15 histoires vénéneuses distillées par Anne Duguël
Si, parmi nos cinq sens, il en est un qui touche à l'indicible, c'est bien l'odorat. Il suscite en nous des pulsions sauvages, réveille notre animalité, sollicite nos mémoires enfouies. Et cela avec d'autant plus de virulence qu'il est indissociable de notre principale fonction vitale : la respiration. Dès lors, nous ne pouvons y échapper...
Lié, de par sa nature même, à l'instinct sexuel, le parfum — qu'il émane de nos chairs ou soit composé d'un savant mélange d'essences raffinées — a toujours pour but de séduire. Or, la séduction a plusieurs facettes. Voluptueuses, certes, mais également redoutables. Si, dans le règne végétal, l'odeur des roses attire les abeilles pour les enivrer de nectar, celle des plantes carnivores leur tend un piège mortel.
C'est cette inquiétuante dualité qu'illustre l'anthologie que voici. Vous y trouverez rassemblées, sous la plume de Jean-Michel Calvez, Sylvain Montagne, Olivier Ka, Gudule, Jean-François Patricola, Christian Robin, Rémy Gallart, Anne Renard, Claude Bolduc, Lili Bidault, Serena Gentilhomme, Patrick Eris, Ange-Emile Rivière, Béatrice Nicodème et Gérard Lenne, toutes les déclinaisons possibles du « parfum de la dame en noir » chère à Gaston Leroux. Qu'elles soient traitées sur le mode fantastique, polar, SF, ou tout simplement quotidien, ces histoires ont un point commun : la sensualité. Souhaitons qu'elles vous enivrent, parlent à vos sens et vous enveloppent, comme un parfum...
1 - Anne DUGUËL, Préface, pages 1 à 3, préface 2 - Sylvain MONTAGNE, Salambô, pages 5 à 15, nouvelle 3 - Jean-Michel CALVEZ, Dernier souffle, pages 17 à 34, nouvelle 4 - Olivier KA, Martha tout entière, pages 35 à 39, nouvelle 5 - GUDULE, Arôme d'une nuit d'été, pages 41 à 43, nouvelle 6 - Claude BOLDUC, De l'amour dans l'air, pages 45 à 59, nouvelle 7 - Jean-François PATRICOLA, La Décharge héroïque, pages 61 à 65, nouvelle 8 - Christian ROBIN (2), Flâneuse, pages 67 à 70, nouvelle 9 - Lili BIDAULT, Le Petit garçon dans les roses thé, pages 71 à 77, nouvelle 10 - Rémy GALLART, Rêve ultime, pages 79 à 95, nouvelle 11 - Anne RENARD, La Sentine, pages 97 à 105, nouvelle 12 - Serena GENTILHOMME, Profumo rosso, pages 107 à 118, nouvelle 13 - Patrick ERIS, Histoire du parfumeur Hallaï et du sultan Jadar (2007), pages 119 à 123, nouvelle 14 - Ange-Émile RIVIÈRE, Sculpture pâle, pages 125 à 144, nouvelle 15 - Béatrice NICODÈME, Parfum d'illusion, pages 145 à 153, nouvelle 16 - Gérard LENNE, Respire-moi bien, pages 155 à 166, nouvelle 17 - (non mentionné), Biographie des auteurs, pages 167 à 173, dictionnaire d'auteurs
Critiques
Parfums mortels est le premier livre paru aux éditions Malpertuis, créées par Thomas Bauduret et Christophe Thill. Cette maison d'édition s'intéressera au fantastique sous de nombreuses formes : le fantastique « fin-de-siècle » appartenant principalement à la période 1880-1920 pour la collection « Absinthes, éthers, opiums », le fantastique moderne au sein de « Brouillards », et enfin Lovecraft et ses contempteurs dans la bien nommée « Lovecraftiana ». Parmi les premiers textes annoncés : une réédition du Roi en jaune de Robert W. Chambers (qui aurait dû paraître en même temps que l'ouvrage chroniqué ici, mais retardé pour cause de problèmes d'impression), et deux anthologies, HPL 2007 et Malpertuis I.
Mais revenons à Parfums mortels, dirigée par Anne Duguel. L'anthologiste y avoue son goût pour les senteurs hérité de souvenirs religieux d'enfance. Aussi a-t-elle convié quinze auteurs afin qu'ils puissent eux aussi nous faire partager ces fragrances, bouquets, effluves, mais aussi ces exhalaisons, remugles, puanteurs... Après tout, il s'agit ici de fantastique (mais pas seulement : il y a aussi de la SF, du polar...), et le fantastique, ça ne sent pas toujours la rose.
Comme dans toute anthologie, on appréciera plus ou moins les textes présents ; cela commence par une nouvelle machiavélique de Sylvain Montagne, « Salambô », qui sur le mode de l'humour noir dénonce les méfaits de la publicité. Jean-François Patricola, dans « La décharge héroïque », opte lui aussi pour le cynisme, avec son protagoniste fan de western qui prend sa partenaire sexuelle pour un cheval. « Dernier souffle », de Jean-Michel Calvez est au contraire très intimiste et nous fait croiser la route d'un étrange personnage devenu dépendant au dernier souffle des mourants. « Le petit garçon dans les roses thé », de Lili Bidault, joue sur le thème archi-rebattu de la bulle temporelle (un garçon dans une cour qui ne vieillit jamais), mais en y ajoutant un brin de Portrait de Dorian Gray qui fait tout son charme. « La sentine », d'Anne Renard, est un nouvelle très forte sur l'univers carcéral et sur ceux qui doivent s'y rendre pour voir un proche ; Patrick Eris s'inspire quant à lui des Mille et Une Nuis pour son conte oriental « Histoire du parfumeur Hallaï et du sultan Jadar ». En conclusion, Gérard Lenne nous parle d'un moyen original de tuer des gens, par le biais d'une hormone modifiée générée par une femme sexuellement excitée. Et toujours, au centre de ces textes, des odeurs, qui la plupart du temps font partie intégrante de l'intrigue, et ne sont donc pas qu'un seul effet de mise en scène.
Bref, vu le nombre de thèmes traités, de genres abordés et de traitements choisis par les auteurs, il y a fort à parier que tout lecteur y trouvera son compte. Bien sûr, certaines nouvelles vous laisseront sans doute indifférents, mais c'est le lot de toute anthologie. Avec Parfums mortels, on en a vraiment pour tous les goûts, et constitue donc une première publication tout à fait honorable de la nouvelle maison d'édition Malpertuis, à laquelle on souhaite une longue vie.