
Un humaniste
Dan Simmons est un homme doux, profondément humain. Il a exercé la profession d'instituteur pendant quatorze ans. C'est révolté par les mauvais traitements infligés aux enfants qu'il s'est lancé dans l'écriture (sa nouvelle Le Conseiller est à cet égard édifiante). Son premier texte a paru le 15 février 1982, jour même de la naissance de son premier enfant, Jane. Depuis 1987, depuis son domicile du Colorado, il se consacre à plein temps à l'écriture. Quel que soit le genre abordé : policier, fantastique, science-fiction, littérature classique, Simmons brille et rafle les prix littéraires. Il crée une nouvelle fois l'événement, avec Ilium.
Dan Simmons fait ici un retour très remarqué à la science-fiction après ses explorations récentes d'autres genres. Mais comme d'habitude, sans oublier ses classiques littéraires, y compris ce lointain ancêtre de la fantasy héroïque, l'Iliade. Effectivement, l'une des trois trames majeures de ce roman nous confronte à des êtres qui s'attribuent le nom et le rôle des dieux de la mythologie grecque, mais qui ont visiblement recours à des technologies avancées ;ils sont domiciliés sur un mont Olympe qui n'est nul autre que l'Olympus Mons d'une planète Mars terraformée quelques millénaires après notre époque... Leur passe-temps favori reste cependant s'immiscer dans les affaires des hommes et, lorsque le roman débute, ils se focalisent entièrement sur ce qui semble être une reconstitution — au détail près — de la guerre entre Grecs et Troyens décrite dans l'épopée d'Homère. Afin de vérifier la bonne conformité avec le récit du poète, ils ont même la délicatesse de déployer, comme observateurs autour de la ville assiégée, des experts recueillis à d'autres époques ! Parmi eux, on trouve Thomas Hockenberry, universitaire irrespectueux mais avisé du XXe siècle. Bien malgré lui, il se voit enrôlé dans un complot ourdi par Aphrodite pour assassiner Athénée et donner la victoire aux Troyens.
Dans le même temps, les derniers représentants de la race humaine telle que nous la reconnaîtrions vivent une sorte d'idylle douillette mais abrutissante sur une Terre remodelée, parfois de façon spectaculaire (réintroduction des dinosaures, création d'une brèche terrestre dans l'océan Atlantique, construction de deux anneaux orbitaux) par les soins des posthumains. La population humaine, dont le nombre ne dépasse pas le million, chacun d'entre eux doté d'une durée de vie strictement limitée à cent ans, jouit d'un confort matériel assuré par des serviteurs mécaniques et aussi par les très énigmatiques « voynix ». Mais ces humains, qui ont perdu jusqu'à la faculté de lire et se livrent essentiellement à des loisirs futiles, ignorent tout de leur histoire et du monde qui les entoure. Néanmoins, quatre d'entre eux sont assez curieux pour vouloir en savoir plus ; ils décident de s'emparer d'un vaisseau spatial pour aller à la recherche des « posts », qui ne donnent plus signe de vie depuis quelques décennies. En chemin, ils vont rencontrer Savi, seule rescapée de l'époque du virus « rubicon » et du « dernier fax », ainsi qu'un avatar d'Odysseus, bien qu'une autre version soit présente sur les champs de bataille d'Ilium....
Et une troisième trame prend naissance sur les lunes de Jupiter, où un comité de « moravecs », des IAs évoluées créées pour l'exploration et l'exploitation des planètes extérieures, se décide à réagir face au silence des posthumains et à l'augmentation subite de l'activité quantique sur Mars. Une mission d'enquête, équipée d'une arme secrète, s'y rend. Parmi les quatre membres de l'expédition, on trouve Ophu d'Io et Mahnmut, qui partagent une passion commune pour la littérature humaine, sauf que le premier est un féru de Proust tandis que le second se délecte aux sonnets de Shakespeare ! À travers maintes aventures insolites, tous ces personnages vont entamer une convergence qui est loin d'être achevée à la fin de ce 1er tome. On va devoir patienter jusqu'à la sortie d'Olympos, en 2005, pour avoir les réponses à toutes les questions concernant les Olympiens, les posthumains et les voynix, sans omettre d'autres éléments qui s'ajoutent plus tardivement à ces mystères (notamment l'apparition de Prospero, Ariel et Caliban, personnages issus de La Tempête de Shakespeare). Pour l'instant, on assiste aux entrelacs sophistiqués conçus par Simmons à partir des morceaux du puzzle. Son aperçu de la guerre de Troie est déjà tout à fait saisissant ; tout comme les modèles originaux légués par Homère et d'autres auteurs classiques, ses dieux et déesses sont vaniteux, mesquins et perfides à souhait, ses guerriers nobles mais bornés par leurs passions et ses Troyennes éperdument tragiques ; mais le point de vue à l'œuvre (celui de Hockenberry) est teinté d'un cynisme et d'un sens de l'humour bien modernes. Les autres volets du roman contiennent également leur lot de surprises et de subtilités. Parions aussi que Dan Simmons, à l'image de ses prouesses littéraires et narratives dans Hyperionet Endymion, nous offrira, dans la seconde moitié de la saga, quelques renversements époustouflants de perspective qui remettront en cause toutes nos certitudes de lecteur. On sent le chef-d'œuvre en train d'éclore.
Le moins qu'on puisse dire, c'est que Simmons est attendu au tournant avec Ilium, premier opus d'un diptyque dont la séquelle s'intitule tout naturellement Olympos. On n'est pas responsable du carton éditorial que l'on sait avec Hypérion sans en assumer les conséquences. Fera mieux ? Fera pas mieux ?
Ecrivain talentueux et polymorphe, Dan Simmons a eu l'intelligence de laisser filer quelques années entre son cycle fétiche et son retour à la S-F. Les amateurs de polar ont pu en lire un ou deux (médiocres, admettons-le), et Simmons s'est même offert le luxe d'écrire son propre hommage à Hemingway avec Les Forbans de Cuba, roman qui mettait en scène le vieux maître lui-même, très occupé à chasser les éventuels sous-marins nazis hantant les fonds du Golfe du Mexique.
Avec Ilium, prévu en 2004 chez Laffont, Simmons confirme qu'il est un grand raconteur d'histoires, mais se perd parfois en chemin en confrontant des éléments trop disparates pour être véritablement crédibles.
Au départ, il y a cette folle idée : reprendre le thème de l'Iliade et le décliner à la sauce S-F. En parallèle, on trouve les interrogations de l'auteur sur l'évolution humaine à très (mais alors très) long terme. La prospective de l'auteur rappelle celle d'Hypérion (notamment le principe des « faxnods », calqués sur les « farcasters », qui permet de se rendre d'un lieu à l'autre instantanément, et qui n'est pas non plus sans conséquences funestes), mais développe également des thèmes qu'on avait déjà pu voir chez Sterling (cf. Schismatrice + en Folio « SF ») ou, plus récemment, l'Ecossais Ken MacLeod (La Division Cassini en J'ai Lu « Millénaires »). Ainsi, Simmons décrit une histoire « possible » étalée sur quelques dizaines de siècles. L'âge perdu que nous vivons aujourd'hui, l'avènement des post-humains qui trafiquent un peu trop l'ADN (chouette, repeuplons donc la terre de dinosaures) et la manipulation quantique de trous de vers. Badabling ! il fallait bien que ça foire quelque part, et voilà nos post-humains qui quittent la Terre pour s'installer en orbite dans des anneaux confortables, avant de foutre définitivement le camp on ne sait où. En parallèle, les intelligences artificielles semi organiques (baptisées Moravecs) disséminées sur les lunes de Jupiter ont eu le temps d'évoluer à part, formant une société agréable et industrieuse, forte de quelques membres dont les banques de données regorgent de documents sur ces bons vieux humains dont ils n'ont plus franchement de nouvelles. Enfin, si la terre n'est pas dépeuplée complètement, on ne trouve plus que quelques dizaines de milliers d'humains « traditionnels », mais tellement bourrés de nanotechnologies diverses et variées qu'ils en ont oublié l'écriture, et plus généralement Histoire, Technique, Géographie et, bien entendu, Révolte. Ils vivent d'ailleurs sous la bienveillante surveillance des Voynix, bestioles métalliques à mi-chemin entre la sentinelle et le serviteur, manifestement extraterrestres, dont l'origine exacte n'est pas claire. Bref, difficile d'inclure en plus un panthéon grec au complet, installé sur le mont Olympe, mais sur une Mars terraformée et non sur la Terre (il existe bel et bien un gigantesque volcan sur Mars judicieusement nommée Olympe, que voulez-vous, c'est comme ça). Vous suivez ?
Reprenons.
Simmons sait raconter une histoire et distille savamment un récit à trois voix, alternant les chapitres au moment culminant. Le procédé n'est pas vraiment nouveau, mais il a le mérite de tenir le lecteur en haleine et d'être efficace. Pour le reste, résumer Ilium est un exercice douteux que l'on tentera ici avec beaucoup de difficultés. Ilium commence donc lors du siège de Troie, alors que la guerre s'enlise depuis neuf ans et que l'entrée d'Achille dans la bataille précipitera la mort d'Hector et la prise de la ville. Goguenards, suprêmes d'arrogance et de mépris, les dieux grecs se livrent au délicat jeu d'échec par humains interposés (qui se soucie du sang des mortels ?), tout en pratiquant leurs sports favoris : intrigues, coups bas et trahisons formant l'ordinaire d'une vie immortelle de dieu moyen. La surprise, c'est que ces braves gens sont décrits avec humour et minutie. Leur présence et leurs dialogues sont incroyablement crédibles, et Simmons en profite pour casser le mythe en nous exposant sans pudeur les moyens techniques qui les font justement passer pour des dieux auprès de ces pauvres humains ignorants (téléportation quantique, chariots tirés par des chevaux holographiques, champs de force, nanotechnologie etc.). Leurs frasques sont vues à travers les yeux de Thomas Hockenberry, érudit spécialiste d'Homère de la fin du XXe siècle, ressuscité (re-créé ?) par Zeus en personne et doté de moyens hallucinants (morphing, téléportation) pour observer le siège de la ville et vérifier que l'Histoire correspond bien à celle raconté plus tard par Homère. Oui, l'Olympe est sur Mars, et re-oui, Hockenberry fait régulièrement l'aller-retour entre la Terre et la planète rouge (via la téléportation quantique, on le saura), mais ça n'est pas dérangeant, tant cette partie d'Ilium est réussie. On suit avec intérêt le dégoût croissant d'Hockenberry à l'égard de ces saloperies d'immortels obscènes, puis sa révolte et son combat. Les scènes de bataille entre achéens et troyens sont littéralement hallucinantes, pleines de bruit et de fureur, très éloignées des habituelles description glorieuses de la guerre. On y est, ça saigne, ça pue, ça meurt et c'est sale, autant le savoir...
En parallèle, Simmons raconte la lente prise de conscience des Moravecs à l'égard de la situation martienne. En gros, on se rend compte que la planète a été terraformée en un temps record (à peine quelques dizaines de milliers d'années), et que les relevés scientifiques attestent d'une anormale quantité de bordel quantique autour du mont Olympe. Il est donc grand temps d'y envoyer une petite expédition, histoire de découvrir de quoi il retourne. C'est la deuxième très grande réussite d'Ilium : rendre avec humour et humanité les interrogations des deux Moravecs échoués sur Mars (après le très bref échec de leur mission), l'un éclopé à mort et l'autre à peu près entier. Leurs dialogues sur Proust et Shakespeare valent à eux seuls le détour, et Simmons prend manifestement beaucoup de plaisir à décrire ces deux personnages sympathiques et essentiels.
Malheureusement, le troisième récit enchevêtré est plutôt boiteux. Cela se passe sur Terre, chez ces « Old style Humans » nanotechnologisés jusqu'aux dents, et si la description de leur vie quotidienne est intéressante, la quête de plusieurs d'entre eux prend des allures de fatras anachronique décevant. On y croise une sorte de Juif (en l'occurrence, une juive) Errant, un Ulysse 31 équipé d'un presque sabre laser, un vieillard dont l'obsession est de se rendre sur les anneaux orbitaux pour y gagner quelques années de vie supplémentaire, et un jeune homme qui n'en a pas grand-chose à foutre (entre autres). C'est donc cette partie qui se révèle la plus faible, un point d'autant plus douloureux que les nombreuses questions que se posent les lecteurs au fil des pages trouveront leur réponse ici même. Bref, on reste dubitatif et l'on se prend à rêver que Simmons ait autant peaufiné ces personnages que les Moravecs ou Thomas Hockenberry.
Pas de panique toutefois, Ilium reste un texte de très haute tenue, même s'il n'atteint jamais la stature poétique d'Hypérion. La bonne surprise d'Ilium, c'est que Simmons s'essaie à l'humour avec une ironie mordante qui n'est pas sans rappeler celle de Banks. Et comme l'animal manie la plume avec talent, légèreté et précision, on se dit que le temps risque d'être bien long avant la sortie d'Olympos... D'autant que, comme de juste, Ilium se termine exactement « at the turn of the tide ».