LES BELLES LETTRES
, coll. Le Cabinet noir Dépôt légal : avril 2003 Première édition Anthologie, 296 pages, catégorie / prix : 20 € ISBN : 2-251-77171-9 Genre : Fantastique
Quatrième de couverture
NOIRS COMPLOTS réunit 14 nouvelles inédites, choisies et présentées par Pierre Lagrange, écrites spécialement pour le recueil et proposant une interprétation conspirationniste d'événements ayant laissé une trace dans l'histoire — ou la petite histoire — ancienne ou récente.
Les astronautes d'Apollo 11 ont-ils réellement marché sur la Lune ? Si oui, étaient-ils les premiers ? Qui sont ces « hommes de l'ombre » ayant minutieusement mis au point l'attentat du 11 septembre ? Pour le compte de qui la série télévisée X-Files a-t-elle été produite et pourquoi ? Que deviennent les comploteurs retraités ? Pourra-t-on, dans un avenir proche, en finir avec Karl Marx ? Quel jeu les Beatles ont-ils joué durant la guerre froide ? Par qui le célèbre canular radiophonique d'Orson Welles a-t-il réellement été commandé ? Qui était vraiment le Christ ? Et Dieu, sous quel visage nous apparaît-il à l'aube du XXIe siècle ? Quant à la science, censée mettre un terme aux superstitions, n'est-elle pas elle-même une conspiration ?
À ces questions et bien d'autres, douze auteurs réputés, auxquels se sont joints deux talentueux débutants dans la fiction, ont apporté des réponses totalement paranoïaques d'une grande variété d'inspiration et d'écriture.
En fin de volume, un entretien aussi passionné que passionnant de Pierre Lagrange avec le romancier Maurice G. Dantec sur les vrais et les faux complots et un DICTIONNAIRE DES AUTEURS.
Sociologue des sciences, Pierre Lagrange est spécialisé dans l'étude des controverses sur le paranormal. Associé au Laboratoire d'anthropologie et d'histoire sur l'institution de la culture (LAHIC) au CNRS, il est l'auteur d'un ouvrage sur les controverses à propos des ovnis, La Rumeur de Roswell, d'une histoire populaire illustrée des soucoupes volantes, écrite avec Clarisse Le Friant et Guillaume Godard, Sont-ils parmi nous ? La nuit extraterrestre. Il vient de signer, avec l'historien Hervé Drévillon, un livre sur la vie et la postérité de Nostradamus.
Pour ce sujet hétéroclite, Pierre Lagrange a réuni une belle brochette d'auteurs qui ne l'est pas moins. Des auteurs de S-F qui n'en écrivent plus guère (Andrevon et Walther), d'autres déjà bien établis (Dunyach et Wagner) et un nouveau (Héliot) ; des journalistes du Figaro (Leroy, D'estienne D'Orve, Lapaque et Delcroix) ; un ancien pilier du Fleuve Noir « Espionnage » (Alain Page) ; un créateur du « Poulpe » (Quadruppani) ; un spécialiste de la littérature de genre (François Rivière) ; un journaliste scientifique (De Pracontal) ; un ténor de la littérature générale qui ne répugne pas à bouffer au râtelier des genres (Martin Winckler) et Maurice G. Dantec. De l'hétéroclisme en veux-tu en voilà ; des complots à foison.
Les premiers, les Nazis sont allés sur la Lune grâce à la soucoupe V7 mise au point par Wernher von Braun qui la livra ensuite aux Américains pour négocier son passage à l'Ouest où elle s'est écrasée deux ans plus tard, en 47, près d'une petite localité nommée Roswell (Johan Héliot — « Opération Münchhausen »).
Jolie mise en abîme du complot, « Le Mensonge est ici » dénonce la série X-files comme un complot destiné à faire croire au véritable agent Mulder qu'elle est une action de propagande de la CIA en vue de la nouvelle croisade irakienne de W, alors que c'est un complot extraterrestre. Le meilleur texte de l'anthologie, celui où l'on s'amuse le plus (Martin Winckler — « Le Mensonge est ici »).
« Abattez Karl Marx » est de la pure S-F et hors sujet. C'est un paradoxe temporel digne du Galaxie des années 50 (Jérôme Leroy — « Abattez Carl Marx ! »).
Après le Village, le bistrot de la plage où l'on parque les comploteurs sur le retour. Bonjour chez vous (Serge Quadruppani — « Matinée tranquille au café de l'oncle Peppino »)...
N'importe qui ayant le minimum de culture scientifique peut réfuter les objections élevées par les tenants de la théorie qui veut que l'on n'ait jamais marché sur la Lune (voire que la Lune n'existe pas). Et ça, c'est bien la preuve de l'existence d'un complot. S'ils ont les compétences de monter un canular qu'on est incapable de réfuter bien qu'en connaissance de cause, c'est que ce sont des extraterrestres ! CQFD. Cela justifie qu'on se la joue American Psycho (Michel De Pracontal — « Vous avez demandez la Lune ? »)...
Le Petit Gregory ne serait pas mort ou la théorie du complot familial (François Rivière — « Un Ange vous parle »).
Le 11 septembre 2001 ne pouvait ni ne devait davantage échapper au traitement conspirationniste que le symbole phallique du capital triomphant à un attentat. Attentat qui ne doit rien à Ben Laden et tout à Dick Cheney. A mi-chemin entre la version officielle et la thèse de Thierry Meyssan. L'Attentat était fictif (Jean-Pierre Andrevon — « Incertain 11 septembre »)...
La France a aussi connu ses heures sombres et ses noirs complots, en 58 par exemple (Sébastien Lapaque — « Le Jeu de l'Hombre »)...
Bien avant Chris Carter (créateur d'X-Files), Orson Welles s'est aussi évertué a dissimuler l'invasion des martiens (Jean-Claude Dunyach — « Le Jour où Orson Welles a vraiment sauvé le monde »)...
Les Beatles devaient aussi être d'un complot. Agent de l'Intelligence Service, ils ont vu Paul travailler pour les Rouges et ont enregistré avec lui un album secret en Inde, The Marxist Album, avant son assassinat. Deux espions assassins de Beatles essaient de mettre la main sur ses fameuses bandes qui pourraient passer à l'Est (Olivier Delcroix — « Le Beatles Gate »)...
Dieu aussi est dans les coups de Jarnac. Il complote contre vous, se fait passer pour le Père Noël qui est une ordure. Censé être drôle, c'est plat (Nicolas D'estienne D'Orve — « Plaisir d'offrir »).
Les avenirs radieux se construisent sur des catacombes. La Paix Universelle comme les autres. Au nom du Christ, elle se fera sur l'éradication des vampires dont bien sûr Jésus était. Huis clos en cave avec amour. Franchement réussi (Alain Page — « Les Vents pires de l'Orient »).
Et voilà qu'une société secrète mitonne l'apocalypse depuis quelques siècles, l'avènement du chaos, bien gore et sanguinolent à souhait, grand spectacle de Grand Guignol avec un peu de cul bien cru bien glauque. Bien, quoi ! Du Walther (Daniel Walther — « Le Protocole des mages de Lyon »).
Et pour conclure, une mise en scène de Jimmy (Guieu), auteur soucoupiste bien connu, réputé croire à un complot extraterrestre. Vu à travers les yeux d'un fan septique qui s'interroge et gamberge. Private joke à l'adresse du milieu S-F et conclusion habile pour cette anthologie (Roland C. Wagner — « La Chanson de Jimmy »).
eut-être l'exercice n'était-il pas aussi facile qu'il y paraît de prime abord. Il y a beaucoup d'extraterrestres et de marches lunaires dans ces textes, mais finalement peu ont osé aborder l'histoire consensuelle selon un angle conspirationniste et Andrevon seul a osé défaire le 11 septembre 2001, par exemple...
Quant à l'entretien avec Maurice G. Dantec, il relève d'un triste baragouin pseudo intello dont on aurait pu se passer avec bonheur. Il ne vaut que par les questions de Pierre Lagrange, auxquelles Dantec ne comprenait rien (sic.) et dont il ressort qu'il croit à un complot autour de Roswell tout en se révélant incapable d'argumenter.
Penser le complot aurait mérité mieux que les affligeantes élucubrations de Dantec. La pratique du secret est incompatible avec la démocratie. On vit dans un monde en grande partie intelligible et il appartient à chacun de faire l'effort de s'interroger sur les zones d'ombres qui peuvent subsister en appliquant le principe du rasoir d'Occam. Les zones d'ombres ne doivent pas devenir l'arbre masquant la forêt. Voilà qui devrait apporter un contrepoint au sabir de Maurice G. Dantec, qui se laisse emporter dans une conception délirante et paranoïaque de la réalité.
Demeure une anthologie moyenne, dénuée de chef-d'œuvre mais au sujet séduisant.
Ce n'est peut-être pas de la S.F. Ou pas tout à fait. Mais il y a des extraterrestres, des voyages dans la lune, un voyage dans le temps. Des références à des feuilletons télé qui font le bonheur des fans. Et de l'histoire secrète, source de réjouissants délires. Au second degré du moins. Le tout dû à des auteurs bien connus de nos services (Johan Heliot, Jean-Pierre Andrevon, Jean-Claude Dunyach, Daniel Walther, Roland Wagner), d'autres fort proches ou venus du polar (Jérôme Leroy, Serge Quadruppani, Alain Page scénariste entre autres de Tchao Pantin, François Rivière), un gang de critiques du Figaro (pour un coup d'essai ou presque, Olivier Delcroix et Sébastien Lapaque, ou quasi-habitué des mauvais genres, Olivier d'Estienne d'Orves), un journaliste scientifique naguère présent dans une anthologie curvalienne (Michel de Pracontal). Et en prime, Martin Winckler. En prime aussi, une interview de Maurice Dantec : d'aucuns achèteront le volume pour lui, tant mieux pour l'éditeur, mais il serait dommage que d'autres passent au large à cause de lui : nul n'est tenu de lire les pages 255 à 280. Pas plus que la préface (ou que les critiques, on sait).
Au fil des textes, on « apprendra » qui est allé le premier sur la Lune ; comment Von Braun a convaincu les Américains (et la « vérité » sur Roswell) ; quelle manipulation cachent les feus X-Files ; que le voyage dans le temps peut être mis au service du capitalisme et pourquoi ça ne marche (marxe ?) pas vraiment ; ce que deviennent les agents spéciaux, façon Le Prisonnier ; comment démontrer qu'Armstrong n'a jamais mis le pied sur la Lune et comment cette paranoïa se lie au 11 septembre 2001 ; une explication de ce qui ressemble à l'affaire du Petit Grégory (« apologiste sénile des infanticides ruraux » incluse) ; une autre derechef du 11 septembre ; une troisième, du 13 mai 1958 (à vos manuels) ; d'autres choses sur Apollo XI (et Orson Welles) ; d'autres encore sur les Beatles, la guerre froide et le décryptage d'une pochette célèbre ; ou ce qu'est « le protocole des mages de Lyon » (si et sic) ; et enfin une vérité nouvelle sur Jimmy Guieu et les « petits gris »... Fermez le ban. Ou lisez Dantec en plus. Ou recommencez au début.
Chacun y trouvera du bon et du moins bon. Selon l'habileté des auteurs sans doute, ou le temps passé, mais surtout selon son imaginaire et ses propres références. À l'énumération ci-dessus de suggérer que beaucoup y trouveront leur compte, avec quelques découvertes en sus. Et si la paranoïa systématisée pèse en grandes quantités, on peut apprécier et consommer avec modération, lire tout ou presque mais pas d'un seul coup, siroter nouvelle après nouvelle, jour après jour. En plus, ça fait durer le plaisir.