De ce temps, les coffres sont vivants et carnivores qui plus est. Ils ressemblent à des monstres, hideux, énormes, bêtes. Et ce sont véritablement des monstres ! Heureusement qu'il n'y a ni syndicat pour les défendre, ni association charitable et humanitaire pour les plaindre !
Dans ces conditions, les hold-up deviennent improbables. Non, impossibles. Excepté pour les gars un peu tordus. Mathias est ce gars tordu, flic qui ne supporte plus de voir les Unités de Justice Autonome, machines à pinces et à estomac crématoire, faire son boulot. Il se lance dans l'impossible et atterrit dans la gueule d'un monstrueux coffre palpitant, rugissant et dégoûtant. Sa tentative aura des conséquences inouïes. Adieu la ville et, peut-être, tchao le monde.
La première moitié du roman foisonne d'inventions. La proportion d'imagination délirante à la page-carrée est proprement stupéfiante. Mais il arrive que Brussolo donne trop de détails et se laisse aller à une overdose d'explications qui nuisent un tantinet au dynamisme du récit. On lui pardonne volontiers ce tic. Chez lui, la narration et l'action demeurent au second plan. La description d'un univers hallucinant, pas toujours crédible sous toutes ses coutures, c'est là justement où il faut jouer le jeu et fermer les yeux, prime sur tout le reste.
Il y a dans son horreur une part d'humour, probablement involontaire. Car les histoires de Brussolo se révèlent à la fois si vivantes et si authentiques qu'on sourit en claquant des dents.
Nom : Brussolo. Prénom : Serge. Signe particulier : Ecrivain noir et sang. Attention, cet auteur est dangereux. Ce gars-là est presque aussi tordu que ses personnages. Mais c'est ce qui fait son charme. Alors, soyez clément avec lui, ne le flinguez pas tout de suite, laissez-lui le loisir d'écrire encore quelques délires dont il a l'art secret.
Quand il sera vieux, mou et vide, il sera temps de lui envoyer à domicile une Unité de Justice Autonome ; à moins qu'il ne se soit fait dévorer vivant par le coffre fort enfermant ses idées...
On le raconte depuis longtemps sous toutes les formes : nos sociétés malades engendrent toujours plus de violence contre laquelle il faut se prémunir. Brussolo refuse cependant de décrire une jungle urbaine de plus : chez lui, l'auto-défense, forme première de l'escalade de la violence, est interdite : les robots d'intervention veillent. Devant le laxisme un rien contradictoire des autorités face aux actes de délinquance (les victimes devraient donc pouvoir se défendre sans trop de crainte), la paranoïa devient galopante : les individus d'une méfiance maladive s'enferment dans des carapaces sophistiquées qui peuvent devenir leur cercueil, les murs et les serrures prolifèrent.
C'est ainsi que d'improbables créatures génétiques se nourrissant de l'énergie de bombes sont fabriquées pour devenir des coffres-forts réputés inviolables. Mais il n'est point de système qui ne soit contré par un anti-système : le casse totalement aberrant de Mathias Fanning consiste à pénétrer dans l'estomac de ces mortelles gargouilles pour dérober les trésors qu'il contient. Le récit est à l'image de l'idée qu'il développe : délirant, excessif, il a depuis longtemps dépassé le stade de la métaphore et ne fonctionne que par une surenchère permanente totalement déconnectée du réel. Un Brussolo mineur qui reste réjouissant à lire au second degré, principalement lors des scènes d'action.