GALLIMARD
(Paris, France), coll. Folio SF n° 222 Date de parution : 8 septembre 2005 Dépôt légal : septembre 2005, Achevé d'imprimer : 2 septembre 2005 Première édition Roman, 416 pages, catégorie / prix : F10 ISBN : 2-07-031369-7 Format : 10,8 x 17,8 cm Genre : Imaginaire
Version étendue du texte homonyme lauréat du World Fantasy Award en 2000.
Quatrième de couverture
Sachez-le, la Grande-Bretagne a perdu la Première Guerre mondiale. La suite, on la devine : la dépression, le chômage, la honte, la révolte... et voilà l'ordre ancien renversé. Dans cette période trouble, un seul homme a pu sauver le pays du désastre : John Arthur, le héros de guerre aux origines modestes ; John Arthur, l'homme qui a fait de l'Angleterre sclérosée une puissance internationale : la Très-Grande-Bretagne.
Mais en 1940, alors que la terreur et les déportations font rage, un homme, Geoffroy Brook, professeur à Oxford, détient un terrible secret qui pourrait changer le cours de l'Histoire.
Uchronie dans la lignée du Maître du Haut Château de Philip K. Dick, Les Îles du Soleil, lauréat du World Fantasy Award dans sa version novella, dresse le portrait poignant d'un homme dans la tourmente de l'Histoire.
Né en 1956 en Grande-Bretagne, Ian R. MacLeod est une figure de proue de la nouvelle génération d'auteurs britanniques. On lui doit quatre romans et de nombreuses nouvelles récompensées par les plus prestigieux prix littéraires.
Critiques
L'Angleterre a été vaincue en 1918, et après quelques péripéties, un régime fasciste s'est installé, avec effets de muscles, déportation des juifs, brimades ou pire pour les allogènes, « rééducation » des homosexuels, et chef charismatique. Le tout dans une sorte de consensus, base de médiocres soulagements, de haines ordinaires et de mesquineries bien élevées. On est du côté de la banalité du mal. Le chef est par ailleurs un citoyen lambda tout droit sorti des tranchées. On retrouve la « brutalisation des sociétés » dont ont débattu des historiens ces dernières années. Voilà qui n'est déjà pas mal, et fait pardonner quelques micro-ignorances du monde au-delà de Douvres.
Dans ce décor, on suit le narrateur, mal à l'aise à Oxford où il a été nommé pour avoir eu autrefois le leader comme élève, vivant son homosexualité dans la tristesse et le secret, et condamné par un cancer. Refaisant en pèlerin un voyage fait en Écosse avec son seul vrai amour, juste avant la guerre où il a disparu. Se souvenant d'avoir vu le chef, au début de sa carrière d'agitateur, haranguant la petite foule d'un pub. Souhaitant utiliser ses passe-droits pour changer l'histoire d'un coup de revolver. Se faisant manipuler. Assistant pourtant à ce qu'il a rêvé de déclencher. Et prenant à contre-pied le lecteur en soulignant l'humanité du chef sans l'exonérer des crimes commis en son nom, en lui laissant la parole, et en n'idéalisant pas la suite, sorte de pseudo-déstalinisation.
Bref, au-delà de l'intérêt propre à l'uchronie, on a un remarquable portrait en demi-teinte, fait de nostalgies, de résignations et de velléités, en harmonie finalement avec la grisaille médiocre et criminelle qu'est la dictature. Et le tout est offert par petites touches, très bien amené — du moins pour qui ne trépignera pas d'impatience dans l'attente du « terrible secret » promis en quatrième de couverture. Ledit « terrible secret », dont il ne sera pas question ici, finit par être dévoilé page 221 et fournit bien un nœud pour l'intrigue, mais il est loin d'être l'essentiel. Encore qu'après tout, on puisse bien lire le volume sous cet angle, comme sous celui de la réflexion sur l'Histoire, ou de la profondeur humaine du ou des portrait(s). Ou sous tout autre angle, parce que c'est un tout simplement un grand roman, toutes catégories confondues, et qu'on peut hésiter entre le bonheur de le voir publié directement en poche, et le regret qu'il n'ait pas connu d'abord une édition mainstream, ticket de loterie pour une reconnaissance au-delà des amateurs d'imaginaire.
De Ian R. MacLeod ne sont parues en France que quelques rares nouvelles. Les Iles du soleil est l'extension d'une novella du même titre, finaliste du prix Hugo et lauréate du World Fantasy Award et du Sidewise Award for Alternate History, ce dernier prix récompensant, entre autres, les meilleures uchronies. Car c'est bien d'uchronie dont il est ici question, qui nous arrive en inédit chez Folio « SF », ce qui est suffisamment rare pour être souligné.
Le point de rupture avec notre trame temporelle n'est pas évident au début du roman. Le narrateur, Griffin Brooke (de son nom de plume, Geoffrey Brook), vit en 1940 en Très Grande-Bretagne. Le pays est aux mains d'un gouvernement ultranationaliste et de son leader charismatique, John Arthur. Les Irlandais, les juifs et les homosexuels sont pourchassés et déportés vers une destination inconnue. Ça vous rappelle quelque chose ? Pas étonnant : John Arthur a, comme un certain Adolf Hitler, été militaire pendant la Première Guerre mondiale. Mais ici, c'est l'Allemagne qui a gagné, imposant à l'Angleterre des réparations vécues par le peuple britannique comme une humiliation. De nombreux changements de gouvernement successifs amènent finalement au pouvoir John Arthur et l'Alliance Impériale, mouvement factieux qu'il a fondé. Tous ces éléments nous sont distillés au compte-goutte par Brook, suivant le cours tortueux de ses souvenirs à l'approche de son décès. En effet, il est condamné par une tumeur incurable. En tant qu'historien, il ne peut s'empêcher de se poser la question de l'inéluctabilité de l'histoire : et si John Arthur n'avait pas existé, y aurait-il eu un autre grand homme pour se lever et défendre la suprématie de la Grande Bretagne ? Les minorités déportées n'auraient-elles pas eu à souffrir ? Cette dernière question lui tient tout particulièrement à cœur, étant lui-même homosexuel et obligé de se cacher pour pouvoir vivre un semblant de relation avec un homme qui finit par disparaître du jour au lendemain. Et on comprend peu à peu que, d'une façon ou d'une autre, les destins de Brook et de John Arthur sont liés...
Roman introspectif, brillamment écrit, Les Iles du soleil est aussi « so British » et risquera de perdre en route les lecteurs dont les connaissances en histoire en général, et de la Grande-Bretagne, en particulier, n'ont pas subi un rafraîchissement récent (en ce qui me concerne, le dernier doit dater du lycée, autant dire une éternité... honte sur moi). A moins que, comme le dit Brook lui-même, les Français soient « étrangers [aux Britanniques] comme jamais ne pourront l'être les Indiens ou les Boers » (p. 17). Le risque est grand, alors, de ne pas saisir tous les décalages avec notre réalité, toutes les subtilités qui parsèment le texte. Malgré tout, on progresse dans le roman, en se demandant quel terrible secret lie Brook à John Arthur, et si, finalement, l'arrivée au pouvoir dans un grand pays d'Europe (Allemagne, Angleterre ou, pourquoi pas, France) d'un dictateur près à faire basculer la planète dans le chaos était inévitable. Une réussite donc, et incontestable, à rapprocher de celle de Christopher Priest et sa Séparation, qui nous incitera à surveiller la parution, prévue en « Lunes d'Encre », de The Light ages, autre grand succès de l'auteur.